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Amour, gloire et Didier
Quelques minutes après la victoire contre l'Angleterre mardi soir, Didier Deschamps a affirmé qu'il aura un « été studieux ». Et si les prochaines semaines étaient finalement celles de la révolution ?
Ce matin encore, les fidèles des bords de la Madrague ont claqué le doublé parfait : chocolatine-expresso, sans fioriture. Anglet se réveille, le soleil de juin fracasse les crânes, mais la rumeur d’un retour de l’enfant prodige dans la région commence à se répandre. La veille, il aurait été aperçu accompagné d’une épaisse moustache, mais tout le monde assure que Mediapart n’y est pour rien. Tom Selleck, lui, n’a rien à foutre de la pelote, trop occupé à emmerder le monde avec ses propriétaires de fusil donc, à la partie de Qui est-ce ? lancée depuis plusieurs heures sur les terrasses de la ville, une réponse unanime vient de sortir : Gérard Gili est dans le coin. Voilà maintenant cinq jours que les vacances ont commencé et que Didier Deschamps a annoncé à la face du monde son programme des prochaines semaines : « Je vais avoir un été studieux. » Didier l’Insoumis veut retrouver le calme tout en s’extirpant quelque temps des critiques de ces guignols qui n’ont jamais couché le moindre dispositif tactique de leur vie et qui passent leur temps à vouloir prendre sa place. Pour la première fois depuis le début de son mandat national, l’homme sans lèvre vient de boucler un exercice sur une victoire – contre l’Angleterre avec des biberons plein les mains. Au fond, ça ne change pas grand-chose à notre vie, mais pas mal à la sienne. Problème, le roi Didier se sait en danger et se doute qu’une partie de son avenir pourrait se jouer le 31 août prochain contre les Pays-Bas. Il faut qu’il bouscule ses propres codes, qu’il joue avec ses certitudes, qu’il accepte qu’à 48 ans, on peut prendre des virages. Première étape de son plan : Anglet.
Le chamane et les peluches
Avec tonton Gili, donc. Pour faire le point, Didier Deschamps a d’abord envie de consulter son druide et ancien chef de cCorps. Ils se retrouvent à Anglet car le fief du Labourd – laissons Jeremy Corbyn tranquille – est l’un des seuls endroits où le sélectionneur national se sent vraiment chez lui, au-delà de sa résidence principale de Cassis et de sa villa à Cap-d’Ail. Gili reprend donc Didier sous ses ailes et l’emmène d’abord voir son pote d’enfance, Manu, avec qui il a l’habitude de claquer les parties de pala ancha. De l’autre côté de la grille, on comprend vite que le programme est d’abord destiné à expurger les mauvaises ondes qui entourent le colonel Deschamps. Entre les thuyas, on parvient à distinguer un Gégé La Science, déguisé en chaman, accompagné d’amulettes mystiques et incapable de s’arrêter de souffler dans un calumet épicé. Face à lui, installé sur un tabouret, Didier Deschamps est obligé d’affronter ses problèmes. Gérard Gili, lui, hurle : « Solna ! Solna ! Solna ! » Pire, il tourne autour du sélectionneur, le pointe du doigt, l’insulte de « petite frappe » et l’oblige à une confrontation avec Karim Benzema. Sous le soleil basque, KB9 débarque et ne flanche pas : « Tu sais Didier, je suis KB Nueve, je n’ai pas besoin de toi. J’ai trois Champions à 29 piges, tu en as combien toi ? Deux, ah, aujourd’hui, je te laisse baver. Je me retourne seulement pour voir les rageux qui me suivent. » Gili a réussi son coup. Deschamps est piqué au vif. Il rentre chez lui, passe les deux semaines suivantes à s’imposer un programme intense avec un certain Bear quelque chose, vit en permanence dans la colère, la haine, et se réveille souvent en pleine nuit. Il crie : « Hugo, Hugo ! » À ses côtés, trois petites peluches représentant trois visages : un Kylian, un Ousmane et un Thomas. Faut pas banaliser le coton.
« Je suis ta seule chance… »
Le constat de ses proches est brutal : Didier Deschamps est en perdition. Et voilà qu’un inconnu, vu par la femme du sélectionneur depuis plusieurs jours devant leur maison de Concarneau, décide enfin de s’avancer. Il dépose un paquet et repart, sans un regard, un peu reine de Saba. C’est un matin de début août et l’enveloppe laissée est fournie : L’envie de gagner et l’amour, L’autre chemin, La grande vérité… Avec les ouvrages, un mot : « Je suis ta seule chance. JPIR. » Il y a aussi un dessin et un billet pour Marbella. Aller-retour. Incapable de supporter la moindre accélération de ses nouveaux chouchous au moment de préparer la réception des Pays-Bas, le Deschamps lessivé file, se disant que quelques jours de repos pourrait bien l’aider à souffler. Bingo : au moment d’arriver à l’aéroport, un homme d’une quarantaine d’années, la mèche du type qu’on a envie de gifler et la chemise déboutonnée, est là pour lui. Il s’appelle José, est surnommé Pepe et son nom est Imaz. Ce n’est plus un inconnu. Deux heures plus tard, voilà Didier Deschamps dans une salle obscure, les mains tenues par Pepe Imaz. « Didier, prenons quelques instants pour nous connecter. Il faut prendre conscience de l’instant présent. C’est quelque chose qui transmet l’énergie, rapproche les corps. Plus tu as d’amour en toi, plus tu peux en recevoir. » Le Français est conquis, Imaz, coach mental de Novak Djokovic depuis trois ans, a capté sa proie. De retour en France, Deschamps décide de filer directement à Clairefontaine. Imaz doit le rejoindre quelques jours plus tard. Les joueurs arriveront le lendemain, mais tout doit être parfait. Guy Stéphan, lui, n’en croit pas ses yeux.
En arrivant au domaine de Montjoye, les Bleus découvrent le phénomène espagnol. Dans les chambres, les oreillers sont parfumés toutes les deux heures. Sur le terrain d’entraînement, les cerceaux sont remplacés par des couronnes de fleurs. Deschamps accueille chaque joueur par ce qu’il appelle un abrazo. Pogba affirme alors devant la caméra inside de la FFF que « le coach est fou hein ! » Dans sa démarche de paix et d’amour, Didier Deschamps a décidé de rappeler Karim Benzema et de récompenser tous ceux qui ont marqué son mandat jusqu’ici : Mamadou Sakho, Yohan Cabaye, Hatem Ben Arfa… Valbuena se retrouve même dans la chambre de KB9. On entend des rires, ce monde n’est pas sérieux, mais peu importe, voyons. Le 31 août, l’équipe de France marche finalement sur les Pays-Bas : 3-1 dans un match au cours duquel Benzema célèbre un but en pointant une caméra volée à TF1 sur Mathieu Valbuena. La blague fait rire tout le monde, les Bleus sont rassurés. Jusqu’à la fin de la rencontre où Didier Deschamps s’en va prendre une bombe blanche. Il se met au centre du terrain, trace un cœur et s’allonge. Silence dans le stade. En conférence de presse, DD débarque et n’aura qu’un mot : « L’amour a gagné. Au revoir messieurs. »
Par Maxime Brigand