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André Onana, un lourd héritage à portier
Ce samedi, André Onana sera seulement le deuxième gardien né en Afrique à être titulaire dans une finale de Ligue des champions. Passé par la Fondation Eto'o avant de s'envoler pour l'Europe, le portier camerounais en a traversé, des épreuves. Portrait d'un gardien qui n'aime pas jouer dans les buts.
Le 30 mai 1984, Alan Kennedy transforme le cinquième tir au but de Liverpool et offre la victoire aux Reds, au bout de la première finale de Coupe des clubs champions de l’histoire à s’être finie à la « loterie » (selon certains sélectionneurs) et la quatrième pour le club de Liverpool. Si l’Anglais s’est retrouvé dans cette position, c’est parce que Bruce Grobbelaar, grâce à sa technique des « jambes en spaghetti », venait de forcer les Romains Bruno Conti puis Ciccio Graziani à envoyer leurs tentatives au-dessus de son but. Avec ce sacre, le portier zimbabwéen devenait le premier gardien né en Afrique à soulever le Graal. Et depuis… plus rien. Seul l’immense Tony Sylva, même pas titulaire avec Monaco, est retourné en finale en 2004. Samedi, le natif de Durban en Afrique du Sud pourrait avoir un successeur en la personne d’André Onana, 27 ans. « Un honneur pour toute l’Afrique et pour le Cameroun », affirme le légendaire Thomas Nkono.
De la Fondation Eto’o au gratin des gardiens
Cette ultime rencontre de la saison, probablement la plus importante de sa carrière en club, pourrait ponctuer en beauté une saison magistrale, notamment en Ligue des champions. « André Onana fait partie des quatre ou cinq meilleurs gardiens du monde en ce moment, cela me semble évident. Il y a Thibaut Courtois, Emiliano Martinez, Manuel Neuer, même s’il est blessé depuis quelques mois, Alisson Becker, et Onana », tranche Joseph-Antoine Bell, un de ses prédécesseurs de prestige dans les cages des Lions indomptables. « Aujourd’hui, André est dans la cour de Ter Stegen, Alisson, Ederson », corrobore Fabrice Olinga, qui a partagé le maillot de la sélection avec lui. L’ancien de Malaga a aussi passé une bonne partie de son enfance avec Onana. Tous les deux nés en 1996, ils sont recrutés au milieu des années 2000 par la Fondation Samuel Eto’o, à Douala, et se lient d’amitié, notamment lors des voyages en Espagne.
À l’époque, celui qui est désormais réputé pour la qualité de son jeu au pied ne crève pas encore l’écran avec ses facilités techniques. « Je pense que ses passages à Barcelone et à l’Ajax ont fait de lui le gardien qu’il est », estime son pote. Comme une dizaine de joueurs de cette génération, André Onana est invité à rejoindre le prestigieux FC Barcelone à 14 ans, tandis qu’Olinga s’envole un an plus tard vers les Baléares et Majorque. Même s’il est envoyé plusieurs fois en prêt dans plusieurs petits clubs espagnols comme Cornellà en 2012 et Vista Alegre en 2013, ne pouvant évoluer de suite au Barça à cause de son statut d’étranger mineur, le portier finit par gravir en Catalogne tous les échelons et remporte même la Youth League en 2014. Toutefois, il n’entre pas dans les plans de Luis Enrique et se fait barrer la route par le tandem composé de Marc-André ter Stegen et Claudio Bravo. En janvier 2015, il prend ses cliques et ses claques, et atterrit aux Pays-Bas, pour garder les buts de l’Ajax. Ou plutôt les buts de la réserve du club amstellodamois, qui évolue en deuxième division locale. Même s’il ne compte toujours aucune apparition en pro, il est convoqué une première fois par Volker Finke en octobre 2015 lors d’un match face au Nigeria.
Âgé de 19 ans, il n’entre pas en jeu, mais vit son premier rassemblement. « Il est arrivé et il s’est tout de suite fondu dans la masse. C’était le petit frère, mais une fois sur le terrain, ce n’était plus le petit frère. Il n’hésitait pas à nous donner des consignes. Il a fait sa place tout doucement sans faire de vagues », se souvient Aurélien Chedjou, titulaire lors de cette défaite face aux Super Eagles (3-0). Le gardien aligné ce soir-là s’appelle Fabrice Ondoa, qui n’est autre que le cousin d’André Onana. Excellent lors de la CAN remportée par le Cameroun en 2017, Ondoa est un an plus âgé et a lui aussi vécu le parcours Fondation Eto’o-Barcelone. Sauf que l’actuel portier du FK Auda en Lettonie est indiscutable dans les buts camerounais depuis l’automne 2014 et le sera jusqu’en mars 2018.
Même si André Onana s’impose en club à partir de septembre 2016, il est relégué sur le banc par ses sélectionneurs. « Certains vont aimer comment il joue, d’autres moins. André était peut-être le meilleur gardien du championnat néerlandais, mais il a accepté ce rôle au sein de la sélection », explique Fabrice Olinga. Ce dernier a la chance de jouer avec lui en 2018 lorsque le natif de Nkol Ngok s’impose enfin en équipe nationale. « C’était une fierté ! Quand on était plus jeune, on rêvait tous de jouer avec la sélection du Cameroun. Certains qui étaient avec nous n’ont pas pu réaliser ce rêve-là », témoigne Fabrice. Une période onirique d’abord stoppée par son contrôle positif en octobre 2020 au furosémide, un diurétique, qui lui a valu une suspension d’un an, réduite à neuf mois, le Tribunal arbitral du sport ayant reconnu qu’il n’avait pas réellement eu l’intention de se doper.
Écarté des terrains jusqu’en novembre 2021, le gardien se tourne les pouces. « C’était difficile pour lui, et pendant ce temps, il venait parfois à Mouscron voir mes matchs. Sa famille et nous, ses proches, on a essayé de remplir notre rôle et de le soutenir », raconte Olinga, qui s’est rapproché de lui durant cette phase. Toujours attaché à l’Espagne, il s’y rend parfois pour y retrouver son préparateur physique, histoire de garder la forme. « Quand je pouvais, que j’avais quelques jours, je le retrouvais à Amsterdam. Ou alors on allait à Paris. Sa suspension est vite passée », détaille l’ailier gauche. Pendant ce temps, sa prolongation à l’Ajax ne se fait pas, et son nom se balade un peu partout en Europe. À Lyon notamment, où Peter Bosz, qui l’a lancé dans le grand bain à l’Ajax, tente de le récupérer. Finalement, c’est l’Inter qui rafle la mise, et qui assure une succession au vétéran Samir Handanovič. Arrivé l’été dernier en Italie, il met une petite dizaine de journées avant de déloger son coéquipier slovène et de conquérir les Nerazzurri.
Tout simplement noir
Désormais reconnu, le portier aurait pu rejoindre la Botte juste après sa première vraie belle saison, et la finale de Ligue Europa perdue contre Manchester United en 2017. Toutefois, le racisme de certains fans italiens a tout fait capoter. « Les discussions se sont bien déroulées jusqu’à ce que le directeur du club appelle mon manager et lui dise qu’il pensait qu’Onana était un excellent gardien de but, mais qu’il ne pouvait pas m’engager. Un gardien noir causerait trop de problèmes à ses supporters », racontait-il, sans citer le club en question, au quotidien belge Nieuwsblad en 2020. Rare Africain à s’être imposé dans un grand club européen à ce poste, il a rapidement saisi la difficulté pour un gardien noir de réussir dans le foot. En 2019, il affirmait à la BBC qu’un « gardien noir doit travailler deux fois plus » et dénonçait les clichés véhiculés à propos des portiers africains. « On vient d’Afrique. On a besoin de prouver deux fois plus que ceux qui sont nés en Europe ou formé dans un club là-bas. Ça arrive à lui, mais c’est la même chose pour tout le monde. Même les attaquants », confirme Thomas Nkono, l’idole de Gianluigi Buffon.
Comme à l’Ajax, son jeu au pied fait mouche. S’il excelle autant balle au pied, c’est pour une raison toute simple : jouer gardien, ce n’est pas sa tasse de thé. « Petit, il n’aimait pas jouer dans les buts. Et encore aujourd’hui d’ailleurs, raconte son pote Fabrice Olinga. Il n’aime pas, mais il joue parce que c’est son métier ! Si vous le mettez milieu de terrain, il va jouer. Quand on joue entre nous, il ne joue jamais dans les buts. Il a la qualité technique. Après, il n’aura peut-être pas le souffle. » Ce sont bien ses qualités de gardien, et non de milieu, qui l’enverront au Qatar, où le Cameroun dispute le Mondial, pour la première fois depuis 2014. Après une défaite en ouverture face à la Suisse (1-0), la faute à un but de Breel Embolo, natif de Yaoundé, les Lions indomptables doivent se rattraper face à la Serbie pour espérer voir les huitièmes de finale.
This is not a Love Song
Sauf que ce 28 novembre, c’est Devis Epassy qui garde les buts. La veille de la rencontre, une dispute a éclaté entre le numéro 23 et son sélectionneur, Rigobert Song. Écarté du groupe, il quitte finalement le rassemblement le mardi matin, au lendemain du match nul (3-3). « Est-ce que c’est lui qui a demandé de quitter le groupe, ou lui a-t-on demandé de quitter le groupe ? » Voilà la question rhétorique posée par Aurélien Chedjou qui connaît, « bien sûr », la réponse à sa propre interrogation. Si l’ancien défenseur lillois ne veut pas vendre la mèche, il précise que « connaissant le bonhomme et son tempérament, qu’il est respectueux du groupe et du maillot camerounais, je le vois très mal prendre la décision de partir ». Fabrice Olinga aussi assure savoir ce qu’il s’est vraiment passé et ne pas vouloir être celui qui divulguera l’affaire.
Vincent Aboubakar, lui, s’en fout complètement. « On arrive à l’entraînement, on commence à faire la mise en place. Le coach il parle, André Onana parle… Le coach, il parle, André Onana parle. Ils se sont pris la tête. Après, ils commencent à parler parler parler parler. Le coach a parlé parlé parlé parlé », expliquait clairement l’auteur de la plus belle louche du Mondial dans l’émission Droit dans les yeux sur Canal+ Sport en mai dernier. Selon lui, Song aurait également balancé un « Il faut fermer ta bouche et me respecter » et aurait demandé à son gardien de quitter le groupe lors de l’altercation. Le 23 décembre, près d’un mois après la rixe, Onana annonce qu’à 26 ans, il était temps pour lui de prendre sa retraite internationale.
« Il a fait son annonce à 11 heures, se souvient Chedjou. Avant, il m’a appelé à 8 heures. Je dormais encore. Et il me dit ce qu’il avait envie de faire. Moi, j’essaie de le dissuader, de lui faire comprendre qu’il faut qu’il reste calme et que le Cameroun a besoin de lui. Mais avec sa famille, il prend la décision de l’annoncer. » Malgré tout, André Onana devrait bien faire son retour en sélection, et aurait même été convoqué par Rigobert Song pour le match de juin face au Mexique, à San Diego, aux États-Unis, s’il n’avait pas eu une finale de la Ligue des champions à jouer. Décrit par ses proches comme quelqu’un sur qui la pression n’a aucun effet, il aura la lourde tâche de succéder au président de sa fédération, Samuel Eto’o Fils, dernier Camerounais à avoir remporté la C1. C’était en 2010, et c’était, déjà, avec l’Inter.
Par Léo Tourbe
Tous propos recueillis par LT, sauf ceux de Bell par Alexis Billebault et ceux d'Aboubakar et d'Onana comme mentionné.