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Antony Gautier : « La VAR pourrait être utile au conseil municipal »
Maire, arbitre de Ligue 1 : où s’arrêtera Antony Gautier ? Élu à la tête de Bailleul, 15 000 habitants, en juin dernier, le Nordiste de 42 ans a retrouvé les terrains lundi à l'occasion de Troyes-Le Havre, après cinq mois de disette footballistique. Entre VAR, Neymar et huis clos, rencontre avec Monsieur le maire.
Antony, ce lundi vous avez retrouvé le terrain avec Troyes-Le Havre en Ligue 2. Cinq mois sans match officiel, ça fourmillait dans les jambes ?Comme tout début de saison, c’était un moment important surtout après autant de temps sans compétition. Et puis c’était particulier, il y a des aléas à prendre en compte avec l’évolution sanitaire du pays. Mentalement, il faudra être prêt à ça jusqu’en mai prochain. La saison qui s’ouvre est singulière et la force d’un arbitre de haut niveau, c’est de savoir s’adapter.
Arbitrer à huis clos ou presque change-t-il la donne ?Ah, je vous le confirme. J’ai déjà l’expérience de quelques matchs à huis clos de Ligue des champions à Fenerbahçe où l’on connaît habituellement le contexte de ces matchs très chauds en Turquie. C’était une expérience beaucoup plus compliquée que d’arbitrer devant 80 000 personnes.
Vraiment ?Ça peut paraître incongru de dire ça, mais j’ai toujours vécu l’arbitrage dans des stades avec des milliers de spectateurs. C’est un paramètre que l’on a déjà pris en compte dans notre fonctionnement. Là, nous sommes sur des matchs de haut niveau sans public. L’ambiance est différente, les sensations aussi parce que la perception audible de ce qui se passe sur le terrain n’est pas la même. C’est un cadre qui demande davantage d’attention, car nous n’y sommes pas habitués. Concernant les relations avec les joueurs, elles sont toujours aussi saines et simples. Je vouvoie les joueurs, ça marche au respect et la qualité des échanges doit toujours être la même, que le stade soit plein ou non.
Et à côté de ça, depuis presque deux mois, vous êtes maire d’une commune de 15 000 habitants, à Bailleul. Comment ça se passe ?C’est un sentiment très positif, une expérience passionnante qui demande beaucoup d’exigence et un travail en équipe indispensable pour mener à bien les projets d’une population de 15 000 habitants.
Vous reprenez surtout une ville qui est dans une situation financière très compliquée…C’est même catastrophique. On a un maire sortant qui a dépensé beaucoup plus que ce qu’il n’avait. On se retrouve sur le budget sortant avec un million d’euros de factures impayées. Je savais que l’état financier de la ville était préoccupant avant d’être élu, mais je ne soupçonnais pas un tel niveau d’irresponsabilité. Pour moi qui suis très pragmatique et cartésien, on ne dépense pas l’argent que l’on n’a pas. C’est rarement vu en France et même jamais à Bailleul. Une enquête a été lancée par deux magistrats de la chambre régionale des comptes sur la gestion de la ville entre 2014 et 2020.
Et après avoir été surtout connu en tant qu’arbitre, vous avez une certaine légitimité à asseoir désormais avec ce mandat…Pas sur Bailleul. Ça fait 42 ans que je vis ici, j’ai cette notoriété, l’engagement associatif, notamment lorsqu’en 2018 et 2019, on s’est mobilisés contre des fermetures de classe. J’ai aussi eu une expérience d’élu à Lille (entre 2014 et 2020) qui a été un élément important dans ma prise de décision de me lancer dans cette campagne des municipales. J’étais adjoint avec une délégation à l’enseignement supérieur, à la recherche et au sport avec un budget annuel de fonctionnement d’un million d’euros et 300 agents. C’est une expérience que personne n’a au niveau de Bailleul, d’où mon engagement.
Quels ont été les retours du milieu du foot sur votre élection ?J’ai reçu plusieurs centaines de messages. Je savais que pas mal de personnes du milieu, dont des dirigeants, suivaient de loin cette aventure électorale. Déjà à Lille, j’étais le seul arbitre élu avant, là en étant maire, ça résonne d’autant plus. Je sens qu’il s’est passé quelque chose d’inédit.
Le regard du monde du football sur vous va-t-il changer ?Je ne pense pas. Lorsque vous êtes sur une pelouse, peu importe que l’on soit maire, avocat, employé de banque… La seule chose qui m’a toujours importé, c’est de prendre les bonnes décisions. Mon engagement d’élu était déjà connu lorsque j’étais aux côtés de Martine Aubry à Lille. Quand j’arrive dans un stade, ce n’est pas le maire de Bailleul qui débarque, mais l’arbitre de Ligue 1. Les choses sont très claires pour moi, et je ne mélange pas les deux.
Votre gestion des conflits sur un terrain peut tout de même vous aider au conseil municipal…Clairement. L’aspect de maîtrise émotionnelle est indispensable. Je suis d’un naturel assez calme, posé. C’est certain que la gestion des moments névralgiques d’un match ou d’un conseil municipal peut apporter certaines similarités. Il y a un point commun entre l’arbitre et le maire : sur le terrain, je suis là pour l’intérêt collectif, idem à Bailleul. En revanche, quand les opinions commencent à diverger, il y a des règles qui existent et s’imposent à chacun. Quand on est maire ou arbitre de Ligue 1, il faut tenir un cap et s’y tenir.
Entre le premier tour mi-mars et le second fin juin, vous n’aviez plus le foot et la campagne électorale s’est stoppée. C’était le pire moment pour vous ?Ce n’était pas interminable, mais incertain. On termine le premier tour, le 15 mars, avec un résultat encourageant où nous sommes en tête et puis brutalement on apprend qu’à partir du mardi suivant, le confinement démarre. De l’autre côté, les compétitions sportives s’arrêtent. Mon dernier match, c’était la demi-finale de Coupe de France entre Saint-Étienne et Rennes le 5 mars. À ce moment-là, on ne se dit pas du tout que la saison va être stoppée. Et puis le doute arrive, on ne sait pas si le second tour des élections aura lieu, beaucoup d’options sont avancées, et niveau foot, j’ai continué mon entraînement une à deux fois par jour comme si le championnat allait reprendre dans les semaines à venir. Ça ne servait à rien de se poser 36 000 questions de toute façon, il fallait garder son sang-froid.
Durant ces mêmes élections, on a pu constater que bon nombre des candidats issus du foot penchaient à droite de l’échiquier politique, hormis Vikash Dhorasoo chez les Insoumis. Aimer le foot, c’est forcément être conservateur et libéral ?Vaste question, c’est compliqué d’y répondre. J’ai toujours eu cette sensibilité de gauche et je la revendiquerai toujours. Certains moments m’ont marqué et ont déclenché ma mobilisation. Je pense notamment au second tour de la présidentielle en 2002 où nous avions le choix entre la droite et l’extrême droite. À ce moment-là, je me suis dit que ce n’était pas possible. Je devais m’engager et me battre contre l’extrême droite. Après, à l’échelon local, on voit surtout l’implication, la disponibilité du maire indépendamment de sa couleur politique.
Pour revenir sur vos nouvelles fonctions, vous avez l’impression que vous serez plus à l’aise au Vélodrome pour un Marseille-Paris ou au conseil municipal pour un vote du budget ?Très honnêtement, je ne me sens ni mal à l’aise pour un Classico, ni au conseil. Quand on met tout en œuvre pour que ça se déroule correctement, il n’y a pas de raisons que ça coince, même s’il y a toujours des décisions difficiles à prendre. Si on est équilibré psychologiquement et physiquement, c’est maîtrisable.
On sait à quel point le mandat de maire est très éprouvant. Le football est-il désormais votre bulle d’air ?Je ne considérerais pas le football comme une bulle d’air. J’ai construit toute ma vie en fonction d’un équilibre entre ma vie familiale – je suis marié et j’ai trois enfants – et ma vie sportive avec le football. Je vais commencer ma quatorzième saison en Ligue 1 et je suis actuellement l’arbitre avec la plus importante longévité. Et puis cet équilibre, il me le faut aussi avec ma vie citoyenne et politique. Tout cet équilibre m’apporte la force dont j’ai besoin.
Vous avez une vie assez singulière tout de même, non ? Vous êtes capable de gérer Neymar sur un terrain et puis dans la foulée de répondre à la petite mamie du coin qui veut absolument un ralentisseur pour casser la vitesse dans sa rue…Ça fait partie de ma vie, de la manière dont je me suis construit. J’ai toujours vécu à Bailleul, c’est ma ville de cœur, c’est mon quotidien. Je trouve ça normal de m’y mobiliser. Tout en étant toujours aussi passionné par le terrain, y compris si je dois gérer une tension avec Neymar. J’ai 42 ans, la chance d’avoir pu faire d’une passion un métier. Mais c’est aussi une chance que j’ai provoqué avec des sacrifices, des entraînements, une implication au quotidien.
Les conseils municipaux sont souvent l’objet de joutes verbales. Est-ce que la VAR ne serait pas de trop pour remettre à sa place un élu qui contesterait ce qu’on lui reproche d’avoir dit ?C’est vrai que la VAR pourrait être utile au conseil municipal. Mais je ne suis pas un adepte de la mauvaise foi. Comme sur un terrain, je dis ce que je fais et je fais ce que je dis. Il n’y a pas de faux semblant, chacun sera mis devant ses responsabilités comme sur une pelouse.
Vous êtes engagé comme maire pour les six prochaines années. Votre carrière d’arbitre sera-t-elle terminée d’ici 2026 ?Je ne sais pas encore. Depuis plusieurs années, il n’y a plus de limite d’âge pour exercer en tant qu’arbitre. C’était une discrimination. Je prendrai les saisons les unes après les autres. Mon activité au haut niveau est conciliable avec celle d’arbitre qui me laisse beaucoup de disponibilités. Et ce qui me guide depuis trente ans, c’est le plaisir d’être sur le terrain. Autant que je le pourrai, je continuerai.
Propos recueillis par Florent Caffery