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Amir Karaoui : « J’étais le Français qui rentrait au bled »
Passer en quelques mois de la DHR dans la Lorraine des hauts-fourneaux à la L1 algérienne, avant de rejoindre les Fennecs. Telle est la trajectoire improbable d'Amir Karaoui. À l’occasion du passage du Tour de France à Longwy (Meurthe-et-Moselle), la ville où sa carrière a basculé, l’actuel milieu de terrain du MC Alger témoigne.
Le peloton arrive ce lundi à Longwy. En tant que local de l’étape, tu vas forcément y jeter un œil, non ?Je vais tout faire pour être devant ma télé. J’ai un coéquipier en Algérie, Khaled Gourmi, qui connaît le Tour sur le bout des doigts. Quand il était petit, il partait chaque été dans une famille d’accueil, des amoureux du Tour de France. Ils se déplaçaient avec la caravane et tout ! Et depuis trois-quatre ans, il m’a transmis sa passion et j’accroche vraiment. Je supporte le même coureur que lui : Alberto Contador. J’aime son style sur le vélo et son nom sonne super bien.
D’après les organisateurs, « ce troisième jour de course devrait inspirer les puncheurs » . Peux-tu nous décrire cette arrivée à la citadelle de Longwy et cette côte des Religieuses qui devrait faire mal aux pattes en fin d’étape ? À Longwy, j’ai surtout fréquenté le stade et ses alentours. Les parties plates en fait. Je n’y ai pas joué assez longtemps pour connaître la ville en profondeur, donc je ne serai pas d’une grande aide pour les cyclistes s’ils veulent être briefés sur l’arrivée.
Longwy, c’est la sidérurgie, les émaux, les fortifications de Vauban… Que représente cette ville pour toi ? Dans ma carrière, ça a été un vrai tremplin. L’USB Longwy m’a permis de faire la transition entre les clubs amateurs de la région et la Ligue 1 algérienne.
Je n’ai passé que quelques mois là-bas, mais j’en garde d’excellents souvenirs et de bonnes amitiés. On jouait le maintien en DHR, mais il y avait une belle ambiance dans le stade. À côté de ça, je trouve que cette région a vraiment un charme particulier. La nature y est belle, c’est tranquille, et culturellement, c’est un mélange entre la France, l’Allemagne et la Belgique. Le foot m’a ouvert quelques horizons, mais je n’arrive pas à me défaire de cette région. D’ailleurs, j’ai acheté une maison il y a peu dans les environs.
Cette région a longtemps été une terre d’immigration, du fait de la demande en main-d’œuvre pour faire tourner les hauts-fourneaux. Toi, ta famille vient d’Algérie.Exactement, on est originaire de Sétif. Mon père est d’abord arrivé sur la Côte d’Azur. Mais il y avait plus de boulot en Lorraine. Finalement, il a travaillé pendant quarante ans à Hagondange, dans l’usine Ascométal (un fabricant d’aciers longs, ndlr). Moi, j’ai grandi à Rombas, dans le même coin que Longwy, mais en Moselle. C’est là que j’ai commencé le foot. Plus tard, je suis rentré en sport-études au lycée Robert-Schuman à Metz et en même temps, j’ai signé au RS Magny, réputé pour être un des meilleurs clubs amateurs de France.
Tu as tout arrêté pour suivre des études de médecine à la fac de Nancy. Au départ, le foot n’était donc pas un objectif professionnel ?J’étais bon élève et j’aurais pu choisir une tout autre voie.
À 18 ans, j’ai mis le foot entre parenthèses pour me concentrer sur mes études. C’était super important pour moi, et mes parents étaient très à cheval là-dessus. Ils ne voyaient pas le sport de haut niveau comme une fin en soi, alors que le foot, c’est vraiment ce qui me plaisait, j’avais plein de rêves en tête. Il a fallu les convaincre pour qu’ils acceptent mon choix. Mais après ma carrière, j’aimerais reprendre mes études dans le domaine médical ou paramédical.
Qu’est-ce qui t’a manqué pour accrocher le haut niveau en France ?D’une part, j’étais bien à Magny. Bien qu’amateur, c’était un super club formateur. Ensuite, je n’ai pas dépassé le mètre soixante-dix avant mes 18 ans. Malgré ma technique, je n’avais pas le physique pour intégrer un centre de formation, comme beaucoup d’autres garçons à ce moment-là en France. On en a parlé avec l’histoire des quotas. Après, les choses sont écrites ainsi et on ne peut rien y faire.
C’est après cet intermède estudiantin que tu as atterri à l’USB Longwy ?Je suis d’abord retourné dans mon club de Rombas. Il y avait le projet de construire une bonne petite équipe, sans prétention, juste pour prendre du plaisir. Et rapidement, les gens autour de moi et certains adversaires me disaient que j’avais des qualités, que j’étais encore assez jeune pour tenter ma chance plus haut, notamment Omar Nekaa, le coach de Longwy. Quand on te rabâche ce genre de compliments, ça fait battre ton cœur, ça te redonne espoir. Et Omar a su me convaincre en me disant qu’il m’aiderait à passer un cap, qu’il avait des contacts avec les clubs pros algériens. Avec du recul, je me dis que sans ces personnes, je n’en serais pas là aujourd’hui.
À 21 ans, tu mets le cap sur l’Algérie. Comment as-tu fait pour passer de Longwy à Sétif ?Je suivais pas mal le championnat algérien parce que je soutiens depuis tout petit l’ES Sétif, un des plus grands clubs du pays. Je collectionnais tous les maillots. Début 2009, j’ai passé un test dans un club de la région de Sétif, le Mouloudia Club El Eulma, qui venait d’être promu en Ligue 1. Dès le premier entraînement, le président m’a parlé en aparté et m’a dit : « Toi je te veux » . Après deux belles années, j’ai ensuite rejoint l’ES Sétif. C’était une fierté pour moi. J’y ai passé trois saisons folles, soldées par deux titres nationaux, une coupe nationale, à disputer chaque année la Ligue des champions africaine… Et en septembre 2013, j’ai reçu ma première convocation en équipe nationale. J’ai accompli mes rêves étape par étape jusqu’à arriver au summum.
Tu connaissais bien l’Algérie avant d’y signer ?Avec ma famille, on partait tous les étés là-bas. Ce qui est une chance parce que pour partir avec six enfants, ce n’était pas facile niveau budget. En arrivant en Algérie, je n’étais pas dépaysé. Je savais très bien parler l’arabe, ce qui m’a permis de m’intégrer facilement, par rapport à d’autres Français d’origine algérienne qui arrivent ici sans vraiment connaître le pays. Au tout début, les gens pouvaient penser que j’étais le Français qui rentrait au bled, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas.
Comment s’est passée ton arrivée en sélection ?Grâce aux titres gagnés avec Sétif, mes performances sur le terrain et ma régularité, ça parlait de moi dans les journaux. Et Vahid Halilhodžić m’a convoqué pour un match de qualification pour la Coupe du monde contre le Mali. Je suis entré pour les trente dernières minutes à la place de Mehdi Mostefa. Le rêve quoi ! En plus, je me retrouve au marquage de Seydou Keita. En tant que supporter du Barça, c’était le top. Après ce match, j’ai été convoqué deux autres fois sans jouer et j’étais parmi les sept réservistes pour la Coupe du monde 2014.
Juste après ta première sélection, coach Vahid expliquait qu’il te suivait depuis un an, mais que des problèmes administratifs l’avaient empêché de te sélectionner. Sans ces complications, tu penses que tu aurais pu être dans les 23 au Brésil ?J’ai été privé de passeport à la suite d’un souci avec l’administration.
Mais même sans ça, je continue à croire que j’avais le niveau pour aller au Mondial. Certains joueurs à mon poste avaient moins de temps de jeu dans leur club que moi. Mais être dans les trente Algériens présélectionnés pour le Mondial, c’était déjà une belle récompense pour moi. J’ai pu côtoyer Riyad Mahrez et Yacine Brahimi. Cinq ans plus tôt, j’étais à Rombas quoi…
Tu t’es senti comment dans ce groupe ?Franchement, ça ne pouvait pas mieux se passer. On est tous des frères en sélection. Chaque rassemblement est comme une fête de famille. Celui avec lequel j’ai le plus accroché, c’est Yacine Brahimi. Et puis que dire de Vahid, si ce n’est que c’est un super entraîneur ! Très à cheval sur la discipline et le physique, on était gâté avec lui. Quoi qu’il arrive, il restera pour moi celui qui m’a offert l’opportunité de vivre tout ça. Il manque beaucoup à l’Algérie.
Depuis 2014 et le magnifique parcours des Fennecs, les places en sélection sont chères. Tu ne penses pas avoir raté le train ?Je vais avoir 30 ans et je considère que rien n’est fini. En juin 2016, j’ai eu une autre convocation, pour jouer aux Seychelles en éliminatoires de la CAN. Mais c’est sûr que c’est plus compliqué de s’imposer derrière des mecs qui ont brillé au Brésil. Et puis avec l’actuel remue-ménage à la Fédération et les changements de coachs, c’est difficile d’y voir clair.
Pour retrouver l’équipe nationale, la solution ne serait-elle pas de jouer en Europe ? L’an dernier, on a parlé de toi au FC Metz, le club de ta région.Après être devenu international, j’ai fait un essai à Bastia. Ça s’est bien passé, mais leur proposition n’était pas suffisante. À un certain âge, le côté financier compte aussi. Je suis marié, j’ai des enfants : il faut bien penser à l’avenir. Relever un autre challenge, me rapprocher de ma famille, ça pourrait être top, mais pas à n’importe quel prix. Ça aurait pu m’intéresser d’aller à Metz et ça m’intéresse toujours, mais il n’y a pas eu de contact vraiment concret.
Considères-tu ton parcours comme atypique ?Bien sûr, très atypique même ! Mais je suis d’autant plus fier de ce parcours que ça peut être une source de motivation pour beaucoup de jeunes qui n’y croient plus trop. Quand je rentre à Rombas, je distribue des maillots, je signe des autographes, mais surtout je leur montre que tout est possible quand on travaille et qu’on croit en soi.
Propos recueillis par Mathieu Rollinger