- Euro 2020
- J7
- Bulgarie-Angleterre
Angleterre-Bulgarie, peur sur Sofia
Alors que l'Angleterre affronte la Bulgarie ce lundi soir à Sofia, les joueurs des Three Lions ont prévenu leur monde. Si des insultes racistes descendent des tribunes, ils quitteront la pelouse du stade Vassil-Levski, qu'importent les conséquences. Une décision collective inédite qui a fait tiquer les Bulgares et ne fait pas tout à fait consensus outre-Manche.
Le 2 septembre 2011, les Three Lions de Fabio Capello se déplacent à Sofia pour jouer le 6e match de leur campagne de qualifications pour l’Euro 2012, co-organisé par la Pologne et l’Ukraine. Sur la pelouse, les Anglais l’emportent facilement grâce à une réalisation précoce de Garry Cahill, et un doublé de Wayne Rooney. Mais cette victoire n’empêche pas Ashley Young, Theo Walcott et Ashley Cole de faire la moue. Normal, des cris de singe sont descendus des tribunes du stade Vassil-Levski durant la rencontre. Par la suite, l’UEFA infligera une amende de 40 000 euros à la Fédération bulgare. Une somme dérisoire qui n’a pas porté ses fruits. Car huit ans plus tard, alors que la sélection anglaise joue à Sofia ce lundi soir, les tribunes bulgares n’ont toujours pas été nettoyées de ces maux identitaires.
Pire, lors de ces éliminatoires, Raheem Sterling a été visé par des insultes racistes de la part d’un supporter bulgare, aussitôt évincé de Wembley. Et en mars dernier, au Monténégro, l’attaquant de Manchester City et Danny Rose avaient également été la cible d’injures primaires. Mais ce lundi soir, les joueurs de Gareth Southgate arrêteront de jouer en cas de récidive en tribunes. C’est Tammy Abraham qui a lancé la menace en conférence de presse : « Si nous décidons que nous voulons arrêter le jeu, quel que soit le score, nous le ferons. C’est une affaire d’équipe. N’isolez pas une personne, nous sommes toute une équipe. Si cela arrive à l’un d’entre nous, cela nous arrive à tous. » Une menace collective inédite qui planait depuis mi-septembre, sans qu’elle fasse pour autant consensus outre-Manche.
La Bulgarie, raciste ?
Si les Three Lions ont perdu leur premier match d’éliminatoires contre la Tchéquie ce vendredi, le match contre la Bulgarie est davantage sujet à des discussions extra-sportives. Et pour cause, le stade Vassil-Levski sera partiellement fermé au public en raison du comportement raciste des supporters bulgares en juin dernier. En 2013, déjà, Amnesty International tirait la sonnette d’alarme, car le nombre d’agressions de réfugiés et de migrants dans les rues de Sofia était en pleine explosion. Mais que ce soit dans les tribunes ou dans les rues de la capitale, les choses n’ont pas vraiment évolué depuis. En mai dernier, plusieurs associations pointaient du doigt les incidents racistes qui se multipliaient en Bulgarie. Des incidents racistes qui ne touchent pas que les communautés noires puisque les Tsiganes et les Roms sont également pris à partie. Pire, ces incidents sont bien souvent alimentés, voire encouragés par les autorités. Le vice-Premier ministre bulgare, Krassimir Karakatchanov, avait par exemple proposé un plan pour « l’intégration des groupes tsiganes non socialisés » , dans lequel il suggère d’instituer la gratuité de l’avortement des femmes roms. Enfin, si vous vous baladez aux abords du stade Vassil-Levski, situé dans le Borisova gradina, difficile d’échapper aux insignes nazis et aux maximes racistes qui s’affichent fièrement tel le vestige d’une Bulgarie faussement progressiste.
Mais les joueurs anglais en ont ras le bol de devoir subir des cris de singe partout où ils jouent. Ce fut le cas au Monténégro, en Tchéquie et même à Wembley, lorsqu’un fan bulgare a été attrapé en train d’insulter Raheem Sterling. De concert, les joueurs anglais ont décidé de passer aux choses sérieuses et de menacer les instances dirigeantes de quitter la pelouse. Ce qui fait suite aux déclarations de Southgate, qui avait affirmé que son équipe allait « préparer » sa réaction à de potentielles discriminations lors du match retour à Sofia. Une offense pour le président de la Fédération bulgare, Borislav Mihaylov, qui était monté au créneau dans la foulée : « Nous n’avons reçu aucune notification officielle concernant le langage discriminatoire utilisé par un supporter bulgare au stade de Wembley. Même si tel était le cas, nous pensons que les généralisations et la création de tensions inutiles par les membres officiels de l’équipe anglaise sont absolument inacceptables et en contradiction avec l’esprit de respect mutuel et de fair-play. » Un discours peu original qui laisse à penser que la Fédération bulgare est loin d’avoir pris le problème à bras-le-corps.
Une décision à double tranchant
Outre-Manche, la décision de quitter la pelouse du stade Vassil-Levski n’apparaît pas tout à fait comme LA bonne solution au problème. Pourtant, pour Tammy Abraham ou Alexander Trent-Arnold, cette prise de position collective en est une : « Peu importe si un joueur est maltraité ou toute l’équipe, nous formons un groupe. Personne ne doit se sentir mal à l’aise sur le terrain. Tout le monde doit recevoir la chance de jouer dans un environnement juste. Nous sommes une équipe. Si une personne est maltraitée, nous le sommes tous, nous formons une grande famille » , a déclaré le latéral droit des Reds. Le président de la Fédération bulgare est à nouveau sorti de ses gonds, accusant les Anglais de véhiculer des clichés à l’encontre de leurs supporters. Surtout, Borislav Mihaylov a demandé à la FIFA et l’UEFA de sanctionner la sélection anglaise si elle ne respectait pas le protocole en trois étapes de l’UEFA. À savoir, une annonce sur le système son du stade afin de mettre fin aux abus, puis une suspension temporaire du match avant la fin de la partie en cas de nouvelle récidive. Un protocole que ne suivront pas les Three Lions si les supporters bulgares les malmènent.
Mais pour Howard Gayle, premier footballeur noir à avoir joué pour Liverpool, chroniqueur pour le Guardian et ambassadeur de Show Racism the Red Card, quitter la pelouse donnerait raison à ces imbéciles : « S’ils s’en vont, les gens qui profèrent des insultes ont atteint leur but. L’Angleterre va-t-elle s’en aller s’il reste 3-0 et qu’il reste 10 minutes à jouer ?[…]Sur le chemin du stade, les fans entourent, frappent, et crient des injures raciales au bus de l’équipe. Les joueurs vont-ils dire au chauffeur de faire demi-tour et d’aller à l’aéroport ? Bien sûr que non. » Difficile donc de trouver la solution adéquate à un problème qui ne cesse de faire la une des journaux. Ce dimanche, dans L’Équipe Mag, Kalidou Koulibaly est allé dans le sens d’Howard Gayle en expliquant que « quitter le football italien, ce serait donner raison aux racistes » , ajoutant que ce sont aux supporters racistes de partir, pas aux joueurs. Problème, la tolérance zéro – qui est de rigueur dans les stades anglais – n’est pas encore à l’ordre du jour de l’UEFA et la FIFA, dont les sanctions pour racisme sont bien trop insuffisantes. Ce lundi, avant la rencontre entre la Bulgarie et l’Angleterre, le sélectionneur bulgare, Krasimir Balakov, s’est emporté à son tour contre la menace des Three Lions, arguant que le football bulgare n’avait aucun problème avec le racisme. Une vaste blague qui pourrait être mise à mal dès ce lundi soir.
Par Maxime Renaudet