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Angeliño, le petit démon de Leipzig
Prêté par Manchester City à Leipzig depuis janvier dernier, Angeliño (23 ans) réalise un début de saison tonitruant, avec six buts et quatre passes décisives en seize matchs toutes compétitions confondues. Mais avant de devenir l’atout maître de Julian Nagelsmann, celui qui est aujourd’hui l’un des latéraux les plus offensifs d’Europe a écumé les prêts en Espagne, aux Pays-Bas et même aux États-Unis. À l’heure de retrouver l’autre club de Manchester, portrait d’un petit bonhomme (1,70m) qui respire la confiance à outrance. Voire l’arrogance ?
Emil Forsberg ? Marcel Sabitzer ? Yussuf Poulsen ? Ou bien Alexander Sørloth, arrivé cet été contre 20 millions d’euros après avoir roulé sur les défenses turques ? Que nenni. Cette saison, le meilleur buteur du RB Leipzig est un défenseur, et il se nomme Angeliño. Si tant est que le mot défenseur puisse être employé pour désigner le latéral espagnol. Surtout avec des buts comme celui inscrit le 20 octobre dernier, contre Başakşehir : appel dans le dos de la défense, contrôle impeccable en pivot, frappe instantanée du gauche. Net et sans bavure. Ça vous laisse bouche bée ? Voilà pourtant du Angeliño tout craché.
On ne laisse pas José dans un coin
Il faut dire que depuis son plus jeune âge, José Ángel Esmorís Tasende, de son vrai nom, s’est fait un malin plaisir à terroriser les gardiens adverses. « Même s’il jouait derrière, il aimait porter la balle vers l’avant et tirer au but. Chaque année, il était le meilleur buteur des compétitions auxquelles il participait », se souvient Luciano Calvo, fondateur de l’école Luis Calvo Sanz, qui a vu évoluer le petit Galicien de quatre à dix ans. « Quand il arrivait devant le gardien, il mettait la balle où il voulait, poursuit son premier entraîneur, Agustín de Carlos Elduayen. « Il avait un côté égoïste car même s’il avait inscrit quatre buts et qu’il pouvait faire la passe pour qu’un équipier marque, il ne le faisait pas : il avait faim de but. » Son goût pour l’attaque en fera un joueur hybride, mi-latéral, mi-ailier. Un carrilero, très à l’aise dans un 3-4-3 ou un 3-5-2, qui multiplie les allers retours sur son côté gauche. En particulier les allers. « Très souvent, tu jettes un coup d’œil à ta gauche et tu t’aperçois qu’il est très haut ! », en rigole Jorge Meré, qui a joué à ses côtés sous le maillot de la Roja en U17 et U21.
©Escolas de Fútbol Luis Calvo Sanz
Un allant offensif qui demande de l’organisation. Fabian Sporkslede, son pendant à droite au NAC Breda lors de l’exercice 2017-2018, sort le tableau noir : « Avec un latéral aussi offensif, tu as besoin de quelqu’un qui reste plus bas, pour contrôler et gérer l’organisation en phase défensive. J’assumais ce rôle, on était complémentaires. Mais c’est sûr que tu ne peux pas vraiment avoir un deuxième Angeliño comme latéral droit… Notre entraîneur voulait qu’Angeliño pense d’abord à son rôle défensif. Mais il ne l’a pas brimé, et il a eu raison : s’il défonce tout aujourd’hui, c’est parce qu’Angeliño a toujours poussé pour exploiter ses qualités offensives. » Parmi l’une de ses meilleures armes, ses centres. Un atout pas étranger à sa nomination comme Talent de la saison 2018-2019 en Eredivisie, après un exercice à 50 centres dans le jeu et 9 passes dé avec le PSV. Des qualités associées à une confiance en lui à toute épreuve.
Zéro tracas, zéro blabla
Cet aplomb avait frappé instantanément Stijn Vreven, son ancien entraîneur à Breda. « Sûr de lui, de ses qualités, de ce qu’il voulait. Sûr de lui dans tout ce qu’il disait et faisait », telle a été la première impression du Belge et de la majorité des interlocuteurs d’Angeliño en croisant le Galicien pour la première fois. « Quand il est arrivé à Majorque, le club n’était pas dans une bonne phase, se remémore Héctor Yuste, son ancien coéquipier au RCD. Mais cela n’a pas eu d’effet sur lui. Il dégageait une sérénité et une confiance qui tranchaient avec ce climat. » Trait de caractère inné ou acquis ? Luciano Calvano se range derrière la première option (« il croyait en lui dès son plus jeune âge »), quand Jorge Meré y voit l’aboutissement d’un parcours initiatique varié. « Lorsque je l’ai retrouvé en U21, il avait vécu des situations diverses dans plusieurs clubs et championnats. Il avait gagné en expérience, était plus calme sur le terrain : il savait ce qu’il devait faire. »
Mais canaliser cet obstiné de l’attaque relève presque de la gageure. « Je me rappelle un match contre Utrecht, où on mène 2-1, rembobine Nigel Bertrams, ancien gardien à Breda. Généralement, tu as envie de contrôler un peu le match, de jouer plus tranquille. Pas Angeliño. Il s’est trouvé en situation dangereuse, il a tenté un truc et l’adversaire s’est retrouvé en un contre un face à moi. Ça a fait but et match nul. » Pas de quoi plomber le moral du coq espagnol, bien au contraire. « Pour lui, ce n’était pas une erreur, ça faisait partie du jeu. Si ça n’avait pas marché, tant pis, ça fonctionnerait une prochaine fois », explique l’actuel portier remplaçant de Groningue. Alors qui pour faire entendre raison à Angeliño ? Un entraîneur chevronné ? Cause toujours. « Sur le terrain, je me coupe de tout, proclamait le principal intéressé dans une interview à AD. Ça vaut aussi pour les entraîneurs, parce que je sais ce que je dois faire.(…)Personne n’a besoin de me dire ce que je fais mal. Ça me passe au-dessus », balaye celui qui se considère humblement comme le « roi de la jungle ».
Alors Stijn Vreven, presque résigné, s’est efforcé de s’adapter en procédant par petites touches, pour forcer Angeliño à ne pas prendre son rôle défensif à la légère. Sauf que, souvent, de simples conseils bons à prendre entrent par l’oreille droite du bonhomme et ressortent par la gauche. « Je l’avais convoqué avant un match pour le mettre en garde sur l’ailier qu’il allait affronter, retrace celui qui dirige aujourd’hui Trenčín, en Slovaquie. Et il m’avait dit : « Coach, je n’ai pas besoin de voir des images de mon adversaire, c’est mon adversaire qui doit se préoccuper de moi. » Et effectivement, ce joueur ne lui avait pas posé de problèmes. C’était sa technique : plus son adversaire était dangereux, plus Angeliño jouait haut et attaquait pour pousser son gars à défendre. » Problème réglé. « Ce sont les adversaires qui doivent me rattraper, pas l’inverse. Si tu me passes deux fois, je te passerai dix fois », prévient Angeliño dans AD.
Docteur José et M. Angeliño
Sa confiance absolue sur le rectangle vert tranche pourtant étonnamment avec sa personnalité en dehors : « C’est un garçon très tranquille, timide, centré sur lui et introverti, se rappelle Nigel Bertrams. Il ne parlait pas beaucoup, et restait surtout avec les garçons prêtés par Manchester City. » Un trait de caractère confirmé par Stijn Vreven, qui insiste sur le masque du larron : « Je ne l’ai jamais vu vraiment content ou vraiment triste. Il était toujours ultra stable et constant émotionnellement, avoue-t-il. Il y avait pas mal d’Espagnols à Breda à l’époque, mais je n’ai pas le souvenir qu’Angeliño traînait beaucoup avec eux en dehors. Ce n’était pas tellement un « groepsmens » (une « personne de groupe » , N.D.L.R). Il était plus du genre à faire des choses seul, dans un cercle restreint, avec sa famille. Sa sœur ou sa mère venaient d’ailleurs souvent le voir aux Pays-Bas. » Une distance émotionnelle qui peut notamment s’expliquer par l’abandon de son père, lorsque le minot n’avait que trois ans. C’est d’ailleurs sa maman, qui l’a élevé seule en Galice avec ses frères (dont Dani qui évolue avec l’équipe réserve de Villarreal), qui a donné le surnom d’Angeliño au petit garçon qui se rêvait en pompier lorsqu’il était plus jeune.
Oui, le latéral d’1,70 m est un homme réservé. Presque renfermé. Mais pas question cependant de se laisser marcher sur les pieds : « Bien sûr, il y avait quelques blagues sur son physique de petit homme frêle. Mais il te faisait vite comprendre, à travers son expression, qu’il ne fallait pas aller plus loin », souligne Fabian Sporkslede. Cette froideur apparente au niveau du caractère du gaucher serait-elle alors la clé pour expliquer son ascension ? « Je suis sûr que c’est de là que découle sa force mentale qui fait qu’il n’est jamais impressionné, répond Stijn Vreven. Ça permet de comprendre pourquoi il s’est adapté partout où il est allé : il reste lui-même à chaque fois, sans chercher à trop se fondre dans son environnement. Le contexte extérieur, le pays et la culture dans lesquels il se trouve n’ont quasiment pas d’emprise sur lui. Pareil pour la météo ! Quand il pleuvait, ça ne le dérangeait pas, et quand il y avait du soleil… c’était à peu près la même chose. Il ne montre pas ses émotions, il n’est pas exubérant : il ne ressemble pas à l’Espagnol typique, quoi. »
Des qualités, le poulain de Nagelsmann en a à la pelle. Reste donc à comprendre pourquoi City (qui l’a prêté dans six clubs différents depuis son achat en 2013) et la Roja ne lui font pas confiance. Ses lacunes défensives, encore trop évidentes, et la forte concurrence (aussi bien de Mendy et Zinchenko chez les Skyblues, que de Gayà ou encore Reguilón en sélection) semblent être les explications les plus légitimes. Même si ça interroge de l’autre côté des Pyrénées. « Ici en Espagne, on parle beaucoup du Barça et des futures listes de Luis Enrique avec la Roja pour lui », souffle Luciano Calvo. Nul ne sait si le piston de poche sera bientôt appelé, évoluera l’an prochain en Catalogne, retournera au pays de Sa Majesté ou restera dans la Saxe, alors que les Roten Bullen disposent d’une obligation d’achat sous conditions. Ce qui est sûr, c’est que le taureau espagnol continuera de foncer tête baissée. United est d’autant plus prévenu que ce soir, il verra rouge.
Par Quentin Ballue, Félix Barbé et Douglas De Graaf
Tous propos recueillis par QB et DDG, sauf mentions.