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Andrej Kramarić, pointe au cœur
Flèche offensive de l'Hoffenheim de Nagelsmann, Andrej Kramarić aborde le défi le plus important de sa carrière : se tailler une place de titulaire en sélection, et confirmer sa réputation de mec qui impose ses idées et son style aux autres. Si tout se passe bien, il sera la révélation du Mondial côté croate.
Neuf consonnes, cinq voyelles et la première frayeur du Mondial de Thiago Silva : « Oui, j’ai eu vraiment peur sur le coup. J’ai eu de la chance : si ma jambe était restée au sol, il l’aurait probablement cassée en deux. » Dimanche dernier, la Croatie n’est pas venue à Liverpool pour plaisanter, et ça s’est vu : Neymar revenait aux affaires après plus de trois mois de silence ? Il n’a pas échappé aux taquets. Gabriel Jesus portait pour la première fois de sa carrière un brassard de capitaine ? Ivan Perišić n’a pas hésité à lui mettre sa main dans la tronche. Silva, lui, a reçu sa calotte au quart d’heure de jeu, lorsque Andrej Kramarić, 26 ans, lui a glissé dans les pattes, n’hésitant pas à lever sa jambe gauche pour finir sa course dans le genou gauche du capitaine du PSG. À la fin, le Brésil s’est imposé à Anfield (2-0), mais le message a été passé : cette fois encore, les Croates auront la dalle et Zlatko Dalić, le responsable de tout ce petit monde, tient bien en la personne de Kramarić un bonhomme qui pourrait permettre aux Vatreni de serrer le vice en Russie, enfin.
L’homme qui a dit non à Mamić
Pas de quoi surprendre : au pays, ça fait un bail que l’attaquant d’Hoffenheim a habitué les gens à sa force de caractère. Andrej Kramarić est un buté, un type qui a décidé de ne pas suivre le chemin des plus grands et choisi de tailler sa route en solitaire. À comprendre : à l’âge de six ans, son père lui fait enfiler le maillot du Dinamo Zagreb, où le fiston fait exploser les compteurs des équipes de jeunes du club avec plus de 450 buts ficelés avant de faire sauter le loquet du vestiaire pro au printemps 2009. Forcément, il rêve et fait rêver. Alors, Zdravko Mamić, le « seigneur des anneaux » du football croate, se rapproche de la famille du bonbon, lui promet de l’argent, une voie royale, monts et merveilles. Pour les non-initiés, Mamić est le visage des maux du foot croate et un homme qui a, entre de multiples saloperies, fait signer la majorité des meilleurs joueurs du pays avec la société de management sportif dirigée par son frère, Marijo, au début de leur carrière.
Se glisser sous ses ailes, c’est alors s’assurer d’être aligné dans le onze du Dinamo, de pouvoir se montrer à l’Europe du foot et d’être ensuite un jour transféré dans un club prestigieux. Ça a commencé avec Eduardo, l’idole de Kramarić, au début des années 2000, puis avec Luka Modrić, Dejan Lovren et bien d’autres. On connaît l’histoire : une fois parti de Zagreb, le joueur sous contrat avec Zdravko Mamić doit lui verser entre 20 et 50%, c’est selon, de ses revenus, c’est le deal et ce qui a poussé l’ancien directeur exécutif du Dinamo une énième fois au tribunal cette semaine. Mercredi, le tribunal d’Osijek l’a condamné à six ans et demi de prison pour fraude fiscale et blanchiment d’argent, alors que Modrić, accusé pendant le procès d’avoir fourni un faux témoignage, a retourné une large partie des supporters croates contre lui.
Le goût amer et le prince libéré
Kramarić, lui, a toujours refusé de signer le moindre bout de papier avec Mamić. Interrogé l’an dernier par le journal croate Telegram, il l’avait une nouvelle fois confirmé, profitant de l’occasion pour glisser que tout ça lui « laissait un goût amer » en bouche. Pour démarrer, le petit génie a donc commencé par se bouffer les ongles : un prêt d’une saison au Lokomotiv Zagreb, filiale-jouet du Dinamo, des offres extérieures reçues et refusées par les dirigeants du club pour le forcer à rejoindre le clan Mamić, et une histoire qui se termine finalement à l’été 2013. La barrière tombe, Andrej Kramarić file à Rijeka, y explose, et sa carrière prend racine. Résultat, Leicester vient le chercher au mercato hivernal deux ans plus tard, mais il se plante. « Encore » , lâche-t-il sur le moment. Et alors ? Et alors, Kramarić prend un nouveau virage : direction l’Allemagne, la Bundesliga, Hoffenheim et les bras de Julian Nagelsmann.
Au départ, il se dit « sceptique » face au plus jeune entraîneur de l’histoire du pays, puis découvre en lui un « baby Mourinho » . Après une première saison complète d’où il ressort en position de meilleur joueur et meilleur buteur du club, il a été, cette année encore, l’un des piliers de l’excellent exercice d’un club qui vient de terminer troisième de Bundesliga. Voilà désormais Andrej Kramarić, prince libéré du système, face à un autre défi : après un doublé décisif claqué en Ukraine en octobre (0-2), il peut venir chercher une place de titulaire à Kalinić, mais surtout prouver qu’il est bien la pointe (vraiment) complète que cherche la Croatie depuis plusieurs années. C’est aussi ça la différence.
Par Maxime Brigand