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Quel avenir pour le football syrien ?

Par Tristan Pubert
7 minutes

Durant ses 24 années passées au pouvoir, Bachar al-Assad n’a cessé de faire de la propagande, et le football n’a pas dérogé à la règle. La chute de ce régime autoritaire a été perçue comme une délivrance par le peuple syrien et ses amoureux de ballon rond, qui espèrent désormais voir les Aigles retrouver des ailes.

Quel avenir pour le football syrien ?

Le dimanche 8 décembre 2024 restera à jamais une date gravée dans l’histoire de la Syrie et du Moyen-Orient. Après plus de 20 années de règne (54 au total si on compte celui du père, Hafez al-Assad), Bachar al-Assad a été chassé de son trône par les rebelles, sous la tutelle de Mohammad El-Bachir et du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), classé comme terroriste par l’ONU. Dans les rues syriennes, d’Alep à Damas en passant par Hama, les scènes de liesse se multiplient, dans un pays qui a vécu la terreur et la barbarie durant plus d’un demi-siècle. « Ça fait très longtemps que je n’avais pas vu autant de joie et de sourires sur les visages. Quand j’ai appris que c’était la fin du régime al-Assad, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer », explique au téléphone Mahmoud*, encore ému. Ancien arbitre international syrien contraint à l’exil, il ne peut s’empêcher de dévier d’emblée sur son amour de toujours, le football. Sur la côte méditerranéenne orientale, le football rime ces dernières décennies avec corruption et propagande : « Pour avoir été dans le système de l’intérieur, j’ai vu comment le clan al-Assad a utilisé notre football pour des fins politiques. C’est la fin d’un système mafieux. »

Durant tout son règne, Bachar al-Assad a fait du ballon rond un véritable outil politique, de propagande mais également de corruption, entre pots-de-vin, nomination de proches du régime à des postes décisifs (ce qui est pourtant prohibé par la FIFA, qui précise dans son règlement que chaque fédération doit être totalement indépendante et apolitique) ou encore matchs truqués. « L’arbitrage en Syrie n’était pas protégé par la Fédération, qui était elle-même corrompue. C’était l’anarchie. Beaucoup subissaient des pressions et finissaient par se laisser corrompre. C’était tellement banalisé », se remémore Mahmoud, qui lui a décidé de quitter la Syrie, notamment pour pouvoir exercer sa passion loin de toutes ces magouilles.

Que faisaient ces joueurs lorsque certains de leurs coéquipiers et compatriotes étaient tués ou emprisonnés ? La plupart ont profité du régime.

Orwa Kanawati, journaliste

Comme dans toute dictature qui se respecte, le sport est également un formidable outil de propagande, en atteste cette conférence de presse lunaire en novembre 2015 où le sélectionneur Fair Ibrahim débarque avec un tee-shirt en l’honneur du grand chef. « Dans tous les gymnases et les enceintes sportives en Syrie, il y avait toujours un grand tableau en honneur d’al-Assad. Si ce n’était pas le cas, le club ou l’association pouvait être rappelé à l’ordre et avoir des ennuis », explique Orwa Kanawati, journaliste originaire d’Alep et suiveur aguerri du football syrien.

Le début d’une nouvelle ère pour la sélection syrienne ?

Abdel Basset Sarout, Firas al-Ali, Jihad Qassab ou encore Amer Haj Hashim, pour ne citer qu’eux, car la liste est longue. Ce sont les noms de quatre joueurs qui ont décidé de défier et/ou s’opposer au régime d’al-Assad. Une défiance qui leur a coûté leur carrière (Al-Ali a notamment décidé de quitter la sélection pour rejoindre la sélection syrienne dissidente) et certains leur vie, comme Basset Sarout, devenu héros du peuple syrien, Haj Hashim et Jihad Qassab, tous les deux emprisonnés et morts dans leur cellule.

Mais pour la plupart des sportifs syriens, la crainte et la peur étaient trop fortes. Forcément, beaucoup ont attendu la chute du dictateur pour prendre la parole. Selon Kanawati, « c’est trop facile de célébrer et de dire qu’on a toujours été du côté de la révolution quand al-Assad est tombé. Que faisaient ces joueurs lorsque certains de leurs coéquipiers et compatriotes étaient tués ou emprisonnés ? La plupart ont profité du régime. » Une opinion que partage Mahmoud, mais qui apporte quelques nuances : « C’est compliqué de pouvoir parler quand on sait ce que faisait al-Assad aux opposants. Lorsque tu dénonces le régime et ses magouilles, ta vie et ton avenir en dépendent. C’est notamment pour ça que j’ai quitté mon pays. »

Quelques heures après la chute du régime, la Fédération syrienne de football (SFA) a changé les couleurs du logo et des maillots, passant du rouge noir blanc au vert noir blanc, celles de la révolution syrienne. « Le premier changement historique à se produire dans l’histoire du sport syrien, loin du népotisme, du favoritisme et de la corruption », a-t-elle déclaré dans un communiqué.

Un nouveau départ ? « Désormais, nos joueurs qui joueront pour la sélection représenteront la Syrie libre et pas un dictateur. C’est une libération qui va faire énormément de bien au sport syrien », avance Orwa Kanawati, pour qui la chute du clan al-Assad va également donner envie aux jeunes talents exilés de revenir au bercail. « On a beaucoup de jeunes joueurs talentueux qui ont quitté le pays, notamment à cause de la guerre, et qui pourraient être tentés de revenir pour porter les couleurs de notre sélection. Ils ont eu l’opportunité d’acquérir une nouvelle expérience dans des pays plus développés », argumente le président de l’Association (non gouvernementale) pour la jeunesse et le sport en Syrie.

Pour Mahmoud, qui aime rappeler que « la Syrie est un véritable pays de football », la chute d’al-Assad va également permettre de créer un regain d’intérêt et de passion autour de l’équipe nationale : « Ces dernières années, beaucoup de Syriens n’étaient plus derrière leur sélection, car ils avaient l’impression de soutenir Bachar al-Assad. Je pense qu’avec la fin de son régime, les gens vont avoir envie de retourner au stade et d’être derrière notre sélection. » Un constat également partagé par Ziad Majed. « Cette chute va libérer le peuple syrien et donc forcément les footballeurs, qui n’auront plus peur de jouer pour la sélection. Ils seront libérés d’un poids qui était devenu insupportable », souligne le professeur à l’université américaine de Paris et responsable des études du Moyen-Orient.

« On sera à la Coupe du monde 2030 »

Des joueurs libérés de l’emprise al-Assad, un (possible) regain de soutien et de ferveur autour des Aigles de Qassioun, très bien, mais ce n’est pas suffisant. Organigramme, infrastructures, politique sportive : tout est à refaire. Alors, par où commencer ? Pour Orwa Kanawati, la première chose à faire est de « récupérer les fonds gelés par la FIFA à la suite des suspicions de corruption », nécessaires notamment pour « financer les académies et reconstruire les stades et les centres d’entraînement que l’armée d’al-Assad a longtemps utilisés pour des fins militaires ».

Avec cette libération, les Syriens vont avoir envie de retrouver goût à la vie, et ça passe notamment par refaire du sport ou se rendre au stade.

Ziad Majed, universitaire

Si pour le moment, l’heure est à la délivrance et à la joie, le football syrien reste encore dans l’incertitude quant à son avenir. Les travaux sont colossaux et ce n’est pas encore une priorité pour le nouveau pouvoir en place. « La Syrie vient à peine d’être libérée. Le pays tout entier est à reconstruire et pour le moment, le sport n’est pas prioritaire et c’est normal. Le gouvernement a d’autres priorités et je pense que la solution peut venir des véritables amoureux et passionnés du football syrien, en travaillant aux fondations, c’est-à-dire à la formation », précise Orwa Kanawati.

« Il va falloir être patient », rappelle Ziad Majed. « On doit attendre le plan économique du nouveau gouvernement en place, les aides internationales », précise le professeur qui ajoute : « Le sport syrien va sûrement connaître un regain de popularité. Avec cette libération, les Syriens vont avoir envie de retrouver goût à la vie, et ça passe notamment par refaire du sport ou se rendre au stade. » Si l’avenir reste encore incertain, les Syriens semblent se remettre à rêver, parfois un peu trop, comme Orwa Kanawati : « Si on décide d’installer des personnes compétentes et pas corrompues aux postes clé et qu’on travaille bien, je suis persuadé qu’on sera à la Coupe du monde 2030. »

Dans cet article :
Après la chute du régime d’Assad, la sélection syrienne change de couleurs
Dans cet article :

Par Tristan Pubert

Propos de Orwa Kanawati, Ziad Majed et Mahmoud (*prénom modifié à sa demande) recueillis par TP.

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