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Les Bleus et Deschamps : l’union craquée ?

Par Clément Gavard, à Dortmund

Ce n’était pas encore inquiétant, ça l’est devenu un peu plus après le match nul très décevant contre la Pologne (1-1) : les Bleus ont du mal à nous montrer où ils peuvent aller dans cet Euro. Didier Deschamps, aussi, semble moins inspiré, et il lui faudra ne pas perdre un groupe dans lequel les frustrations des uns et des autres prennent de la place avant de se lancer dans une «  nouvelle compétition ».

Les Bleus et Deschamps : l’union craquée ?

Ce n’est pas la première fois que l’équipe de France de Didier Deschamps boucle une phase de poules sans convaincre dans le jeu, mais ce n’était jamais arrivé qu’elle ne termine pas en tête de son groupe. Elle ne méritait pas autre chose que cette deuxième place, ce mardi à Dortmund, au terme d’une rencontre qui n’aura pas levé les doutes. Une déception ? Pas spécialement, selon les premiers mots du sélectionneur en conférence de presse : « Ah non, je ne suis pas déçu du tout, sincèrement. Si ce n’est qu’on voulait la première place. Le gardien adverse a été élu homme du match. Parfois, on peut avoir beaucoup d’occasions et ne pas marquer. On était dans un groupe très dense. Pour ceux qui rigolaient de l’Autriche, ils sont premiers. Le premier objectif est atteint, on jouera le 1er juillet, et une nouvelle compétition va commencer. Je serais beaucoup plus inquiet si on n’avait pas d’occasions. » Circulez, mais n’y a-t-il vraiment rien à voir ? Ce n’est pas trop ce que l’on a pu ressentir en zone mixte, par exemple, où trois joueurs ont rapidement défilé – pendant que les Polonais ont pris le temps – sans trop parvenir à masquer leur frustration.

La vérité sort de la bouche des joueurs

Quelques secondes seulement après le coup de sifflet final, Adrien Rabiot avait ouvert le bal au micro de TF1 : « On aurait aimé finir premiers, mais on n’a pas mis assez pour gagner ce soir. On avait tout entre nos pieds… L’objectif était la première place et il n’est pas atteint. » Plus sévère déjà, plus honnête aussi, puisqu’il était difficile de quitter la pelouse du BvB Stadion Dortmund sans les regrets de ne pas avoir réussi à faire chavirer une Pologne qui n’avait plus rien à sauver, si ce n’est peut-être son honneur. À quelques mètres des cars des deux équipes, Youssouf Fofana est allé dans le sens de son coéquipier du milieu : « Je partage son sentiment, plus au niveau offensif, car je trouve que dans le reste du match, défensivement et avec le ballon, on a été plutôt bons. »

On avait vraiment les clés en mains après ce 1-0, on aurait dû pousser pour mettre ce deuxième but. Je pense qu’on a fait un peu trop de gestion, c’est dommage.

Bradley Barcola

Le novice Bradley Barcola a également utilisé les mots justes pour commencer sa courte intervention : « Oui, c’est frustrant, on sait qu’on aurait dû gagner ce match. On avait vraiment les clés en mains après ce 1-0, on aurait dû pousser pour mettre ce deuxième but. Je pense qu’on a fait un peu trop de gestion, c’est dommage. » Tiens, tiens, un excès de gestion ? « Je ne sais pas, mais parfois, sans le vouloir, tu gères le match », a-t-il enchaîné. C’est en tout cas ce qu’il a ressenti sur le terrain et c’était important de pouvoir le verbaliser, pour contraster avec la traditionnelle langue de bois de Deschamps. C’est plus qu’une préparation pour un huitième de finale qui va se jouer dans la semaine à venir, c’est la consolidation d’un groupe derrière le sélectionneur. Si les supporters peuvent changer de chaîne ou grogner sans que cela ne dérange DD, sa méthode peut-elle finir par lasser ses propres soldats ?

Deschamps, un groupe à gérer et à combler

Deschamps a souvent semblé nerveux et agacé depuis le début du tournoi lors de ses apparitions devant la presse. Surtout, il n’a pas fait que des choix gagnants contre la Pologne, un match qu’il aurait sans doute préféré offrir aux coiffeurs pour se faciliter la vie. Après trois rencontres dans cet Euro, ils sont sept à ne pas avoir disputé une minute (Brice Samba, Alphonse Areola, Ibrahima Konaté, Warren Zaïre-Emery, Benjamin Pavard, Jonathan Clauss). À titre de comparaison, ils étaient 23/24 à avoir croqué du temps de jeu en 2022 lors de la phase de poules ; 18/26 à l’Euro avant l’échec suisse ; et 20/23 en 2018 en Russie avant le sacre. « Il y en a d’autres qui ne sont pas contents, c’est normal, expliquait Deschamps après avoir justifié son choix de faire commencer Antoine Griezmann sur le banc. Je ne peux pas faire plaisir à tout le monde. » L’inconvénient des listes élargies, c’est vrai, mais aussi une pierre dans le jardin d’un coach qui doit gérer des hommes et des égos : comment faire comprendre à ces gars-là qu’ils vont servir à quelque chose dans la compétition ? Être un bon compagnon pour jouer aux cartes ou un rigolo de service ne suffit pas toujours à combler l’absence du terrain, qui reste leur lieu d’expression préféré. Ils n’ont pas les conditions dantesques du dernier Euro itinérant pour jouer en la défaveur de la vie de groupe, mais les prochains jours à Bad Lippspringe seront déterminants pour définir quelle histoire cette équipe de France peut nous raconter.

L’addition des frustrations est dangereuse, la méforme des uns et des autres peut devenir contagieuse. Olivier Giroud n’avait jamais été aussi crépusculaire, son entrée en jeu est venue le confirmer. Même chose pour Griezmann, dans le dur et peinant à trouver sa place dans cette EDF version 2024. On le disait frustré par le choix de Deschamps de le mettre sur le banc, il ne l’a pas montré de manière exacerbée : il s’est échauffé normalement, il est allé distribuer des conseils à Kylian Mbappé lors de la pause fraîcheur en première période, et il a échangé quelques mots avec son sélectionneur avant de débarquer sur le pré. C’est peut-être à ce moment-là que sa déception a pris le dessus, puisqu’on ne l’a pas du tout reconnu. La Dèche a d’ailleurs fait passer le message, plus ou moins clairement, qu’il attendait mieux des entrants, donc de son Grizou : « Quand on a eu à chercher un résultat, on n’a pas toujours eu l’effet escompté. Ça aurait pu être mieux. » Ils ont tous cherché aussi à relativiser : l’essentiel était la qualification, « c’est une nouvelle compétition qui commence ». Tout le monde semble sur un fil, il va s’agir de ne pas basculer du mauvais côté. Les doutes sont permis ? Eduardo Camavinga a répondu ceci : « On est une grande équipe, et une grande équipe se relève toujours. » Pour l’instant, elle n’a pas encore montré qu’elle était grande et elle n’est pas tombée, mais elle devrait finir par embrasser l’un de ces deux destins. Sans que l’on ne sache encore lequel.

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