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Antoine Griezmann, à nos actes manqués

Tous propos recueillis par Nicolas Jucha
Antoine Griezmann, à nos actes manqués

Entre 2003 et 2005, Antoine Griezmann a fait le tour de France avec son père pour trouver une place dans un centre de formation. Lyon, Auxerre ou encore Metz ont hésité, au contraire de la Real Sociedad. Les recruteurs et éducateurs de l'époque racontent comment ils sont passés à côté du meilleur joueur français du moment.

Acte I : Auxerre (fin 2003)

Daniel Duroir (responsable U14 AJ Auxerre) « Il a joué plusieurs fois contre moi dans ce qui s’appelait les moins de treize ans à l’époque. Il n’est pas loin d’avoir battu mon équipe à lui seul. On a fini deuxièmes derrière l’UF Macônnais, et Antoine m’a mis le foin sur les matchs aller et retour. J’étais séduit, c’est sûr. C’était un tout petit blond certes, mais avec une technique et une vision du jeu hors du commun. On l’a fait venir plusieurs fois en détection, je voulais le faire signer, mais certains collègues ont dit non, car il était trop petit à ce moment-là. Je ne vais pas dire qu’ils étaient totalement contre, mais réticents à cause du gabarit, ils attendaient de voir son développement. Le responsable technique à l’époque, c’était Daniel Rolland, on en a reparlé récemment, il m’a dit : « Je m’en souviens, j’ai déconné. » On cherchait des profils plus grands et athlétiques à l’époque, on en est revenus depuis longtemps d’ailleurs, mais il n’est pas tombé dans la bonne période avec sa morphologie. »

Daniel Rolland (ancien directeur de la formation à Auxerre) « Il jouait dans le même championnat en U13, il avait une très belle équipe à Mâcon. Cela m’avait un peu alerté, j’avais vu notre match contre eux, et j’avais repéré le petit, il était au-dessus du lot.
Il était en retard physiologiquement, mais il avait des qualités techniques naturelles. On ne l’a pas refusé du tout, je n’ai même pas rencontré ses parents.

Mais la formation, c’est à partir de quinze ans, donc cela ne me concernait pas. Moi, je ne connaissais même pas son nom à Griezmann, j’ai fait le rapprochement beaucoup plus tard. J’avais été dire à notre entraîneur des U13 qu’ils avaient deux très bons à Mâcon, dont ce petit blond… Il était en retard physiologiquement, mais il avait des qualités techniques naturelles. On ne l’a pas refusé du tout, je n’ai même pas rencontré ses parents. Je le saurais si Daniel Duroir avait poussé pour son recrutement. Entre Mâcon et Auxerre, il y a plus de 200 km, on est juste dans la même région de Bourgogne, c’est pour cela qu’on les affrontait en championnat. Plus les gamins sont jeunes, plus c’est difficile de recruter, c’est pour cela que la plupart des clubs qui l’ont vu ont décidé de le mettre en attente. C’était « à suivre ». »

Bernard Tess (recruteur pour l’AJ Auxerre sur Mâcon) « Je l’ai emmené en journées de détection avec d’autres joueurs destinés au centre de pré-formation de l’AJA. Cela a duré 2-3 années, je l’ai découvert quand il avait neuf ans. Je leur amenais pour qu’ils puissent le recruter, mais ils n’ont rien fait pour aller dans ce sens, alors qu’il a fait plusieurs tournois avec eux. Daniel Rolland peut dire aujourd’hui qu’il n’a pas refusé Griezmann, mais c’était le seul à s’être opposé à son recrutement. Il a balayé ça d’un revers de la main, il ne prenait que des grands, des athlètes avant toute chose à l’époque. Yann Lachuer était notre meneur de jeu, 1m76… On avait fait des radios du poignet du garçon, histoire de se placer dans la prospective de 1,75m, il n’y avait aucun souci pour un joueur qui donnait entière satisfaction. Très récemment, j’étais à l’enterrement de Jean Belver, l’éducateur d’Antoine à Mâcon. Jean m’avait promis : « Celui-là Bernard, il est pour toi et l’AJ Auxerre. » J’allais voir le gamin depuis ses neuf ans, et le papa Belver savait aussi à qui il avait affaire, il avait l’œil. Il y a un paquet de clubs qui l’ont loupé finalement, hein ! »

Alain Griezmann (père de) « On n’a pas rencontré Daniel Rolland, ni personne à part Bernard Tess et Daniel Duroir à Auxerre. Les deux étaient intéressés par Antoine, mais Daniel Rolland a assisté à un match et il a dit non. Rolland a bien assisté à un match Mâcon-Auxerre et a refusé de prendre Antoine. »

Acte II : Lyon (courant 2004)

Gérard Bonneau (directeur du recruteur formation OL) : « Je suis toujours gêné quand j’entends ou lis qu’Antoine Griezmann n’a pas signé chez nous à cause de son gabarit. Cela n’a rien à voir avec la taille, si vous voyez Reale, ce n’est pas une armoire. Il n’y a pas eu d’évaluation d’Antoine sur sa taille. Il vivait à 70km de Lyon, il y avait une réglementation qui nous empêchait de faire signer un gamin domicilié à plus de 50km avant ses quinze ans. C’était bien plus compliqué que ce que l’on peut lire régulièrement sur le sujet. On avait décidé d’être sur un suivi, mais la Real Sociedad est arrivée très vite. C’est sûr que l’on regrette quand on voit le joueur qu’il est devenu. Mais il y en a eu d’autres que l’on a raté, c’est difficile de faire un choix sur un joueur de treize ans. À l’époque, on avait Yanis Tafer sur le même poste, il était très prometteur et il était de notre région Rhône-Alpes, donc on avait pu le prendre. Il est venu plusieurs fois s’entraîner au club, faire des tournois avec nous. Il était très bon techniquement, mais dans sa catégorie et à son poste, il y avait déjà beaucoup de monde. »

Alain Dutheron (recruteur sur la région pour Lyon) « Je m’entendais bien avec son éducateur, un ancien joueur pro, Jean Belver. Il m’avait alerté, je suis allé moult fois le voir jouer, on l’a fait venir un certain nombre de fois. UF Mâconnais était partenaire de l’OL, c’était à une demi-heure. On lui a trouvé de superbes qualités.
Il était tout petit, tout blond, tout fin, mais quand il entrait sur le terrain, ce n’était plus le même. À chaque match où je l’ai vu jouer, il a marqué des buts.

Mais quand il est venu le temps de statuer, on avait une superbe génération locale avec Grenier, Reale, Lacazette, Tafer. Vu que l’UF Mâconnais était un club partenaire, à une demi-heure de Lyon, on s’est dit : « Pas de soucis, on le laisse un peu là-bas. » On a proposé un ANS (accord de non-sollicitation, ndlr) au papa, qui nous a dit : « Oui, on verra« , puis Antoine est parti faire un tournoi avec Montpellier, et le recruteur de la Real Sociedad l’a pris là-bas… Il était tout petit, tout blond, tout fin, mais quand il entrait sur le terrain, ce n’était plus le même. À chaque match où je l’ai vu jouer, il a marqué des buts. C’était un pilier de son équipe, et il était toujours décisif sans être un attaquant de pointe. Quand il a opté pour la Real, j’ai demandé à son père : « Vous étiez pressé ou quoi ? » Je crois que le recruteur de la Real Sociedad a aussi su le prendre par les sentiments… Nous, on pensait avoir le temps, mais c’est une évolution problématique aujourd’hui, les recruteurs, les agents, tout le monde descend dans les catégories, même jusqu’aux U11… »

Alain Griezmann (père de) : « Pour Lyon, faut voir qu’il y avait une énorme génération, avec Lacazette, Tafer, Grenier, Reale… Je comprends qu’ils étaient obligés de signer un joueur meilleur que ceux-là. C’était compréhensible qu’ils ne le prennent pas, la plupart étaient internationaux, ont fait l’ossature de l’équipe championne d’Europe U19 en 2010. Mais Antoine aime Lyon, car on allait tout le temps aux matchs. J’étais ami avec le kiné de Lyon, Patrick Perret, il nous permettait d’assister aux mises au vert, de rencontrer les pros. »

Acte III : Metz (fin 2004)

Denis Schäfer (directeur de la formation à Metz) « Il est venu plusieurs mois chez nous. Ce que l’on a entendu sur la gestion de son cas à Metz, c’est exagéré. Quand il était à Mâcon, c’était un bon joueur, un bon technicien, comme beaucoup à cet âge-là.
Je suis certain que s’il avait habité à 100km d’ici, on l’aurait pris tout de suite s’il était régional. Quand un garçon vient de plus loin, on réfléchit plus, on ne veut pas le mettre dans la difficulté.

On l’avait identifié comme tel, sur notre classification, il était marqué niveau 1, les garçons intéressants de sa génération. Mais je pense que c’est pareil dans tous les clubs où ils l’ont vu. Je suis certain que s’il avait habité à 100km d’ici, on l’aurait pris tout de suite s’il était régional. Quand un garçon vient de plus loin, on réfléchit plus, on ne veut pas le mettre dans la difficulté. S’il avait été mosellan, il était chez nous. Notre vocation est essentiellement régionale, entre 75 et 80% de nos garçons sont de la région. On a Gauthier Hein et Vincent Thil aujourd’hui en pro, cela prouve qu’il y a la place pour les petits. À ces âges-là, on évite de prendre un joueur qui ne pourra pas rentrer chez lui le week-end, on fait plus attention, car sinon cela peut être déstabilisant, on s’engage sur la vie et le futur du garçon. »

Alain Griezmann (père de) : « On y est allés deux fois de suite, la première fois, ils ont dit : « On veut revoir votre fils, techniquement, c’est très bon. » La seconde fois, ils m’ont dit la chose suivante, devant Antoine : « Votre fils pour moi, il faut qu’on le prenne, mais il va jouer le week-end à Mâcon pour ne pas le couper de sa ville natale, mais la semaine, il va aller à l’école et s’entraîner à Metz. » Puis on a attendu la réponse officielle, une semaine, deux semaines, trois semaines, quatre semaines. Et là, j’ai dit à Antoine : « Ça ne sent pas bon. » Puis on a eu une réponse négative en décembre. »

Acte IV : Sochaux (fin 2004)

Christian Walgenwitz (éducateur préformation à l’époque à Sochaux) « Fabien Ozubko, qui était conseiller technique régional du Jura, m’appelle un jour et il me dit : « Christian écoute, il y a un super joueur à Mâcon, le fils d’un copain, il s’appelle Antoine Griezmann. Tu verras, c’est un petit blond, un petit gabarit, mais vraiment un très bon joueur. » Ensuite, j’ai signalé le gamin, car Fabien était un mec fiable. J’ai relayé l’info chez nous, mais cela n’a pas été suivi d’effet. Quand un CTR, avec qui en général on a de bonnes relations, nous signale un joueur, c’est vraiment qu’il s’agit d’un top joueur. Eux, ils en voient beaucoup, donc ce n’est pas toutes les semaines qu’ils vont nous appeler pour nous dire qu’untel a le potentiel pour devenir pro, c’était un signal fort. »

Fabien Ozubko (ancien CTR du Jura) : « On était à l’époque dans la mouvance du joueur athlète, et Antoine Griezmann ne rentrait pas dans les cases. Pourtant, il allait très vite avec le ballon, il était tout petit, mais endurant… C’était un pari, il avait du talent. Les premières fois que je l’ai vu jouer, contrairement aux autres pas très sûrs de leur technique, lui avait tout le temps la tête levée. Il lisait le jeu plus vite et avait un pied plus rapide. Le constat, c’est qu’à chaque endroit, on lui a fait comprendre que c’était un bon joueur de foot, mais que le pari était trop risqué. »

Épilogue

Daniel Duroir (Auxerre) « S’il était resté en France, il serait rentré à nouveau dans le circuit fédéral ou pro. Il était en retard de croissance à treize ans, personne n’a pris le pari à l’époque. Aujourd’hui, on prend plus de risques, peut-être grâce à des histoires comme la sienne, celles de petits joueurs qui ont réussi. Il y a une faille dans la formation : la volonté de construire des équipes pour gagner, plutôt que d’être patients et de prendre les gamins qui auront les plus grands qualités une fois à l’âge adulte. Peut-être qu’il n’aurait pas réussi sans partir en Espagne. Les échecs forgent aussi le caractère, cela a dû l’aider. William Vainqueur n’est pas resté chez nous, et encore aujourd’hui, quand il m’en parle, il me dit : « Tu as eu raison de me mettre dehors, cela m’a mis une tarte dans la figure, j’aurais pas réussi sans ça. » Ribéry aurait-il réussi sans être viré de Lille ? Ou Valbuena sans être recalé à Bordeaux ? Chacun son histoire, un échec parfois, cela donne de la motivation pour prouver ses qualités. »

Gérard Bonneau (Lyon) « Regardez Nabil Fekir, on est allé le rechercher dans le foot amateur. Griezmann, c’est certain qu’on l’aurait pris tôt ou tard s’il n’était pas allé à la Real Sociedad, surtout au vu de son évolution.
Quand vous choisissez un joueur, il faut garder beaucoup d’humilité, et le joueur que vous refusez doit garder espoir, car un refus entre treize et seize ans, la route est loin d’être terminée.

Après, est-ce que ce garçon s’est mieux exprimé parce que les méthodes d’apprentissage en Espagne étaient plus adaptées à son profil ? Vous savez, il ne faut pas être définitif lorsque vous faites des choix sur un gamin de treize ans. Il ne faut surtout pas dire : « Lui est bon, lui non. » À l’instant T, vous travaillez avec un groupe de 18 joueurs plus deux gardiens, deux ans plus tard, peut-être que certains gamins qui n’étaient pas au niveau le sont désormais pour entrer dans le groupe. À treize ans, on parle de recrutement, mais c’est difficile jusqu’à seize ans pour recruter un joueur. Quand vous choisissez un joueur, il faut garder beaucoup d’humilité, et le joueur que vous refusez doit garder espoir, car un refus entre treize et seize ans, la route est loin d’être terminée. »

Alain Dutheron (recruteur Lyon) « Je lui tire mon chapeau pour ce qu’il a fait gamin, loin de sa famille, si jeune. C’est la preuve d’un mental extraordinaire. Éloigner un enfant de sa famille, c’est accentuer le risque d’échec, c’est pourquoi on essaie d’avoir en priorité un recrutement régional. »

Daniel Schäfer (FC Metz) « On peut critiquer la formation française, mais on reste le pays qui forme le plus de joueurs dans les cinq grands championnats. Griezmann est passé entre les gouttes, mais combien d’autres ont été bien formés ? Quand je vois le nombre de recruteurs étrangers qui viennent voir nos joueurs de treize ans, je me dis qu’on ne doit pas si mal bosser que cela. Chez nous, le football se joue partout, je suis persuadé qu’il y a plein de joueurs à côté desquels tout le monde passe. Parce qu’ils étaient dans un petit club de village, qu’ils n’ont jamais été dans une structure d’accompagnement. »

Alain Griezmann (père de) « Mon rêve, cela aurait été qu’un club français le prenne, même un an seulement, et s’il n’était pas bon, il rentrait à la maison. Mais non, on ne lui a pas donné sa chance, on ne peut pas le dire autrement. Moi personnellement, j’aurais préféré qu’il joue en France, cela m’aurait évité de me claquer 900km en voiture tous les week-ends pour aller le voir. J’aurais préféré aller à Lyon. Je pars du principe qu’on ne lui a pas donné sa chance. Le physique, la vitesse, sa taille à dix-huit ans, on s’en fout. Il fallait le prendre un an et voir ce qu’il avait dans le ventre. »

–> SOFOOT #143, en kiosques ce jeudi 2 février

Dans cet article :
Un espoir lyonnais s’envole vers la Juventus
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