ACTU MERCATO
Anelka et Drogba, le constat d’échec du foot chinois
En 2012, la Chine devait s'éveiller au foot. Des présidents-mécènes avaient réussi à convaincre des Anelka et Drogba de tenter l'aventure. Mais ces deux-là viennent déjà de revenir en Europe et le constat d’échec s’impose : non, on ne fabrique pas un championnat simplement avec un chéquier. Et quelque part, c’est rassurant. Analyse.
En Chine, en ce moment, on suffoque. À Pékin en raison de la pollution, à Shanghai de colère. Car la rumeur qui planait ces derniers jours a été confirmée par l’intéressé lui-même : Didier Drogba posant avec une liquette de Galatasaray sur le dos, officialisant sa fuite en Turquie. Ce que son ancien club le Shanghai Shenhua conteste vertement. Les dirigeants se disent « choqués » , affirment que l’Ivoirien est toujours sous contrat et se déclarent prêts à protéger leurs intérêts devant la Fifa. En vérité, les Chinois sont surtout sacrément vexés. Alors que leur si exotique championnat a fait parler de lui pendant toute l’année passée, 2013 débute par une série de coups durs : car avant Didier Drogba, c’est Nicolas Anelka qui a aussi décidé de plier les gaules, direction la Juventus en prêt. Et la migration pourrait se poursuivre avec Dario Conca, qui fait du boudin depuis quelques semaines. L’ancien meilleur joueur du championnat a beau palper un énorme paquet de pognon à Guanghzou, il ne veut plus revenir en Chine. L’international paraguayen Lucas Barrios aussi se pose des questions quant à son avenir…
Hoarau, star au rabais
Les quatre recrues vedettes de ces deux dernières années fuient ou cherchent à fuir cette Chinese Super League qui devait pourtant être, aux dires de ses promoteurs, le championnat du futur. Et alors que la nouvelle saison doit débuter en mars, plus aucune superstar ne semble disposée à quitter l’Europe ou l’Amsud pour jouer les aventuriers. Les derniers gars débarqués au pays se nomment Guillaume Hoarau, Garra Dembélé, Elkeson ou Zvjezdan Misimović. Du second couteau arraché contre des salaires mirobolants, bien au-delà de la valeur réelle des joueurs. Pour info, Hoarau va toucher pas loin de trois fois plus qu’au PSG, pourtant pas radin lorsqu’il s’agit d’aligner les biffetons.
Si encore il y avait la promesse d’évoluer à un bon petit niveau dans une ambiance sympa, pourquoi pas. Mais quiconque a déjà assisté à un match du championnat chinois le sait : ça joue ultra moche et les grands stades sonnent creux. Dans un pays d’1,3 milliard de têtes où il n’y a pourtant pas une énorme concurrence entre les sports – pas comme aux USA avec les sports ricains, en Inde avec le cricket, ni en Australie avec l’Australian rules – la dernière saison de Chinese Super League s’est terminée avec une affluence moyenne de 18 000 spectateurs, soit seulement 6 % de hausse par rapport à la moyenne précédente. Ce, malgré l’afflux de stars ou pseudos-stars, Drogba, Anelka, Conca, mais aussi Seydou Keita, Fred Kanouté ou Peter Utaka. Sur le banc aussi, on essaie de faire venir du lourd – Lippi, Batista, Antić… – mais rien n’y fait, la mayonnaise ne prend pas. Pourquoi ?
Le bordel de Shanghai
Première raison : l’extrême instabilité du foot à la mode de Chine. Comment voulez-vous construire un championnat sur la durée quand les clubs n’arrêtent pas de changer de proprio, de nom voire même de ville de résidence ? Comment une culture foot peut-elle naître dans ces conditions ? Deux exemples, au hasard. L’actuelle formation de Guanghzou R&F a connu par le passé pas moins de sept autres appellations et a évolué dans trois autres villes ! Idem avec Guizhou Renhe, né à Shanghai, passé par Xi’an’ et Shaanxi, qui a vu passer pas loin de dix proprios différents depuis 1995 et qui ont tous souhaité apporter leur touche perso : changer le nom du club, modifier son logo, de couleur de maillot… Clairement, ça ne rime à rien. Ce n’est pas seulement un sacrilège, c’est aussi un gage d’échec. Car comment voulez-vous qu’un club obtienne des résultats sur le long terme s’il change de boss toutes les deux saisons ? Comment voulez-vous qu’il y ait un engouement populaire si l’équipe évolue dans une ville une année et dans une autre à l’autre bout du pays la suivante ? Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas, Guanghzou R&F possédant la plus faible affluence du championnat malgré des résultats plutôt corrects.
Deuxième raison : l’immaturité du foot chinois. Ou sa naïveté. Ou sa maladresse. Les illustrations sont nombreuses. Au Shanghai Shenhua par exemple, on a multiplié les erreurs, dès le départ. Il est évident que le mégalo président a mal géré son argent et encore plus mal géré son club. Quiconque d’un peu connaisseur des choses du football aurait notamment réfléchi avant de faire tapis sur Nicolas Anelka pour incarner la locomotive de son équipe. Un gars certes surdoué ballon au pied mais pas franchement réputé pour son altruisme ni sa diplomatie… Quand l’entraîneur Jean Tigana et lui sont entrés en conflit, le président a choisi de se ranger du côté d’Anelka, virant Tigana et nommant l’ancien joueur de Chelsea entraîneur-joueur dans la foulée. Une décision aussi absurde que dangereuse : on ne donne pas les clés d’un vestiaire aux joueurs, on ne sape pas l’autorité d’un coach de la sorte… Un autre truc bizarre est arrivé dans la ville de Dalian en fin d’année. Le Dalian Shide, club historique de la ville, au palmarès conséquent, a été purement et simplement avalé par son rival le Dalian Aerbin, le club de Hoarau et Seydou Keita, créé en 2009 et propriété d’un grand groupe industriel. Un vieux club mangé par son rival plus fringant, son passé rayé d’un coup, ce n’est pas forcément très malin. Le foot se nourrit de rivalités régionales et supprimer la concurrence apparaît comme une erreur stratégique.
Le président de la fédé a démissionné
Troisième raison évidente – il y en a certainement d’autres : l’absence de racines du football chinois. On l’a déjà dit, les clubs ne reposent sur rien d’autre que sur la fortune de leur propriétaire du moment, qui déboule dans le monde du foot pour essayer de faire du fric rapidement et sans forcément bien connaître les subtilités de ce sport. Autant dire que la question de la formation des jeunes joueurs locaux n’est pas une priorité… Les écoles de football sont trop peu nombreuses et pas assez performantes pour faire émerger de nouveaux talents. Autour des trois ou quatre joueurs internationaux autorisés à évoluer dans chaque équipe, il faut donc broder avec des locaux qui n’ont pas acquis les bases tactiques, techniques et physiques du football de haut niveau. Les résultats sont beaucoup trop dépendants du rendement des étrangers qui, s’ils quittent le club, peuvent le laisser couler d’une saison à l’autre. Il n’est pas rare de voir un champion galérer l’année qui suit l’obtention de son titre, ou un promu jouer la gagne en haut de tableau. Au niveau international, c’est également la cata : aucune performance en Ligue des champions asiatique et une sélection nationale en galère.
Tout ça est-il irrémédiable ? Non, bien sûr. Le football chinois a encore le temps de grandir et peut constituer dans le futur une bonne alternative aux grands championnats européens. Il peut notamment prendre exemple sur la MLS nord-américaine, qui s’en tire plutôt correctement malgré la concurrence des sports traditionnels, baseball and co. Ce n’est pas du grand football mais il y a désormais pas mal de monde au stade et des structures solides, après pas loin d’une décennie à tâtonner. Après tout, la Chinese Super League n’a été créée qu’en 2004. Il faut lui laisser le temps de grandir, en espérant qu’elle restera éloignée des scandales de corruption et de matchs arrangés qui reviennent régulièrement entacher un peu plus un football en manque de repères. Le président Wei Di, en poste depuis trois ans, vient de démissionner. Vu sa réputation et la manière dont il a laissé les choses partir en vrille, c’est une bonne nouvelle. C’est le moment pour la fédé chinoise et les présidents de clubs de prendre conscience que le football ne se développe pas à la va-vite, sans réfléchir au long terme et en usant seulement de la planche à billets.
Par Régis Delanoë