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- Disparition d'Andreas Brehme
Andreas Brehme, héros maudit du foot allemand
Andreas Brehme s’est éteint dans la nuit de lundi à mardi à l'âge de 63 ans. En 1990, il avait offert à l’Allemagne sa troisième Coupe du monde en inscrivant l’unique but d’une finale soporifique face à l’Argentine. Sa vie d’après aura été plus chaotique, entre un divorce, un retrait de permis pour conduite en état d’ivresse et des dettes à cause de mauvais placements.
→ Cet article est tiré du So Foot #121 sorti en kiosques en octobre 2014. Le début d’article de l’époque a été légèrement modifié.
À quelques mois du coup d’envoi de son Euro, à un moment où sa sélection ne fait plus beaucoup rêver, l’Allemagne pleure encore une de ses légendes. Deux ans et demi après la disparition de Gerd Müller et six semaines après la mort de Franz Beckenbauer, c’est Andreas Brehme qui s’est éteint à l’âge de 63 ans dans la nuit de lundi à mardi. L’illustre défenseur a succombé à un arrêt cardiaque. Il était un héros du foot allemand, alimentant au passage une théorie en vogue outre-Rhin laissant entendre que ces géants seraient victimes d’une malédiction. Des exemples ? En 1954, Helmut Rahn, auteur d’un doublé contre la Hongrie, offre son premier titre mondial à la RFA. Dans la foulée, on le retrouve régulièrement dans la rubrique faits divers : Helmut se saoule, Helmut en garde à vue, Helmut met sa bagnole en vrac, Helmut allume ses clopes avec des billets de banque…
Vingt ans plus tard, Gerd Müller, buteur décisif face aux Pays-Bas, offre un deuxième titre mondial à la Mannschaft avant de sombrer dans l’alcool et de se faire saisir ses deux propriétés par le fisc. Jamais deux sans trois : le 9 septembre 2014, le Hamburger Morgenpost révèle qu’Andreas Brehme, unique buteur sur penalty en finale de la Coupe du monde 1990 contre l’Argentine, serait couvert de dettes. Le gaucher aurait jusqu’au 9 décembre pour régler la somme de 170 000 euros, sous peine d’être déclaré en banqueroute. Le tribunal de Munich a aussi ordonné la mise en vente judiciaire de sa luxueuse maison en banlieue de Munich. Comble de l’histoire, Oliver Straube, un ancien joueur d’Unterhaching, club où a entraîné Brehme, aujourd’hui propriétaire d’une entreprise de nettoyage, lui propose même un job consistant à récurer des toilettes, pour se refaire, histoire qu’il « se rende compte de ce que sont le vrai travail et la vraie vie ».
« La plus grande station thermale d’Europe »
Signe que ce serait du sérieux, Franz Beckenbauer en personne appelle également à sauver celui qu’il désignait jadis comme « le meilleur joueur du monde des deux pieds » : « Nous avons la responsabilité de venir en aide à Andreas Brehme. Il a beaucoup apporté au football allemand, […] le football allemand doit lui rendre la pareille. » Un fonds de soutien aux anciens joueurs nécessiteux existe d’ailleurs en Allemagne. La Fondation Sepp Herberger, du nom du sélectionneur champion du monde en 1954, est installée au milieu des champs à Hennef, en banlieue de Bonn. « Nous ne pouvons communiquer sur les aides cas par cas, prévient le responsable, Thomas Wrzesinski. À ce jour, nous aidons, après un examen consciencieux de la situation du demandeur, les membres de la “famille du football” qui sont dans une situation d’urgence dont ils ne sont pas responsables. »
C’est bien le problème : difficile de savoir à quel point l’homme de 53 ans est dans la mouise, s’il l’est, tant l’omerta règne autour de cette affaire. D’autant qu’Andreas Brehme n’a pas vraiment le train de vie d’un homme fauché. Il aurait même figuré en client régulier du Hartl Resort, « le plus grand centre de golf, de station thermale et de spa d’Europe », accueillant ses clients dans des hôtels 4 ou 5 étoiles, à Bad Griesbach im Rottal, à 150 kilomètres de Munich. « Nous avons fermé le golf pour la semaine à cause du mauvais temps, mais Monsieur Brehme était là la semaine dernière, apprend un serveur du restaurant du club-house. Il vient au moins toutes les trois ou quatre semaines. Il descend dans l’un de nos hôtels et il vient jouer avec des amis. »
Une maison de huit chambres et 400 000 euros de dettes
Le fait est que, depuis le scoop du Morgenpost, Brehme est devenu un fantôme, et ses avocats menacent de poursuites toutes les rédactions du pays qui évoqueraient ses problèmes financiers. Toutefois, selon plusieurs sources, ses amis du monde du foot lui prêteraient régulièrement de l’argent ces derniers temps. Son ancien coéquipier Karl-Heinz Riedle, qui joue souvent au golf avec lui, reste prudent : « Je ne l’ai pas vu depuis trois ou quatre semaines, mais j’ai l’impression qu’il va bien. Sur ses problèmes financiers, il faut lui demander. » Réponse de Brehme, par SMS : « Ça ne m’intéresse pas de parler de ça, désolé. » Les journalistes allemands qui tentent de l’interroger le 14 octobre de cette même année lors d’un rassemblement des champions du monde 1990 à l’occasion d’Allemagne-Irlande, alors qu’il se délecte d’une tarte feta-brocoli et d’un canard du Sichuan arrosés d’une bouteille de prosecco à l’Innside-Hotel de Düsseldorf, reçoivent la même réponse.
Du côté de KJC Consulting, la société à laquelle Brehme devrait soi-disant près de 400 000 euros après une affaire d’investissements foireux dans des logements étudiants, on reste également discret. KJC Consulting est installé dans une bâtisse regroupant une quinzaine d’entreprises sous la bannière de JOST Unternehmensgruppe, posée au milieu de la forêt à Grünwald, au sud de Munich. Sur place, personne ne veut prendre la responsabilité d’accabler l’ancien champion du monde.
À Strasslach, en périphérie de Munich, où le couple Brehme a fait construire en 1999 sa fameuse maison de huit chambres et 317 mètres carrés, mise en vente 2,595 millions d’euros cette année avant la décision du tribunal, aucune trace de l’ancienne star du foot allemand. « Il n’est plus là depuis quatre ou cinq mois », précise son fils, en veste de yachting à travers la porte-fenêtre du premier étage, refusant de dévoiler l’endroit où vit aujourd’hui son paternel. Idem au Münchener Golf-Club : « Nous avons souvent la visite de Thomas Müller, de Sebastian Rode et même de Pep Guardiola, mais Brehme, lui, ne vient plus. Je ne sais pas pourquoi », se demande David Grasskamp, moniteur de golf. « M. Brehme est parti il y a quatre ans », assure enfin la caissière, visiblement mieux informée, d’une boucherie du lotissement où Pilar Brehme venait s’approvisionner. Pilar, son ex-femme, dont il se sépare en 2010, après 23 ans de mariage et deux gamins, Alessio et Ricardo. Et, aux dires de certains, une séparation qui est à l’origine d’une partie de ses soucis. À moins qu’elle n’y trouve son origine…
Matthäus, Miami Vice et textile bon marché
Deux ans après avoir inscrit le but de sa vie et juste après la finale perdue de l’Euro 1992 face au Danemark, Andreas Brehme quitte l’Inter Milan. À 32 ans, il entame la fin de sa carrière au Real Saragosse, une destination surprenante justifiée par les origines de sa femme, née en Allemagne, mais qui compte encore de la famille à Utebo, un village à douze bornes de là. « Il n’a pas fait de caprices au moment des négociations, assure José Angel Zaba, alors président du club aragonais. Il n’a rien demandé de particulier. Lui, tout ce qu’il voulait, c’était jouer au football. » Pourtant, rapidement, Pilar décide de repartir vivre à Milan. Andreas multiplie alors les allers-retours pour voir sa famille. « Quand il finissait l’entraînement, il pouvait par exemple rejoindre Milan en voiture juste pour le plaisir de conduire sa Mercedes, rigole son ancien coéquipier Xavi Aguado. Il se faisait des Saragosse-Barcelone-Milan d’une traite pour rejoindre sa famille. Chaque fois qu’il revenait, il avait des fringues plein le coffre. En matière de voitures et de fringues, il était toujours à la pointe. En réalité, on aurait dit un Italien plus qu’un Allemand. »
En Italie, pourtant, ses anciens collègues ne gardent pas le souvenir d’un joueur bling-bling. « À l’Inter, la vraie star de l’équipe, c’était Matthäus. Brehme, c’était “l’autre Allemand”. Des deux, c’était Matthäus le flambeur, celui qui aimait les belles voitures, qui achetait des choses chères », se rappelle Corrado Verdelli. « Son mode de vie était très simple, confirme Giuseppe Bergomi. D’ailleurs, je peux vous dire qu’il ne s’achetait pas des vêtements chers parce qu’il allait dans le magasin où j’allais, dans la banlieue de Milan, où le textile était bon marché. Il vivait en dehors de Milan, et pas sur le lac de Côme. » À Saragosse, Brehme n’a pas forcément changé, mais tout ce qui paraissait normal à Milan est vu, dans ce club plus modeste, comme un signe d’exubérance.
« Quand il venait avec ses costumes retroussés aux manches, ses Ray-Ban de playboy et sa décapotable, t’avais l’impression qu’il sortait d’un épisode de Miami Vice, vanne Alberto Belsué, ancien international espagnol et coéquipier de Brehme à Saragosse. C’était un mec très accessible, très sympa, mais tu sentais qu’il avait un niveau de vie bien supérieur au nôtre. Il avait eu un salaire de champion du monde toute sa vie, nous, on n’était que des gamins. Il habitait dans un quartier résidentiel de Saragosse, dans une villa que tu ne vois que dans les films. Quand il nous invitait chez lui, on hallucinait. C’était décoré avec bon goût, rien d’ostentatoire, pas de têtes de lions accrochées aux murs par exemple. C’était très beau, très luxueux. Cela dit, à aucun moment il ne m’a donné l’impression de vivre au-dessus de ses moyens. C’était un champion du monde, putain. Normalement, avec une étoile, tu es à l’abri. » À l’époque, Andreas serait même plutôt près de ses sous. « Une fois, avant de sortir sur le terrain au Bernabéu, il a sorti son téléphone portable pour le brancher dans le vestiaire, évoque Xavi Aguado. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu : “Parce que c’est le Real Madrid qui paie l’électricité. C’est toujours ça de pris.”»
« Je veux du champagne ! »
Mais, différence de taille avec ce qu’il avait vécu jusqu’alors, Brehme n’a personne pour lui faire de l’ombre à Saragosse. La star, c’est lui. « À table, pendant les mises au vert, il demandait toujours du champagne, assure Aguado. Il n’arrêtait pas de dire : “À l’Inter, on n’avait pas de vin rouge, mais du champagne ! Je veux du champagne !” Évidemment, il n’en a jamais eu. » Un comportement qui va causer sa perte. Après un premier avertissement à la suite d’un retour tardif de vacances de Noël, Brehme se fait virer du club, en 1993, pour avoir refusé de suivre les consignes de l’entraîneur. « Avant un match de Liga contre Tenerife, se remémore Alberto Belsué, il s’est opposé au coach en lui disant qu’il quitterait le stade s’il ne jouait pas milieu de terrain. À partir de ce jour-là, le coach s’est passé de lui. On a halluciné, on était choqués qu’un joueur s’oppose comme ça à un entraîneur. » De retour en Allemagne, Andreas s’offre une dernière pige de cinq ans à Kaiserslautern, le temps d’étoffer son armoire à trophées. « Certains ont besoin de travailler beaucoup pour être forts. Andreas Brehme n’avait pas besoin de travailler autant, il était tellement talentueux que ça lui suffisait pour être dans les meilleurs », admire Thomas Riedl, milieu défensif du K’Lautern. Après le titre de champion d’Allemagne acquis en 1998, il invite une sélection internationale à Kaiserslautern à disputer son jubilé et siffler la fin de sa vie de footballeur, avec un compte en banque bien rempli.
Il opte alors pour une reconversion classique, comme entraîneur. Deux ans après sa retraite en tant que joueur, le latéral s’assoit sur le banc de Kaiserslautern, sous le titre de team manager, avec une vision bien à lui du team management. Brehme impose à son équipe un train de vie plus spartiate qu’auparavant : déplacements en car et chambres doubles pour tout le monde. « Au début, cela se passait bien, puis c’est devenu compliqué, lâche Jeff Strasser, qui évolue alors sous ses ordres. Il y avait un conflit d’autorité entre Reinhard Stumpf (entraîneur, NDLR) et lui (team manager, donc). On ne savait jamais vraiment qui prenait les décisions. C’est dommage qu’un joueur aussi talentueux n’ait pas su transmettre ce qu’il savait. » En parallèle, Andreas Brehme a peut-être la tête ailleurs.
Le 30 novembre 2000, alors qu’il est en déplacement à Glasgow, en Coupe de l’UEFA, et que Pilar est en train de se brosser les dents en chemise de nuit, des inspecteurs du fisc font irruption dans la villa de Strasslach. Ils repartent avec trois gros classeurs relatifs à la construction de cette maison. Dans le même temps, l’appartement des Brehme dans la station de ski autrichienne de Kitzbühel et la chambre de l’hôtel qu’occupe Andy à Kaiserslautern sont également perquisitionnés. En tout, huit agents sont mobilisés pour enquêter sur de présumées taxes impayées lors du transfert de Saragosse à Kaiserslautern en 1993. Au même moment, le club fait l’objet d’une enquête pour avoir versé à ses joueurs 20 millions d’euros de droit à l’image sur des comptes en Suisse.
Alcool, retrait de permis et pied droit
Les deux affaires ne sont pas liées, Andreas brame son innocence, mais force est de constater que les ennuis s’accumulent. Au bout de deux saisons, Brehme quitte son club de cœur. Il faut attendre 2004 pour le revoir sur le bord d’un terrain. Celui d’Unterhaching, petit club de la banlieue de Munich qui hésite entre la deuxième et la troisième division. « Quelqu’un de sympa, on s’entendait bien, se souvient l’ancien président du club Engelbert Kupka. Même quand je l’ai viré, au bout d’une saison, il n’a pas gardé de rancœur. » À l’époque, Brehme a d’autres problèmes, plus importants que le foot : son fils, Ricardo, 16 ans, manque de mourir d’une crise cardiaque avant de se réveiller après quelques jours de coma. Ce n’est qu’en tant qu’adjoint de Giovanni Trapattoni, son modèle depuis l’Inter, qu’il réapparaît au VfB Stuttgart, à l’été 2005. Un duo qui dure sept mois.
Le 9 février 2006, Brehme se fait virer de ce qui reste son dernier job en date. « Nous étions cinquièmes, et le président a jugé que nous pouvions faire plus, justifie-t-il dans El Pais. Finalement, ils ont terminé neuvièmes, ce qui démontre le bon travail que nous avions fait. » En chute libre professionnellement, Brehme rebondit de moins en moins haut. Le seul boulot que retrouve Brehme est celui « d’ambassadeur de la fédération allemande de football ». Mais lorsqu’on s’est habitué à vivre comme un champion du monde et que l’on s’est découvert une passion pour le golf et les voitures de sport, le salaire s’avère un peu léger. « D’autant qu’il a eu beaucoup de faux amis autour de lui, des mecs qui se sont servis de lui, glisse un proche du club de Stuttgart. Heureusement que sa femme Pilar était là pour lui. Elle faisait attention à lui, elle s’occupait de tout. Mais un jour, elle a dû en avoir marre et elle s’est barrée. »
Si Andreas retrouve l’amour lors de l’Oktoberfest suivante au bras d’une trentenaire travaillant dans la mode, la séparation avec sa femme ne semble pas l’avoir laissé indemne pour autant. Le 9 juin 2012, en faction sur la Leopoldstrasse, grosse artère commerçante de Munich, un agent de police trouve Andreas au volant de son Audi A7 et l’envoie au tribunal. La raison ? Le champion du monde n’a plus de permis depuis le 1er décembre 2011 et un test d’alcoolémie beaucoup trop positif. Une fois de plus, celui-ci plaide le malentendu et assure qu’il disposait d’un chauffeur, mais la rumeur court aussi vite que les conclusions hâtives : Brehme serait alcoolique, dépressif, bref, sur la mauvaise pente.
Bières et plage de Majorque
S’il est encore difficile d’en estimer l’ampleur, la déchéance financière d’Andreas Brehme, victime de mauvais placements, endetté auprès d’une société de consulting et sans doute lessivé par une séparation difficile, n’était pas facile à prévoir. Natif de la banlieue d’Hambourg et devenu pro après avoir suivi une formation de mécano, il reste longtemps dans l’ombre de Rudi Völler, Lothar Matthäus ou Jürgen Klinsmann. Et ne s’expose à la lumière qu’épisodiquement. En demi-finales contre la France en 1986, puis au même niveau contre l’Angleterre en 1990, son pied gauche est décisif sur coup franc. Pourtant, le 8 juillet 1990 au Stadio Olimpico de Rome, c’est bien du droit qu’il va transformer le penalty de la victoire. « Lors de son premier entraînement, quand il est arrivé au Real Saragosse, je me suis rapproché de lui pour lui demander à quoi il avait pensé avant de tirer le penalty en finale de la Coupe du monde, se souvient Xavi Aguado. Il m’a dit : “J’ai pensé à mon frère qui était à Majorque en train de boire des bières et je me suis dit que j’aurais bien voulu être à ses côtés plutôt que de tirer ce penalty.”»
Par Thomas Pitrel, en Bavière, avec Ali Farhat, à Bonn, Côme Tessier, Javier Prieto-Santos et Charles Alf Lafon
Tous propos recueillis par TP, CT, AF, CAL et JPS, sauf mentions.
→ Cet article est tiré du So Foot #121 sorti en kiosques en octobre 2014. Le début d'article de l'époque a été légèrement modifié.