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Angleterre : sang, larmes et espoir
Si la Premier League est le championnat le plus riche et médiatisé au monde, les parcours n'en sont que plus rudes pour les jeunes talents anglais qui veulent y percer. Si bien que dans la sélection anglaise de Gareth Southgate, une majorité de joueurs a galéré avant de s'installer au plus haut niveau. À l'heure d'affronter la Suède pour une place en demi-finales, ces incidents de parcours sont autant d'arguments en faveur des Three Lions.
Le but in extremis de Yerry Mina n’a pas ménagé les cœurs fragiles. Pour un pays maudit dans les séances de tirs au but, se voir pousser en prolongation au bout du bout du temps additionnel, cela sent le sapin. Mais dans la tempête, un homme plus que les autres a su garder son calme : Gareth Southgate, manager des Three Lions et auteur du fameux tir au but repoussé à l’Euro 1996 synonyme d’élimination. Depuis son banc, le technicien n’a pas semblé ressasser son échec personnel, mais bien s’en nourrir. Et le dos bien droit, la mine impassible voire sereine, s’est contenté d’un sobre « Keep calm » à l’intention de ses hommes, susceptibles à ce moment du match de partir en vrille.
Conséquence directe ou non de la maîtrise émotionnelle de Southgate, l’Angleterre se retrouve donc en quarts de finale du Mondial avec l’annihilation de la malédiction des penaltys et un tableau relativement dégagé qui laisse croire à une majorité du pays que « Football is coming home » . Comprenez que la coupe va finir à Londres. Dans le Royaume, les 23 joueurs de Southgate sont en train d’engendrer un sentiment d’unité rafraîchissant, entre ceux qui saluent la fierté retrouvée du peuple anglais et ceux qui louent la diversité culturelle du groupe composé de onze joueurs de couleur.
« Des jeunes gens gâtés »
Alors, quand Hakan Mild, héros de la Suède au Mondial 1994 et actuel directeur sportif de l’IFK Göteborg, a décrit l’équipe d’Angleterre comme un bon tirage au sort à l’antenne de la radio nationale suédoise, il a provoqué une réaction de solidarité chez les supporters anglais. Car pour eux, les actuels Three Lions ne sont pas les « jeunes gens gâtés qui gagnent plein d’argent » décrits par l’ancien milieu de terrain scandinave. Si ce dernier marque un point concernant les niveaux de rémunération des internationaux anglais en comparaison à l’effectif suédois, il omet complètement les parcours cabossés de la très grande majorité des joueurs choisis par Southgate.
Tous – ou presque – ont en effet connu les « joies » des divisions inférieures anglaises – soit en formation et début de carrière, soit en prêt –, avec une mention spéciale pour le héros d’Angleterre-Colombie Jordan Pickford. Gardien de but le plus cher de l’histoire depuis l’été 2017, il a aussi la particularité d’avoir enchaîné six prêts entre 2012 et 2016, devenant à 21 ans l’un des rares joueurs à avoir évolué dans les cinq premières divisions anglaises. Un parcours assez chaotique pour lui faire vivre une relégation de Conference Premier – la cinquième division – avec l’équipe de Darlington en 2012. Six ans avant de briller en Coupe du monde.
Les recalés Kane-Trippier, les estropiés Delph-Butland
Un an encore en arrière, c’est dans l’équivalent de la septième division qu’évoluait Nick Pope, l’une des deux doublures au poste de gardien. Un joueur simplement « correct » au moment où il débarquait en Premier League pour être la doublure de Tom Heaton à Burnley. Dans chaque ligne, l’équipe d’Angleterre est ainsi nourrie d’hommes qui se sont construits dans les profondeurs de la pyramide professionnelle anglaise. Soit parce qu’ils ont été formé au bas de l’échelle (comme un Harry Maguire à Sheffield United qui vit une relégation pour sa première saison professionnelle), soit parce qu’ils n’ont pas été conservés dans les académies de Manchester City (Kieran Trippier) ou Arsenal (Harry Kane).
L’actuel meilleur buteur de la Coupe du monde n’était d’ailleurs pas décrit à ses débuts comme le plus puissant ou le plus rapide de sa génération, mais assurément comme l’un des plus motivés à apprendre. Les difficultés rencontrées n’ont été qu’autant d’outils pour se forger une force de caractère essentielle au plus haut niveau. Le tout entre Jack Butland qui s’est fracturé la main en début de carrière, Fabian Delph qui s’est fait les croisés au moment où il perçait au plus haut niveau, ou – cas le plus extrême – Raheem Sterling orphelin de père à deux ans. Autant de fissures dans les parcours de vie qui font de cette équipe d’Angleterre bien plus que l’équipe « d’enfants gâtés » que s’imagine voir Hakan Mild.
Par Nicolas Jucha