- Euro 2012
- Interview
Angel Cappa : « Benzema est comme Romario »
Entraîneur et grand théoricien du football, Angel Cappa suit de près l'Euro, en tant que consultant pour TDN, la chaîne sport de Televisa au Mexique. Niveau de jeu, favoris, Benzema, il nous fait son bilan au terme des deux premières journées de la compétition. L'homme qui a révélé Javier Pastore avec Huracán nous touche aussi deux mots sur la saison d'El Flaco.
Quelles tendances majeures dégagez-vous de cet Euro ? Le plus frappant, c’est que la plupart des équipes essaient de bien jouer au football, et que beaucoup y parviennent. L’Italie l’a mis en exergue, tandis que la France a retrouvé son essence footballistique. L’Espagne maintient son leadership dans ce domaine, et l’Allemagne est admirable. Le Danemark joue très bien aussi. Sa proposition est très digne. Elle est identique à celle de l’Espagne et de l’Allemagne, mais avec des joueurs beaucoup moins talentueux. On sent aussi un début de changement de style chez l’Angleterre. Ils essaient, eux aussi, de jouer dans les pieds, ne se contentent plus de balancer dans les airs. À l’aune des derniers Coupes du monde ou Euro, le niveau de cet Euro m’a agréablement surpris. C’est l’un des meilleurs tournois de ces dernières années.
Quels joueurs vous ont plu ? Je vais en retenir deux, que je connaissais à peine avant l’Euro : Hummels, le défenseur central allemand, et Dzagoev, le Russe. Hummels, c’est vraiment une révélation brillantissime. Il est très difficile à passer en un contre un, il maîtrise parfaitement l’espace et il a la maturité d’un joueur beaucoup plus âgé. Dzagoev est, lui, très habile et goleador. Il est à l’image d’une Russie assez imprévisible, car beaucoup de ses joueurs jouent à l’inspiration. Je pense notamment à Arshavin. Il peut réaliser un match inouï, et passer inaperçu la rencontre suivante.
Quels sont vos favoris? La finale rêvée et logique serait Espagne-Allemagne. Mais des équipes comme l’Angleterre ou la France peuvent déjouer les pronostics. Sur un match, ces équipes peuvent gagner contre n’importe qui. Après, si la France jouait dix fois de rang contre l’Espagne ou l’Allemagne, je ne doute pas du bilan de la série.
Votre diagnostic sur une équipe de France encore en reconstruction … Son milieu de terrain est très équilibré. Ils peuvent se reposer sur des joueurs notables comme Nasri, Ribéry, et j’ai beaucoup aimé le jeune qui a joué contre l’Ukraine (Ménez). Et puis, surtout, il y a Benzema, l’un des trois meilleurs avant-centre au monde. C’est un joueur exquis, il émane de son jeu une grande sagesse. Et techniquement, c’est un régal.
En France, certains lui reprochent de trop décrocher … C’est justement son point fort, car il complique le travail de marquage de l’adversaire. Ils ne peuvent jamais vraiment le situer. Un jour, on a demandé à Romario quelle était sa plus grand qualité ? « Qu’on ne me voit pas » avait-il répondu. Et je crois que Benzema est comme Romario. Il sait disparaître de l’écran de contrôle du défenseur. Ses déplacements sont extrêmement intelligents.
À vous écouter commenter l’Euro, on sent que l’Allemagne vous enthousiasme … L’Allemagne, c’est une ode à la continuité, dans un milieu où prévaut l’immédiateté. L’entraîneur connaît parfaitement ses joueurs, leur fait confiance sur le temps long. Par exemple, Podolski, qui n’est pas resplendissant en club, est titulaire. C’est une équipe magnifique. Pour les jouer, il n’y a pas de recette. Faut tenter de les priver de ballon, mais ce n’est pas évident. Par exemple, un Özil est bien meilleur avec la Mannschaft qu’avec le Real, car il joue dans une équipe qui aime faire circuler la balle, il bénéficie de davantage de liberté de mouvement et, comme c’est un joueur intelligent, il est davantage productif dans cette configuration.
Quant à l’Espagne, percevez-vous une évolution dans son style depuis son titre de champion du monde ? L’Espagne a surtout une conviction et une sureté absolue dans ce qu’elle fait. Elle ne cesse de perfectionner son style. La base de l’équipe est constituée par les joueurs de Barcelone, et les autres s’adaptent à ce style de jeu, comme David Silva, Sergio Ramos, Xabi Alonso. Je retiens cette phrase de Xavi, qui a déclaré que la philosophie de l’Espagne n’était pas négociable. On est devant une équipe historique, comme le Brésil 70, la Hollande 74, ou la France de Platini.
Pour terminer, avez-vous suivi la saison de Javier Pastore, que vous avez contribué à révéler à Huracán ? Oui, j’ai regardé ses matches. Il a été à l’image de l’équipe. C’est un jeune joueur, qui se trouve en pleine évolution. Ça a été une année d’apprentissage. Il n’a pas pu échapper à la tonalité générale de l’équipe. Le physique prédomine en Ligue 1, ce qui ne va pas rendre service au football français, et ce n’est pas un style qui sert Pastore. On en revient à Özil, qui ne peut s’exprimer de la même manière avec le Real qu’en sélection. Après, un joueur de foot devient mature à 25, 26 ans. Le temps d’incorporer des connaissances. Là, le PSG commence à construire une grande équipe. Et dans cet ensemble, Pastore devrait montrer le meilleur de lui-même.
Propos recueillis par Thomas Goubin