- Euro 2016
- Gr. E
- Belgique-Italie
- Interview
Anastasi : « À 20 ans, je pouvais jouer un match par jour »
Si l’Italie ne s'impose pas en finale le 10 juillet prochain, elle passera donc le cap du demi-siècle sans remporter un titre continental. La Nazionale n'a en effet remporté qu'une seule fois l'Euro, en 1968. Pietro Anastasi y était. Il a même marqué en finale. Interview.
L’Italie a remporté quatre fois la Coupe du monde, mais une seule fois l’Euro, en 1968. C’est une compétition que la Nazionale prend à la légère ? Non, je ne pense pas, ce n’est pas le genre de la Nazionale, c’est comme pour le Mondial, elle l’a toujours affronté avec l’intention de faire du mieux possible. Vous savez, d’autres facteurs entrent en compte, il y a une part de malchance, peut-être de fatalité. On a quand même soulevé deux autres Coupe du monde depuis 1968, une compétition beaucoup plus difficile à gagner.
En 1968, c’était une formule réduite avec seulement demi-finale et finale, vous sentiez tout de même l’importance d’une telle compétition ?Il y avait déjà six matchs de poule avant
(l’Italie avait terminé première de sa poule devant la Roumanie, la Suisse et Chypre, ndlr), mais c’est vrai que pour la phase finale, il n’y avait que la demie et la finale. On jouait à domicile, donc il y avait une certaine attente qui s’était naturellement créée, on ressentait la pression, les tifosi attendaient beaucoup de nous, surtout après l’élimination contre la Corée du Nord au Mondial 1966. Je pense même qu’on était considérés comme les favoris.
1968, une année de tumultes sociaux, vous aviez réussi à en faire abstraction ?Ma foi, je parle pour moi, j’avais tout juste 20 ans, je ne m’intéressais pas à la politique, et c’est encore le cas aujourd’hui. J’étais convoqué en sélection, je profitais de ce moment à 100% et je ne faisais pas attention à ce qui se passait autour. La préparation consistait en un stage de deux semaines avant le début de la compétition, du côté de Fiuggi, à l’est de Rome.
Comment avez-vous intégré le groupe à la dernière minute ?
J’avais déjà été convoqué pour plusieurs matchs auparavant, mais sans jouer. Je m’étais mis en valeur à Varese pour ma première saison de Serie A, c’était une équipe de seconde zone, qui venait de Serie B, et qui venait de faire un très bon championnat (8e de Serie A, pas la moindre défaite à domicile dont une folle victoire 5-0 à domicile face à la Juventus avec un triplé d’Anastasi, ndlr), durant lequel j’avais inscrit 11 buts.
Vous avez réussi à vous faire une place au milieu de tous ces grands noms ?Regardez-bien la liste, il n’y avait que des champions, c’était tout bonnement incroyable ! Riva, Mazzola, Burgnich, Facchetti, Zoff, Rivera et des moins connus comme De Sisti, Salvadore et Domenghini. J’étais le plus jeune et j’étais considéré un peu comme le petit frère, la mascotte du groupe souvent au centre de l’attention. Et ces grands noms étaient tous sur la même longueur d’onde, ça a d’ailleurs été un des secrets de notre victoire, même si c’était une compétition très courte.
Laquelle débute d’ailleurs par cette fameuse demi-finale contre l’URSS remportée à pile ou face après le score de 0-0.
J’étais en tribunes et je ne sais pas comment cela s’est précisément passé, on tend à lire plein de versions différentes. Ce qui est certain, c’est qu’on savait que notre capitaine Facchetti était quelqu’un de très chanceux aux jeux de hasard, donc on était confiants. D’après ce dernier, après l’avoir lancée, l’arbitre a eu du mal à retrouver la pièce et heureusement, elle était tombée du bon côté.
Comment s’est passée l’attente dans les gradins ?On était tous anxieux, c’était comme si on attendait la naissance d’un fils ! Puis Facchetti est sorti des vestiaires en agitant son maillot bleu, et là, on a su que c’était bon, quel soulagement !
Et la réaction des Soviétiques ? Sincèrement, qu’est-ce qui est le plus cruel : être éliminé par un tirage au sort ou plutôt sur un penalty loupé par un joueur lors d’une séance de tirs au but en finale ? Demandez à Baggio pour voir, c’est un truc qui vous suit toute votre vie. Au moins là, il n’y avait ni coupable ni innocent !
Avant la finale, Marić, le sélectionneur yougoslave, avait déclaré : « On a battu les Anglais champions du monde en demies, il me semble évident que l’on peut tranquillement réitérer cette performance face aux Azzurri. » Oui, il avait eu une attitude présomptueuse, ils se croyaient plus forts et d’ailleurs ils l’ont démontré sur le terrain lors de la première rencontre. C’était une équipe vraiment douée, très technique. Je me souviens d’ailleurs de leur ailier gauche, Džajić, qui était vraiment impressionnant. C’est lui qui marque leur but et ils ont été tout proches de doubler la mise. Ils pensaient que c’était dans la poche, mais on a égalisé à dix minutes de la fin sur un coup franc de Domenghini qui est passé je ne sais comment au milieu du mur.
À la surprise générale, vous êtes titularisé pour cette finale.Je l’ai appris à la toute dernière minute, on était dans les toilettes et le sélectionneur me lance : « Hey picciotto, tu joues ! »
Il m’a appelé comme on appelle un gamin dans mon patois sicilien. Je n’avais encore jamais étrenné le maillot « azzurro » , j’avais tout juste 20 ans, c’était un risque pour lui. Je pense qu’il avait vu en moi l’envie de tout casser, j’avais faim, envie de bien faire, de démontrer des choses. Du coup, je suis aligné devant avec Pierino Prati (auteur d’un triplé en finale de C1 en 1969 avec l’AC Milan, ndlr), j’aimais bien prendre place sur le côté, déborder, dribbler, centrer, c’est ce que j’ai fait à la Juve avec Bettega pendant des années.
Avec ce nul 1-1, le règlement stipule que la rencontre doit être rejouée 48 heures plus tard, que s’est-il passé durant ce laps de temps ?Nous étions à l’hôtel, détendus, on jouait au billard, au baby-foot. Pendant ce temps, Valcareggi et le staff phosphoraient pour tenter de trouver une solution et mettre en place le meilleur onze possible. Finalement, ils décident tout simplement d’effectuer cinq changements entre les deux formations de départ : out Pratti, Juliano, Lodetti, Guarnieri et Castoro, in Riva, De Sisti, Mazzola, Rosati et Salvadore. C’est ce qui fait la différence, car on était beaucoup plus frais.
Mais pas vous, non ?Ça me fait rire quand j’entends des joueurs se plaindre de jouer tous les trois jours, j’avais 20 ans, en pleine possession de mes moyens, j’étais bien capable de disputer un match par jour !
Vos adversaires, eux, font l’erreur de ne pas faire tourner.Ils étaient cuits, mais aussi démoralisés par rapport au scénario du match précédent qu’ils étaient convaincus de gagner.
Ils n’ont pas eu le temps de métaboliser la déception. Nous, on a mis le pied sur l’accélérateur de suite et on ouvre rapidement le score avec Gigi Riva qui profite d’une frappe déviée de Domenghini. J’inscris le second but, ça part d’un dégagement à la main de Zoff, De Sisti remonte le ballon et me le transmet aux abords de la surface. Je n’ai toujours pas compris si je me le lève du gauche ou du droit, bref, j’enchaîne une demi-volée qui finit à ras du poteau. Un mélange de talent et de chance, d’ailleurs, il est considéré comme un des plus beaux buts de l’histoire de la compétition.
À 2-0, les Yougoslaves ont réagi ?Difficilement. On était vraiment au-dessus, 2-0 ça a bien respecté la physionomie du match, ça aurait d’ailleurs dû être le score en leur faveur lors de la première finale.
Et là, le Stadio Olimpico de Rome « s’embrase » … Au moment où le match touche à sa fin, tous les tifosi ont allumé leur briquet, enfin les fumeurs ! Certains ont même brûlé des journaux pour faire des torches, c’était quelque chose de nouveau à l’époque, et ça a donné un rendu magnifique. C’est quand même plus beau que de faire pareil avec son téléphone, non ?
Quelles ont été les festivités ?Nous sommes rentrés à l’hôtel, et les tifosi accompagnaient notre bus.
On a mangé un bout, on a fêté jusque tard, puis on est tous rentrés chez nous. Un peu plus tard, nous avons tous été faits « chevaliers de la République » , l’État a dû faire une exception pour moi, car je n’étais pas encore en âge de recevoir cette distinction, la majorité étant de 21 ans à l’époque. Enfin, le plus beau a été mon retour à Catane, avec mes amis d’enfance, on s’est mis à faire un foot sur une place de la ville comme quand on était « picciotti » .
Vous enchaînez par un transfert à la Juve. Vous avez alors 20 ans, comment avez-vous géré cette ascension fulgurante ?Grâce à ma future femme que je venais de rencontrer et qui me ramenait les pieds sur terre dès que je m’enflammais. Quand je pensais avoir bien joué malgré un match moyen, elle me rétorquait directement que j’avais été mauvais ! (rires)
Propos recueillis par Valentin Pauluzzi