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Anaïs Bohuon : « La testostérone ne fait pas gagner les matchs »

Propos recueillis par Thomas Fourcroy et Lhadi Messaouden
9 minutes
Anaïs Bohuon : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>La testostérone ne fait pas gagner les matchs<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Alors que la Coupe du monde féminine bat son plein, la FIFA continue de proposer un règlement arbitraire afin de prouver que ses footballeuses sont bien des femmes. Anaïs Bohuon, socio-historienne du sport et auteur du livre Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?, nous renseigne sur la question.

Vous qui avez enquêté sur le sujet, quelle est l’histoire de ces fameux tests de féminité ?

Tout a commencé dans les années 60, quand on s’inquiétait des records et des corps masculins de certaines épreuves sportives. La Fédération internationale d’athlétisme a décidé de mettre en place des tests de féminité en 1966 aux championnats d’Europe de Budapest. Ces premiers tests étaient morphologiques et gynécologiques. Les athlètes devaient passer devant trois gynécologues, montrer leur organes génitaux pour prouver le fait qu’elles étaient bien de « vraies femmes » . Ensuite, elles devaient procéder à des épreuves de force pour évaluer leur capacités respiratoires et leur puissance musculaire. En 1968, ces tests ont été remplacés, car l’opinion publique, certaines équipes et athlètes ont jugé cela humiliant. Le CIO penche alors pour un test dit « chromosomique » afin de s’assurer que les femmes soient bien XX. Ensuite, dans les années 90, on a cherché à trouver le Y et non le X. Ce qui fait qu’on s’est concentré sur des caractéristiques physiques proches des hommes. Le problème, c’est qu’on a découvert l’intersexualité. Que faire alors des filles qui sont XXY ? Du coup, dès 2000, le CIO a interdit cette méthode, mais plusieurs instances sportives se sont réservé le droit, après quelques soupçons visuels, d’évaluer le taux de testostérone des sportives. Ce sont des tests hormonaux, et la FIFA procède comme ça depuis juin 2011. Elle établit arbitrairement le taux de testostérone qu’une joueuse de foot devrait avoir pour « être une femme » . Depuis, on accuse différents pays de présenter sur le terrain des hommes alors qu’il s’agissait d’individus inter-sexe…

Donc ce test n’est pas vraiment fiable…

Non, il n’est pas fiable du tout. On est face à des variations quantitatives, c’est ce que tous les scientifiques disent. Parfois, la différence de testostérone va être plus grande entre deux hommes qu’entre un homme et une femme. Ça, c’est la première idée. La deuxième, c’est qu’aucune étude scientifique n’atteste que la testostérone est la molécule maîtresse de la réussite d’un athlète ou d’une athlète. Ce n’est pas parce qu’on produit un taux de testostérone supérieur à la moyenne que l’on va nécessairement briller sur les pelouses. La troisième idée, c’est qu’on est en présence de taux qui changent et qui évoluent notamment à cause de l’alimentation, mais aussi en fonction de l’intensité de l’entraînement. C’est-à-dire que si, moi, demain, je pousse de la fonte, je vais produire plus de testostérone que beaucoup d’autres personnes. La démarche de la FIFA est critiquée et critiquable. Le taux, le seuil est arrêté de manière arbitraire… Pourquoi on régulerait un avantage physique plutôt qu’un autre ? C’est aussi insensé que de limiter la taille d’un basketteur.

Pour revenir au cas de la joueuse coréenne Park Eun-Seon, on s’est rendu compte que les adversaires avaient le pouvoir de saisir la FIFA pour faire passer ce fameux test de féminité. Permissif comme manière de faire, non ?

Je le dis d’une manière ironique, mais j’en viens à regretter le caractère systématique des tests. Il faut savoir que, jusque dans les années 2000, elles devaient toutes y passer. Il y avait une certaine forme d’égalité. Depuis que ces tests ne sont plus systématiques, on ne se base que sur les soupçons visuels venant d’autres délégations et entraîneurs qui remettent en cause les caractères normatifs d’une féminité que j’appelle « occidentale » . Avec Park Eun-Seon, on voit bien quand on la regarde qu’elle ne répond pas aux critères normatifs d’une féminité occidentale. Ce serait par exemple très rare de voir une joueuse de l’équipe de France féminine remettre en cause sa féminité au point de passer un test. Pareil pour les joueuses américaines. Ce sont souvent les continents indiens, asiatiques ou africains qui sont visés, accusés de produire des athlètes qui ne sont pas de vrais femmes.

Dans le règlement de la FIFA, on demande même à chaque staff d’étudier activement les « déviances dans les caractéristiques sexuelles secondaires des joueuses » …

C’est très choquant, je milite contre ça depuis des années. Ça montre que dès qu’on ne correspond pas à la norme, XX pour une femme ou XY pour un homme, on est considéré comme déviant. Les caractéristiques secondaires sont la pilosité, un morphotype dit masculin, des hanches indistinctes, une petite poitrine, une voix rauque, une certaine musculature… Je suis beaucoup la Coupe du monde féminine dans des bars, certains ont l’air surpris. La plupart ne comprennent pas grand-chose au foot et me disent : « C’est pas possible, vous avez vu ces cuisses ? » On n’a pas l’habitude des femmes sportives. Il faut savoir que la pratique bouleverse les corps à tel point que ces filles ont des muscles différents, c’est ce qui dérange, car on sort de nos stéréotypes et de nos représentations.

Restons sur les représentations. Est-ce qu’on peut imaginer un homme passer un jour un test de masculinité ?

Très bonne question. Ça n’est jamais arrivé et ça n’arrivera jamais. Pour la bonne et simple raison que, dans notre imaginaire, le sport est un fief de la virilité, un bastion de masculinité. Pour beaucoup, on n’est jamais trop viril pour faire du sport. Et ces hommes qui développent des qualités estimées féminines comme la grâce, la souplesse ou l’élégance n’effraient pas le monde du foot. On considère de toute façon que ces hommes ont les attributs du sexe faible, le sexe qui perd, le sexe qui est moins fort et qui ne permet pas de gagner. Un footballeur efféminé ne va pas être attaqué sur son sexe, mais sur sa sexualité, il va être accusé d’être gay. Ce n’est pas la même problématique, on ne va pas avoir peur qu’il soit une femme, car on n’estime pas les attributs de ce sexe-là.

Genoveva Añonma, une joueuse équato-guinéenne, avait été obligée de se déshabiller devant les officiels de la CAF pour prouver qu’elle était bien une femme… Un cas comme celui-ci pourrait se reproduire ?

Oui. Dans mon enquête, j’ai rencontré une championne de ski suisse des années 80 – je ne vais pas la citer, car elle souhaite rester anonyme – qui aurait même subi un test gynécologique, un frottis, etc. Tout dépend des instances médicales de chaque pays. Dans certains cas, les règlements mis en place peuvent être dépassés, donc non, cela ne me surprend pas.

De plus, au-delà d’être arbitraire, un test visuel n’est pas forcément efficace, une hypertrophie des glandes surrénales peut faire passer un clitoris pour un pénis…

Exactement ! Et je vais encore plus loin quand je discute avec mes étudiants. En quoi un clitoris beaucoup plus grand que la moyenne peut faire marquer plus de buts ? Je ne vois pas en quoi c’est un problème pour les instances sportives, en quoi cela constituerait un avantage ? Mais cela dérange. Des instances imposent des opérations de chirurgie réparatrices du clitoris ou des testicules entra-abdominales aux athlètes (qui se développent à l’intérieur)… Ça va très loin dans le sens où ce sont des opérations lourdes. Mais parfois, c’est ça ou une interdiction de concourir. De quel droit les oblige-t-on ? Je ne comprends pas et je ne suis pas la seule.

Il y a aussi le cas de Jaiyah Saelua, transexuelle qui joue pour l’équipe masculine des Samoas américaines. Le cas inverse est-il possible ?

La catégorie clef dans le monde du foot et du sport en général, c’est celle des hommes et le fait que cette trans continue de jouer avec eux ne pose pas de problème. Elle fait désormais partie du sexe faible et ne représente donc pas de danger particulier pour les adversaires. Dans l’idée des instances sportives, elle reste imperméable à un certain niveau de performance et de records. L’inverse, une femme qui deviendrait un homme, mais qui continuerait de jouer avec les femmes, est impossible. L’homme représente quelque chose de fort, elle pourrait profiter des attributs qu’on présente comme des avantages.

Selon vous, des pressions existent-elles de la part des sponsors pour pousser les joueuses à être féminines et sexy sur la pelouse ?

Je suis une ancienne sportive de bon niveau et il y a une injonction à cette féminité à respecter les règles. Elle est financière, économique et plus encore médiatique. La demande derrière, c’est « restez de vraies femmes et féminisez-vous, car ça va attirer les médias » . Ça n’existe pas seulement dans le foot. Plus vous entrez dans des critères normatifs et plus vous intéressez le spectateur, car le public du foot est majoritairement masculin. Celles qui ont participé à la campagne de la FFF sont celles qui répondent le plus à ces critères de féminité (en 2009, la FFF avait fait poser nues Gaëtane Thiney et Corine Franco). C’est une stratégie qui est aujourd’hui proche d’être obligatoire pour les filles. Pour les hommes, c’est d’ailleurs la même chose. On parle beaucoup de leurs coiffures, de leur esthétisme. Il y a de plus en plus de joueurs de foot qui font du mannequinat et qui posent pour des publicités. Ce sont des enjeux économiques qui relèvent de la médiatisation. Le sport bouleverse les morphologies, des cuisses jusqu’aux abdos, et on a la crainte d’être vue comme un homme, d’être associée à une image négative. Beaucoup de footballeuses cultivent leur féminité pour être tranquilles. C’est pour elles une manière de dire : « On tacle, on donne dans la violence, on fait un sport d’homme, mais ne vous inquiétez pas, on reste ce que vous voulez qu’on soit : des femmes. »

Arrive la question de l’homosexualité dans le foot…

C’est la suite de tout ce qu’on vient d’aborder. Derrière tous ces tests, qui partent de critiques physiques, l’homosexualité est la principale crainte des instances sportives. Dans mes entretiens, tout le monde m’a précisé, des médecins jusqu’aux sportifs eux-mêmes, qu’une vraie femme était « reproductrice » . Dès l’ouverture aux femmes des premiers Jeux olympiques, on avait peur qu’elles deviennent stériles et peu ouvertes aux désirs de l’homme… Ce n’est donc pas surprenant qu’au XXIe siècle, des footballeuses doivent justifier leur sexualité en disant : « Ne vous inquiétez pas, je fais du foot, j’ai peut-être l’air d’un mec, mais je suis hétéro. » Très rares sont celles qui font leur coming-out. Pour moi, c’est encore plus difficile pour un footballeur d’assumer son homosexualité que pour une joueuse pro. C’est important de le rappeler.

14 joueuses sont par exemple ouvertement gay dans cette Coupe du monde. Du côté des hommes, on est loin du compte…

Oui, mais ce n’est pas pour autant « facile » pour les joueuses. Le monde du football est très dur. C’est très difficile de faire son outing. L’homosexualité féminine est quelque chose de plus toléré par la société que l’homosexualité masculine. Dans le foot, comme dans beaucoup de sports, il faut être viril et ne pas pleurer. Je vais donner dans la caricature, mais les filles pleurent plus après une défaite que les garçons. Je vois par exemple mal Zlatan pleurer après un but encaissé. Il se prendrait tout un tas d’ignobles critiques. En revanche, si Elise Bussaglia pleure, ça passe, c’est accepté. Dans le milieu des sports collectifs, l’homosexualité féminine est connue, alors que du côté des garçons, on n’en parle pas. Ce n’est même pas concevable, c’est hyper tabou.

Anaïs Bohuon, Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?

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Propos recueillis par Thomas Fourcroy et Lhadi Messaouden

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