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Amiens retient son souffle
Accession en Ligue 1 lors de la dernière seconde de jeu, maintien la saison dernière lors de la dernière journée et suspension de sa relégation en Ligue 2 par le Conseil d’État le mardi 9 juin. Depuis quatre saisons, l’Amiens SC joue son avenir dans le money time et devra encore patienter jusqu’à fin juin avant d’être fixé par la LFP et la FFF. Mais s’il y a relégation, elle sera vécue comme un véritable « tsunami » avec de lourdes conséquences au niveau économique et social pour le club et la ville. Explications.
La relégation d’Amiens en Ligue 2 a déclenché une vague de soutien quasi unanime : Laurent Blanc, Gérard Houllier, Christophe Dugarry, Laurent Delahousse, Xavier Bertrand, et même Jean-Pierre Pernaut au JT de 13h de TF1. Ce soutien s’est également manifesté au niveau politique, avec un courrier commun adressé à la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, et signé par plusieurs élus de différentes couleurs politiques dont Barbara Pompili, députée LREM, François Ruffin, député LFI, Jérôme Bignon, sénateur ex-LR, très remonté : « J’ai 71 ans et je suis élu depuis 30 ans. Je me sens donc concerné et c’est important de soutenir le club, car cela aura forcément un impact sur l’attractivité de la ville. »
L’impact de cette relégation touchera, en premier lieu, le club de football, dont le budget devrait passer de 30 millions d’euros à 15 millions d’euros en raison d’une baisse significative des droits TV. Sans oublier celui du centre de formation, géré par l’association du club, qui va baisser de 3,8 millions d’euros à 2,5 millions d’euros. Si aucun licenciement n’est prévu, des CDD en fin de contrat ne seront pas renouvelés. A contrario, les éducateurs devraient être préservés à condition d’accepter sans doute une baisse de salaire.
Restaurant, hôtel et aéroport
Économiquement, le club engendre des emplois avec « plus de 300 personnes les soirs de match », selon Alain Gest, président d’Amiens Métropole. Principalement dans la sécurité et la restauration (stadiers, hôtesses d’accueil, traiteurs, etc.).
SOS intérim, la principale agence, travaille pour le club et affirme qu’il y a « une différence dans le volume de recrutement d’agents entre la L1 et L2 », mais elle ne souhaite pas pour autant commenter cette relégation et in fine cette perte de chiffre d’affaires. Dans la restauration, l’entreprise Gourmet réception emploie 70 à 80 cuisiniers et serveurs à l’occasion des rencontres du club d’Amiens. « En Ligue 1, c’est environ 1 100 couverts alors qu’en Ligue 2, c’est 800, explique Stéphane Cabuzel, président-dirigeant de Gourmet réception. Je vais donc logiquement faire appel à moins d’intérimaires, et passer des commandes moins importantes auprès de mes fournisseurs. » L’hôtel Mercure d’Amiens, qui accueille l’équipe amiénoise les jours de match, et les équipes adverses, fait également partie des victimes collatérales en cas de relégation. « Elle représente un manque à gagner, concède Anne Dehu, directrice de l’établissement. En Ligue 2, il y a moins de réservations avec, par exemple, moins de journalistes. Et c’est dommageable pour la ville en matière d’images. »
Pour d’autres acteurs économiques, comme l’aéroport d’Albert-Amiens, c’est une question de survie. En Ligue 2, les déplacements en avion sont plutôt rares, et le club se déplacera davantage en car. « Nous accueillons l’équipe amiénoise et toutes les équipes adverses, explique Franck Beauvarlet, président de l’aéroport d’Albert-Amiens. Avec cette descente, on estime les pertes entre 120 000 et 130 000 euros par an, soit une baisse de 10% de notre chiffre d’affaires. » Situé sur un territoire où le bassin d’emplois repose presque essentiellement sur l’usine Stélia, spécialisée dans l’aéronautique, l’aéroport d’Albert subit une double peine. « Notre activité est déjà menacée en raison de la baisse de l’activité de l’usine Stélia, qui utilise notre aéroport pour le transport de cockpit de l’avion « Beluga » Airbus. Si la descente d’Amiens est confirmée, on envisage des licenciements. »
La Ligue 1 dope l’attractivité de la ville
La relégation aura donc un impact direct sur le club et indirect pour des entreprises, dont 500 sont partenaires de l’ASC. Quant à la ville, les retombées d’un club en Ligue 1 sont « difficilement chiffrables, estime Alain Gest, président d’Amiens Métropole. Mais en matière de communication, il faudrait investir des centaines de milliers d’euros pour égaler ce qu’apporte le club à la ville. »
Médiatiquement, la Ligue 1 permet de valoriser la ville et d’exister entre Lille et Paris. « Un club en L1 permet à la ville de faire parler d’elle chaque semaine dans tous les médias, c’est un élément considérable d’accroche pour le monde économique, les entreprises et les sponsors, poursuit Alain Gest. Cela permet à Amiens de se détacher de l’image négative renvoyée par la catastrophe sociale de Goodyear. Plusieurs évènements, dont l’élection du président de la République, originaire d’Amiens, ont fait beaucoup parler de la ville en France et à l’étranger. Mais aussi l’arrivée d’Amazon et la montée d’Amiens qui nous ont permis d’engranger un certain nombre de succès sur le plan du développement économique. »
Pour lui, « s’il n’y a pas que le foot dans la ville », celui-ci permet d’attirer des entreprises et des cadres, « auxquels il faut proposer un certain nombre de choses comme des atouts culturels, des activités régulières, un milieu commercial dynamique. Le club de foot d’Amiens en fait partie, il est d’ailleurs le seul spectacle capable d’attirer autant de monde dans la ville et plus largement en Picardie ». Le stade de la Licorne dispose d’un taux d’occupation de 89,4 % après 28 journées en 2019-2020, et rassemble jusqu’à 12 000 personnes à chaque match.
« La capacité du football à engendrer des emplois est un gros problème »
La position de la métropole d’Amiens se retrouve « toutes tendances politiques confondues, selon Patrick Mignon, sociologue du sport. À Lens, depuis la fin des années 1960, tout le monde se bat pour maintenir le club au plus haut niveau : la mairie, le parti communiste… Un club de foot permet de créer du réseau entre les acteurs économiques et sociaux d’une région à chaque match. »
Ce constat se vérifie notamment du côté des supporters : « Mon association permet à des personnes en situation de handicap, et d’autres supporters venant de villages voisins, d’aller au stade, détaille Danny Foré, président de l’AS-Couthon, un club de 126 membres. Si cette relégation se confirme, je ne sais pas comment la justifier à mes gamins et je pense qu’il y aura moins de monde au stade. »
L’impact de la descente s’exerce également sur « la dynamique locale qui se crée avec un club dans l’élite, ajoute Patrick Mignon. Les politiques craignent que des scènes de relations se défassent. Un club de football est un lieu de rassemblement, de sociabilité pour tous les niveaux de la société. C’est un objet de discussion qui permet à des personnes de créer du réseau et de s’identifier à une ville. » La vente du maillot amiénois, plus de 4300 (un record), à prix bradé (20 euros au lieu de 65), le prouve et fait écho à ce besoin d’identification soulignée par Patrick Mignon.
Cependant, les retombées économiques du football sont difficilement quantifiables et « la question sur la capacité du football à engendrer des emplois est un gros problème, précise-t-il. La LFP a fait une étude pour montrer que le football permettait un gros développement des emplois, mais cela est un peu plus compliqué.
Symboliquement, les clubs sont des entités très fortes, mais l’économie du foot est très fragile avec des emplois précaires et des engagements sur de courtes durées. » « Compte tenu de ces aspects économiques et sociaux, le football mérite d’être traité avec un maximum d’équité, mais ce n’est pas le cas, affirme Alain Gest. Le président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, s’est fait connaître lorsqu’il était président du club de Guingamp, où résident 6 000 habitants. Je ne vois donc pas pourquoi une ville plus grande comme Amiens n’a pas le droit d’avoir sa place en Ligue 1. »
Par Mehdi Touazi