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Griezmann, le drôle de point final

Par Maxime Brigand

Marqué par le choix de Didier Deschamps de ne pas lui filer le brassard de capitaine début 2023 et habillé d’un statut flou ces derniers mois, Antoine Griezmann aura vécu une drôle de fin de carrière avec l’équipe de France. 

Griezmann, le drôle de point final

Il est arrivé dans le tableau habillé en ailier fragile, début mars 2014, au Stade de France, les bras maigres et la tête encore en construction. Puis, Antoine Griezmann, dévasté au début de l’été suivant après être tombé d’un quart face à l’Allemagne, où on garde tous précieusement en tête une photo de lui sur la pelouse du Maracanã, consolé par les bras de Rio Mavuba et Eliaquim Mangala, est devenu un projet. Un projet fascinant à voir évoluer au fil des années, qu’il a fallu apprendre à savoir regarder, choyer, pour mieux en profiter. Il y a ici l’idée d’un fait qui a très vite été établi par l’ensemble des suiveurs : avec Griezmann, la France du foot a eu un incroyable talent, rare, générationnel. Un mec à ranger sur l’étagère de Platini et de Zidane, héros de toute une époque, aux côtés de Hugo Lloris, Raphaël Varane, Paul Pogba et Olivier Giroud, et même de toute une campagne russe. En 2018, le Mâconnais aura été l’âme de fond d’une équipe tournée autour de ses pieds et de ses poumons, le jeune ailier étant devenu, sous le regard de Diego Simeone, un pilote précis dans les transitions et un chasseur affamé. Bref, un équilibriste que Didier Deschamps aura utilisé plus qu’aucun autre joueur (137 matchs, dont 84 matchs des Bleus consécutifs) et avec qui le sélectionneur aura tissé au fil des années un lien fait d’un matériau spécial.

Le fils à Didier

À l’heure de discuter d’un pan d’histoire, un moment revient vite en tête, tiré de la fin 2022 et du Mondial au Qatar. Un vendredi de décembre, Antoine Griezmann était venu, avant le huitième de finale contre la Pologne, raconter des histoires de foot. Il avait, d’abord, parlé de ce qu’il est possible de ressentir dans les guiboles au cours d’une Coupe du monde, de « stress », de « jambes lourdes », du fait de « faire une passe et de ne pas sentir le ballon », de, parfois, ne « presque pas pouvoir jouer ». L’instant avait habillé Griezmann autrement : en leader qui s’assume, apprend aux jeunes à faire la grimace, choisit la couleur des murs et montre la voie, connecté à son sélectionneur de toujours.

Je donne tout pour la France, pour le maillot, pour lui. Chaque action, chaque match, c’est comme un merci que je lui envoie.

Antoine Griezmann, à propos de Didier Deschamps

À son sujet, ce jour-là, il avait dit : « En équipe de France, je lui dois tout. Il donne presque tous les pouvoirs au groupe et sur le terrain, c’est à nous de gérer. Je donne tout pour la France, pour le maillot, pour lui. Chaque action, chaque match, c’est comme un merci que je lui envoie. Je veux qu’il soit fier de son numéro 7. » Et à Doha, Deschamps l’a été, sans relâche, son relayeur luttant sur chaque bout de gazon et écrivant à sa manière l’esprit du 10. À savoir : « Je ne suis pas un joueur qui va tirer 50 fois par match. J’essaie surtout de trouver la meilleure solution parce que l’équipe a besoin de moi dans le cœur du jeu, pour faire le lien entre les défenseurs et les attaquants, et je ne vais pas me casser la tête. Moi, je veux plutôt trouver mes attaquants, les mettre dans de bonnes situations, et aider ma défense quand on n’a pas le ballon.  »

Décalage de regard

Après le Qatar, étrangement, on a vu venir autre chose, au loin. Un décalage naissant, qui a fait suite à un coup reçu en plein ego, début 2023. En mars, Deschamps a préféré filer le brassard de capitaine, historiquement tenu par Hugo Lloris, à Kylian Mbappé. Si la tête du bonhomme n’a pas changé radicalement, Griezmann a dû digérer un rêve dissipé : celui de jouer l’Euro 2024, en Allemagne, les cheveux au vent, avec le biceps enserré. Le patron des Bleus a beau avoir répété plusieurs fois que le sujet n’avait pas été « un sujet sensible », on concède ne jamais y avoir cru, d’autant plus quand on sait qu’Antoine Griezmann n’a jamais totalement compris pourquoi le pays tout entier ne s’était pas levé pour qu’il rafle le Ballon d’or en 2018. Ainsi, le sujet a plané, toujours un peu, au moment où Griezmann aurait aimé être le centre magnétique autour de qui le staff allait se reposer pour bâtir une génération post-2022. Un boulon a sensiblement sauté, et le joueur a longuement réfléchi à la suite de sa vie internationale, à 33 ans, alors qu’un nouvel Euro allait arriver et qu’une Coupe du monde dans un coin du monde qui le fascine se profile.

L’Euro 2024 de Griezmann, quasiment toujours à la droite de Didier Deschamps sur les photos officielles, a ensuite été une incompréhension, un flou inhabituel, un truc étrange à palper. Moins éclairé, le meilleur passeur de l’histoire de l’équipe de France a fait le job, sans jamais totalement être là, ce qui ne lui ressemble pas. Depuis vendredi, des bruits faisaient entendre que la fin était proche. Le dernier rassemblement avait indiqué une tendance : il n’aura eu sa place dans le onze de départ contre l’Italie que grâce à un forfait de dernière minute et a filé sur le banc face à la Belgique. Lundi, dans un communiqué, Deschamps a confirmé la chose en évoquant « le courage, la lucidité et l’honnêteté » dans « l’analyse » d’Antoine Griezmann.

On pourra regretter la difficulté du sélectionneur à mettre, dans plusieurs cas, un point final propre. Son histoire avec les Bleus l’a montré à plusieurs reprises avec des cadres de premier rang et ici, Antoine Griezmann préfère quitter la scène avant d’y écraser sa guitare. Ça ne serait pas le genre du mec, souvent solaire, qui a même souhaité annoncer son choix en amont de la prochaine liste pour éviter de ne trop polluer l’atmosphère. De fait, le sujet devrait quand même faire beaucoup parler au sein d’un groupe en quête de confiance et au-dessus d’une équipe qui voit son cerveau créatif ranger ses crampons, comme ça, sur un tweet publié un lundi matin, lu sur la route du boulot, quelques jours après l’annonce de la retraite sportive de Raphaël Varane. Peut-être est-il alors le moment idéal pour se rappeler, maintenant, des mots de Simeone, qui disait que « quand un mec parvient à ce que toute une équipe fonctionne autour de son cerveau, cela a une valeur inestimable ». Gardons ceci en tête : nous avons été des privilégiés.

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