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Anin, tragédie d’une trajectoire
Victime d’un terrible accident de voiture lundi soir, Kevin Anin (26 ans) a été placé dans un coma artificiel par les médecins du CHU de Rouen. Le Niçois ne devrait plus jamais rejouer au foot et les pires bruits circulent sur son état de santé. Une nouvelle preuve qu’avant toute autre chose, la vie est une garce.
Colonne vertébrale touchée, probable perte de l’usage des jambes, multiples fractures au bras gauche et parfois même des gros mots comme « amputation » . Mardi soir, toutes ces horreurs ont varié en fonction de leur source. Et aussi approximatives soient-elles, elles ont le mérite de se rejoindre sur un point : l’état de Kevin Anin a dépassé le cap de l’inquiétant.
Lundi peu avant minuit, sur une portion d’autoroute située à une soixantaine de kilomètres de Rouen, la voiture dans laquelle se trouvait le milieu de terrain niçois et trois autres personnes a terminé dans le décor après avoir effectué plusieurs tonneaux. Installé sur la banquette arrière, Anin n’a pas été épargné par la violence de la sortie de route. Le genre de scène qui a lieu tous les jours mais qui résonne un peu plus fort quand l’une des victimes a une certaine notoriété. Kevin Anin en fait partie et se serait bien passé de ce privilège. Du haut de ses 26 ans, le Havrais a d’ailleurs largement pris le temps de rappeler que sa rencontre avec le football était plus un malheureux hasard qu’un cadeau tombé du ciel. « C’est le plus beau métier du monde. Mais il y a plein de choses que je n’aime pas trop. Les gens autour, leur hypocrisie, je n’aime pas trop ça. On a beau gagner de l’argent, quand le cœur n’y est plus… On m’avait dit que c’était un monde de putes. C’est vrai » , déclarait-il en décembre 2011 à RMC juste avant de quitter Sochaux.
Rencontre avec Wenger et insomnies
Les qualités footballistiques du gaillard avaient pourtant de quoi lui assurer une vie confortable. « Sur le plan athlétique, il est monstrueux. Pour moi, c’est un joueur qui peut évoluer dans les cinq, dix plus grands clubs européens » , estimait encore l’an passé Johann Louvel, directeur du centre de formation du HAC. Mais trop bousillé de l’intérieur, trop mélancolique et trop intègre pour supporter un « milieu » du foot mi-crapules mi-catins, le Martiniquais n’a pas tardé à tomber dans une profonde dépression. « À un moment donné, je me demandais vraiment ce que je foutais dans ce milieu. Il ne me ressemble pas, rappelait-il récemment dans L’Equipe. J’ai des périodes où je vais dire que j’ai hâte d’être au match et d’autres, quand je ne suis pas bien dans ma tête, où tout me saoule. On me dit de faire abstraction de ce qui se passe en dehors du football, de me concentrer sur le terrain. Certaines personnes y arrivent, pas moi. »
Après son transfert avorté de Sochaux à Arsenal lors d’un été 2011 au cours duquel Arsène Wenger s’était notamment entretenu à son propre domicile avec le joueur, Anin craque et renforce sa réputation de mec immature et hypersensible. Le temps continue d’avancer et le double champion de Normandie de boxe française le regarde défiler depuis son canapé, télécommande en main. Il sèche les entraînements et ne s’invente pas d’excuse : « Je ne me lève pas le matin parce que je me couche trop tard, je regarde la télévision. Mais, ma main à couper, je ne sors pas, ce n’est pas mon délire ! Parfois, aussi, je n’ai pas envie de venir à l’entraînement et je vais le dire. Je sais, ce n’est pas bien, cela va faire parler mais je dis la vérité. » Anin a à peine 25 ans et veut arrêter le foot. Sa mère confirmera quelques mois plus tard que son fils traverse cette période armé d’un très sérieux traitement afin de lutter contre ses insomnies.
Rappeur du Mont-Gaillard
La presse nationale le fait pourtant passer à ce moment-là pour un quelconque branleur vexé qu’on l’ait empêché d’aller monnayer son talent en Premier League. Anin ne boit pas, ne fume pas, mais qu’est-ce qu’il peut susciter de fantasmes ! Deux scènes prouveront plus tard que l’argent n’est pas son carburant. En janvier 2012, alors qu’il a donné un simple accord verbal à l’OGC Nice, un club anglais débarque et lui propose un salaire équivalent à deux fois et demi ce que lui proposent les Aiglons. Fuck les livres sterling, Anin est un homme de parole et rejoint la Côte d’Azur car il « marche à l’affectif » . Il y retrouve ses amis normands Didier Digard et Kevin Gomis. Mais encore ? L’hiver dernier, après avoir manqué la première partie de championnat avec Nice à cause de sa fragilité psychologique qui le pousse à rester enfermé dans l’appartement familial au Havre, Anin est pressenti du côté du HAC, son club formateur. Il aurait alors proposé de venir en acceptant de diviser son salaire par deux. Mais le président haut-normand Jean-Pierre Louvel balaiera cette piste sans le moindre tact : « Dans un contexte où on essaie de défendre certaines valeurs et de bannir certains comportements dans le football français, cela me semblerait totalement absurde de reprendre ce type de joueur. » Le milieu défensif n’a pas besoin de répondre. Il a déjà tout dit un an plus tôt au moment de s’engager à Nice : « Je suis comme je suis. J’aurais bien aimé être autrement. »
Ultime moyen de prouver qu’il n’est pas fait pour rentrer dans le moule de l’archétype du footballeur français version 2013, Anin passe toutes ses vacances au Havre. Il est amoureux de sa ville grise, fait les cent pas sur la place du Mont-Gaillard. La nature a forcé Anin à se mêler à un milieu qui ne lui correspond pas. Il aimerait avoir de nouveau quinze ans et respirer loin de ce « milieu d’enculés » qui lui ronge le cerveau. Adolescent, Anin appartenait à un groupe de rap composé de trois gars de la « BAF » (Bigne à Fosse, partie du quartier du Mont-Gaillard). Le nom de son groupe ? Parano. Son nom à lui ? « Skyz » aka « le blessé » . Un des titres de Parano s’intitulait « J’ai un problème dans ma tête » . Le temps et l’argent n’ont pas aidé Kevin Anin à se soigner. Au contraire.
Par Matthieu Pécot