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Antoine Griezmann, le Mâcon du cœur
S'il vit en Espagne depuis ses 13 ans, Antoine Griezmann reste d'abord un petit gars de Mâcon. Dans la préfecture de Saône-et-Loire, l'attaquant des Bleus a sa famille, ses amis et un tournoi de jeunes à son nom aujourd'hui. Voyage sur les terres de celui qui sera peut-être le frisson français de cette Coupe du monde.
Comme pour rappeler que le football vit à l’heure brésilienne cet été, la barre des 30°C est bien franchie en ce week-end des 7 et 8 juin sur le stade Nord de Mâcon. Le stade Nord, c’est cette plaine des jeux composée de quatre terrains en herbe et d’un synthétique situé, comme son nom l’indique, dans la partie septentrionale de cette ville de 40 000 habitants du Sud de la Bourgogne, peuplée d’administrations et encerclée des vignobles mâconnais et beaujolais. Même toute proche, la Saône, rivière qui termine sa course à Lyon, 70 km plus au sud, peine à offrir son brin d’air habituel si salvateur par forte chaleur. Seules quelques bonnes bourrasques d’air chaud et de poussière viennent balayer les visages des parents et de leurs enfants. Mais tous s’en moquent, car ils sont venus s’éclater à un tournoi de fin de saison, et pas n’importe lequel : le challenge Antoine-Griezmann, deuxième du nom. Une épreuve pour jeunes des catégories U8 à U14, riche d’environ 70 équipes, disputée là même où l’actuel numéro 11 de l’équipe de France a fait toutes ses gammes jusqu’à ses 13 ans avec l’Union du football mâconnais. Et à quelques bornes de sa maison familiale du quartier des Gautriats, où ce grand timide a passé des heures à martyriser la porte verte du garage, sous l’œil bienveillant de Maud, la sœur aînée de 26 ans, qualifiée de « fofolle » par Théo, le frère cadet de 17 ans, le clown de la famille, et ses parents, Alain et Isabelle.
Alain et Isabelle Griezmann lâchent quelques instants la table de marque et la buvette du tournoi et replongent dans leurs souvenirs. Impossible d’imaginer leur enfant de 23 ans sans du cuir au bout du pied dans ses plus jeunes années. « C’était 100% foot, oui. À la maison, on avait un couloir de quelques mètres de long et s’il n’était pas sur le terrain dehors, il y jouait. Ça m’arrivait de donner un peu de la voix, mais bon, comme le papa allait dans son sens et l’encourageait presque à continuer… » , évoque avec tendresse sa maman aux cheveux blonds peroxydés, sous le regard rieur de son mari. Le gamin est mordu, tombé dans la marmite tout petit, une question d’atavisme familial sans doute. Son grand-père maternel portugais a fait carrière à Paços de Ferreira, tout comme un grand-oncle, et son père, employé de la ville de Mâcon, mais aussi et surtout éducateur et entraîneur ayant sa renommée locale, passe beaucoup de temps au bord des terrains. Bien entendu, quand il va animer des séances d’entraînement avec ses seniors, Antoine – déjà le plus petit – le suit pour se nourrir et cultiver cette intelligence de jeu et cette qualité technique qui ont toujours été ses forces. Dès lors, une seule issue possible. « Déjà à l’école primaire, il n’avait qu’un souhait, c’était vivre de sa passion. J’ai retrouvé des rédactions qu’il a faites en 6e et il écrivait déjà qu’il serait footballeur pro » , assure maman.
« Antoine voulait ressembler à Pavel Nedvěd »
Julian De Cata et Martin Voir, deux proches qui côtoient le gamin depuis la catégorie débutant, se souviennent aussi d’un blondinet qui ne vivait que pour ça, le cuir chevillé au corps. « Les mercredis, on allait au stade de la Massonne, à Charnay-lès-Mâcon. Là-bas, les buts mobiles n’étaient pas attachés, mis à part une fois où on a fait sauter la chaîne à coups de marteau. On les mettait là où l’herbe était la plus verte et on faisait des Coupes du monde ou des Ligues des champions. On prenait une équipe et celui qui claquait le plus de reprises sur des centres gagnait. Quand Antoine marquait, tu le voyais partir glisser le plus loin possible sur les genoux. La célébration du but, c’était toute une histoire, presque plus important. »
Le football occupe énormément de place, presque trop. Il prend en tout cas le dessus sur le plan scolaire. Son frangin, Théo, livre deux anecdotes à ce sujet. « Je suis tombé sur son agenda lorsqu’il était scolarisé à Bayonne. Dans les pages blanches à la fin, j’avais retrouvé des dessins de lui, où il se représentait comme s’il répondait au micro de Canal +, avec les questions, ses réponses et tout… Je sais aussi qu’une autre fois, il s’est fait surprendre dans les toilettes alors qu’il devait être en cours. Il y jouait encore au foot avec un autre mec… » Julian De Cata se rappelle lui de la fin d’année de 3e de son pote. « On était chez moi autour de la piscine avec les amis et il nous racontait qu’il avait torché toutes ses épreuves de brevet en à peine 45 minutes, qu’il s’en foutait. Juste derrière, il reçoit un coup de fil d’une personne de son collège, qui lui annonce qu’il a eu le diplôme. Là, il s’est mis à sauter à la flotte comme s’il célébrait un but tellement il était refait. » Les meilleurs moments de la semaine restent d’ailleurs le soir venu, pour l’entraînement, ou le week-end, comme ces matchs avec Mâcon, en jeunes, où lui et son alter-ego capillaire du milieu de terrain, Jean-Baptiste, à la même crinière blonde que lui ( « Antoine voulait ressembler à Pavel Nedvěd » , dixit Isabelle Griezmann, qui lui colorait la tignasse) régalent et se montrent clairement au-dessus. « Et c’est là qu’il a commencé à prendre des claques » , poursuit son père.
Le Club 400 ou la Clé des champs avant la virée du Havre
La suite logique doit passer par un centre de formation. Alain accompagne le fiston et lui remonte le moral face aux portes qui se ferment pour ce physique chétif. « On est allés ensemble à Lyon, Auxerre, Sochaux, Montpellier, Saint-Étienne. Metz aussi, deux fois. C’est d’ailleurs avec ce club que j’ai eu le plus mal pour lui. La seconde fois, il devait être pris, et au dernier moment, les Messins changent d’avis, toujours parce qu’ils le trouvent trop petit, alors que le gamin avait du ballon, hein, vraiment beaucoup de ballon. » Alors quand Eric Olhats, recruteur à la Real Sociedad, lui tape sur l’épaule lors d’un tournoi à Paris à 13 piges pour lui refiler sa carte de visite, celui-ci se méfie. Mais son père veut y croire et l’envoie passer les tests, tandis qu’Isabelle Griezmann se retrouve cernée par la peur de voir son rejeton livré à lui-même. « Au début, ça a été dur pour moi, oui, très dur… Mais en même temps, même si Antoine ne parlait pas un mot d’espagnol et que je n’étais pas rassurée à l’idée de le voir si loin de nous, les éducateurs nous avaient rassurés après ses tests. Ils nous ont dit que non seulement il était pris au centre de formation, mais qu’en plus, il deviendrait pro. » La délivrance ? Oui, mais pas dénuée de souffrances.
Papa, le petit frère et maman
Depuis ses 13 ans, Antoine Griezmann vit loin de ses attaches. Il étudie côté français du Pays basque et repasse la frontière pour faire ses gammes à la Cantera txuri-urdin. Difficile de lâcher les parties de FIFA en pagaille avec les potes, les chamailleries avec le petit frère ou les repères de toutes sortes. Le gamin craque, à plusieurs reprises. La nuit ou la solitude le ramènent vite dans ses pensées à Mâcon. Alors, dès que les vacances se profilent, il saute dans le premier avion et rentre. « Il en avait besoin, de ça, encore aujourd’hui. D’ailleurs, après le match amical contre le Paraguay à Nice avec les Bleus, où Didier Deschamps leur a laissé à tous deux jours de coupure, il est revenu. Il peut très bien ne rien faire et juste se poser pour profiter, mais il faut qu’il revienne » , signalent ses parents, pour qui le chemin du retour de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry était aussi un calvaire lors des premières années à San Sebastián : les pleurs du fils à l’aller, le cœur gros comme ça des parents au retour.
À l’adolescence, les vadrouilles avec le cercle de potes de toujours sont plus à l’ordre du jour au moment des retrouvailles. Avec quelques virées dans les boîtes du coin comme le Club 400 ou la Clé des champs, sans trop se faire alpaguer tous les cinq mètres par les intéressés « qui ont tous joué contre lui une fois dans leur vie, même à 35 ans » . Des virées qui seront jetées aux oubliettes après la fameuse sortie en boîte avec les quatre autres espoirs à l’automne 2012. « Il a pris énormément en maturité d’un coup d’un seul après cette boulette » , assurent ses amis. Et Théo, le plus petit de la fratrie, d’ajouter : « Dès le retour au Havre ce soir-là, il s’en est voulu. » « Il n’a jamais trop voulu en parler avec nous, signe que ça le gêne » , rajoutent Julian et Martin.
Antoine le grand frère
Le garçon prend du plomb dans la tête. Finies les virées à Cannes où il emmenait ses potes passer la journée et la nuit avec Clément Grenier. Terminés la malbouffe et les MacDo à gogo. Exit les excursions à l’arrache à Europa Park à finir arrêté par la BAC allemande, intriguée par cette voiture de sport immatriculée en Espagne avec quatre jeunes Français à son bord. Le voilà reparti sur de nouvelles bases. Au quotidien, il redouble d’efforts au bon souvenir des séances d’entraînement de forcenés de ses éducateurs mâconnais, comme Jean Belver, illustre capitaine de l’OGC Nice des années 1950, qui aimait bien faire tirer ses protégés pieds nus en hiver pour leur passer l’envie de frapper n’importe comment. Le voilà aussi désormais plus tourné vers sa famille, plus à l’écoute et sensibles à ses proches. Comme l’illustre le petit frère, Théo, qui avait déserté les terrains de jeux : « Plus jeune, je jouais au foot comme lui. Sauf que ça me soulait, donc je jouais, j’arrêtais, je reprenais, etc. Jusqu’au jour où je me suis mis à fond dans les jeux vidéo. J’étais vraiment à bloc et c’est vrai que je sentais que je me renfermais sur moi-même. Et Antoine a été là pour me dire que ça allait trop loin, que je devrais reprendre le sport et tout… Ça n’a pas toujours été le cas, notamment à cause de la distance, mais aujourd’hui, j’ai un vrai grand frère. »
Le garçon donne de sa personne et de son temps pour les siens. Ainsi, au stade Nord de Mâcon, pour la première édition de son challenge, en 2013, il n’avait pas hésité à venir pour faire scintiller des centaines paires de jeunes yeux en restant près des terrains toute la journée avec Erika, sa compagne, et ses amis. Toujours disponible pour faire plaisir aux gamins d’une photo ou d’un autographe, il avait en plus convaincu son pote Alexandre Lacazette. Le coup de comm’ de la starlette, disent les mauvaises langues ? Maman défend son petit. « Antoine est resté toute la journée bien sûr, et le soir, alors que les organisateurs en avaient presque fini et pouvaient souffler, il a pris un sac poubelle et est parti ramasser tous les gobelets qui traînaient par terre. Alors que personne ne lui a demandé… On sait que notre fils a des valeurs et on y tient. » Comme lui tient à la propreté des terrains, son paradis sur terre.
Par Arnaud Clement, à Mâcon