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Angleterre, l’idylle italienne

Par Adrien Candau
Angleterre, l’idylle italienne

Claudio Ranieri, Antonio Conte, Francesco Guidolin, Walter Mazzarri... L'Italie est la nation qui sera la plus représentée parmi les entraîneurs de Premier League cette saison. L'Angleterre aime les « Mister » et les techniciens italiens n'hésitent plus à quitter la Botte pour le pays du kick and rush. Retour sur un coup de foudre réciproque.

15 septembre 2015. L’Etihad Stadium est étonnamment silencieux. La Juventus, pourtant jusqu’ici moribonde en Serie A, vient de mettre à terre Manchester City, alors solide leader de Premier League (2-1). Un succès en terre britannique analysé en fin de match par Patrice Évra, qui a pu goûter aux joies des joutes anglaises et italiennes : « Les équipes italiennes sont mieux préparées tactiquement et cela fait la différence en Ligue des champions… La Premier League, c’est le championnat le plus intéressant à regarder, mais c’est limité tactiquement. » Quelques mois plus tard, coup de tonnerre en Angleterre : Leicester remporte le titre de champion au nez et à la barbe du quatuor composé d’Arsenal, Chelsea et des deux Manchester, qui trustaient le trophée depuis 1995. L’artisan de ce miracle, Claudio Ranieri, est un pur produit du football italien. Francesco Guidolin (Swansea), Walter Mazzarri (Watford) et Antonio Conte (Chelsea) l’ont rejoint pour entraîner en Premier League cette année. Le Championship, la seconde division anglaise, n’est pas en reste, puisque Roberto Di Matteo et Walter Zenga, tous deux nommés pendant l’été, seront à la tête d’Aston Villa et Wolverhampton pour la saison à venir. Un exode de nombreuses pointures du football italien trop massif pour ressembler à une simple coïncidence. Le respect de l’Angleterre pour le « Mister » ne constitue pourtant pas une nouveauté – Gianfranco Zola avait notamment dirigé West Ham de 2008 à 2010, et Chelsea a connu trois entraîneurs italiens dans les années 2000 : Gianluca Vialli, Claudio Ranieri et Carlo Ancelotti –, mais il semble avoir pris une nouvelle dimension depuis le début de la décennie grâce aux résultats probants que les techniciens originaires de la Botte ont continué à obtenir au fil des années.

« Faiseurs de miracles »

En 2012, Roberto Di Matteo prenait la tête d’un Chelsea en souffrance, quasi éliminé de la Ligue des champions, (défaite 3-1 à Naples en huitièmes de finale aller), pour emmener finalement les Blues sur le toit de l’Europe. Francesco Guidolin, arrivé en janvier 2016 aux commandes d’un Swansea moribond (18e de Premier League), ramenait, lui, les Swansà une honnête douzième place en fin de saison. Le triomphe historique de Ranieri avec Leicester apportait enfin une nouvelle pierre à l’édifice que les entraîneurs italiens ont bâti en Premier League. Des succès inattendus qui leur ont valu des surnoms flatteurs de la part des médias anglais. Après sa victoire en C1 avec les Blues, Di Matteo était régulièrement qualifié de « miracle maker » . Même chose pour Ranieri, qui a aussi popularisé son surnom de « tinkerman » , bricoleur fantastique capable de mener une équipe moyenne à la consécration nationale. En Angleterre, on tente logiquement de comprendre les raisons du succès des managers venus de la Botte. Sondé par Goalsur la venue d’Antonio Conte à Chelsea, l’ex-Blue Frank Lebœuf disait tout le bien qu’il pensait de l’ancien entraîneur de la Juve et, plus globalement, des entraîneurs italiens : « Le football italien a changé. Oui, les coachs italiens sont connus pour leur maîtrise tactique et défensive, mais ils ont désormais des entraîneurs comme Conte qui sont aussi très portés vers l’aspect offensif du jeu. »

« Les Britanniques sont conscients de leurs lacunes tactiques »

Les joueurs qui évoluent en Angleterre et qui ont également joué en Italie ne semblent, eux, pas surpris de la popularité croissante des « Mister » de l’autre coté de la Manche. Thierry Audel joue depuis 2015 à Notts County en Football League Two, l’équivalent de la quatrième division anglaise, et a aussi évolué plusieurs saisons en Italie à Triestina, Pise ou encore Saint-Marin. « Les Anglais sont très ouverts à la nouveauté et au changement, le recours à des coachs italiens n’est pas du tout controversé ici, explique-il. Les Britanniques sont conscients des lacunes tactiques de leur football et savent que les managers italiens, qui maîtrisent parfaitement cet aspect-là, peuvent les aider à combler ce manque. De leur côté, les Italiens qui viennent en Angleterre savent qu’ils vont apporter avec eux une vraie plus-value sur le plan tactique. » Mais personne mieux que Gianluca Vialli n’a su sans doute théoriser l’apport des entraîneurs italiens au football britannique. Dans son livre The Italian Job (2007), l’ancien coach des Blues revenait notamment sur les qualités associées aux entraîneurs italiens, que recherchent de plus en plus de clubs de Premier League : « L’Italie a une bien plus grande diversité tactique. Quand un entraîneur change de formation là-bas, il est perçu comme quelqu’un qui cherche des solutions. En Angleterre, on le voit plus comme un petit bricoleur sans envergure. Plus globalement, en Italie, le coaching est vu comme une profession à part entière qui requiert de longues études et une période d’apprentissage. En Angleterre, beaucoup voient la capacité à entraîner comme quelque chose d’inné. »

Exil doré

Quant aux raisons qui poussent désormais les entraîneurs italiens à quitter la mère patrie pour l’Angleterre, elles sont nombreuses et ne se limitent pas aux salaires confortables offerts par les clubs de Premier League. Les moyens dont bénéficient les managers de Premier League sont bien supérieurs à ceux dont disposent les entraîneurs en Serie A. Antonio Conte avait notamment quitté la Juventus Turin en 2014 car il jugeait insuffisants les moyens alors mobilisés par sa direction pour que la Vieille Dame puisse exister au plus haut niveau européen : « J’ai des doute sur les possibilités d’améliorer encore cette équipe. Si vous me demandez si, aujourd’hui, il est possible de gagner la Ligue des champions avec la Juventus, je dis non » , avait-il déclaré à la Gazzetta dello Sport avant de démissionner de son poste deux mois plus tard. Le championnat anglais offre aussi plus de tranquillité, de stabilité et de temps pour travailler aux entraîneurs que cette Serie A qui cultive le culte du résultat immédiat. « En Italie, il est normal qu’un coach puisse penser que chaque match peut éventuellement être son dernier. La pression y est beaucoup plus importante qu’en Angleterre, que ce soit de la part des fans, de la direction ou de la presse » , confiait ainsi Carlo Ancelotti au Telegraphen 2009. Un avis partagé par Luciano Spalletti, qui déclarait en 2012 au quotidien La Repubblica : « En Italie, il y a trop de pression et on y vire énormément d’entraîneurs. »

La même année, on dénombrait pas moins de dix-sept changements d’entraîneur en Serie A en cours de saison. Un chiffre record, qui avait également été atteint lors de la saison 2009-2010. Pour Gianluca Vialli, l’exigence tactique du football italien est le produit d’un système qui ne tolère pas l’échec, qui engendre ainsi ses propres défauts et effets pervers : « En Italie, ce n’est pas la fierté qui nous pousse à travailler plus dur ou à rester concentré : c’est la peur de perdre et de la critique. Cette terreur se ressent même avant le match. C’est un environnement étouffant. En Angleterre, avant un match, tout le monde est tranquille. Les Anglais savent qu’après avoir tout donné pendant le match, il n’y a plus rien à redire. » De quoi inciter certains techniciens italiens à découvrir un football moins calculateur et plus tourné vers l’offensive. Tout en y apportant leur savoir-faire technique. « Les Italiens jouent avec leur tête, tandis que les Anglais jouent avec leur cœur » , résume Vialli. Des attributs dont les entraîneurs italiens officiant en Angleterre semblent capables de faire une synthèse remarquablement efficace. « Italians do it better. »

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