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Amiens et les hommes de Picardie
Il y a un an, personne n'aurait imaginé le visage politique qu'offre notre Hexagone. Qui aurait parié davantage sur la montée en Ligue 1 d'un Amiens SC qui semblait condamné à un éternel rôle de petit poucet en Coupe de France ? Comment expliquer ce réveil de la ville de Jules Vernes et Jean-Pierre Pernaud, définitivement abonnée aux fermeture d'usines et aux journées du patrimoine ? Et surtout, que nous apprend l'émergence sur la carte de France d'une Picardie qui semblait devoir disparaître avec la réforme territoriale ? Car il ne manque plus qu'un rappeur à la Roots Manuva et on est bons.
La fin de saison 2016-2017 nous a réservé quelques belles surprises. Notamment la montée en L1- Conforama (faudra s’y habituer) de l’Amiens Sporting Club quand tout le monde attendait, ou priait du côté des diffuseurs et de la LFP, pour le retour de Lens et de son meilleur public de France. La petite Venise de Picardie, avec désormais son président de la République (certes exilé au Touquet), ses héros médiatiques du peuple (François Ruffin) et son équipe de working class heroes ne voudrait-elle pas postuler le titre de nouvel épicentre de la vie nationale ? Loin de rélever d’une incongruité, la bonne étoile qui se lève sur le stade de la Licorne raconte peut-être une histoire bien plus cosmique qu’il ne semble. Le philosophe Pascal l’avait écrit en son temps : « L’univers est un cercle, dont le centre est partout et la circonférence nulle part. » Il fallait donc bien aussi qu’à un moment donné, il se fixe dans cette paisible ville de province.
Romans sociaux du XIXe siècle
« On n’a pas l’habitude du succès, cela nous fait presque peur, cela doit cacher quelque chose. » Ce supporter d’Amiens, qui déballe son inexplicable bonne fortune face à ses potes lensois, dans la salle de concert l’Aéronef de Lille, ne suscite aucune animosité. Chacun s’accorde sur un point : Amiens n’est pas une surprise, cela sous-entendrait que le concept de miracle ait subsisté là-bas. « Après, c’est notre année, Macron, Ruffin, ASC.. On est une métropole qui s’ignore finalement. » Le supporter préfère en rigoler : on parle quand même d’une ville où le TGV ne passe même pas alors qu’il quadrille le secteur. Trente kilomètre de voiture pour choper le futur Inoui au milieu des champs… Tout est dit.
De quoi Amiens est-il donc alors le nom dans la France de 2017 ? Pourquoi cette cité provinciale dans l’âme, ouvrière et grande bourgeoise à la fois, qui paraissait figée dans les romans sociaux du XIXe siècle, vient-elle se rappeler à notre bon souvenir ? Pourquoi un long remord remonte-t-il vers nous de ce coin de France où l’ennui semblait disputer à la résignation ? L’ASC a beau être plus que centenaire, il se souvient surtout de cette finale perdue en 2001 contre Strasbourg aux tirs au but (sur le péno raté de l’ex-international togolais Jean-Paul Abalo), de quoi cultiver à jamais la certitude d’être les losers même pas beautiful d’un foot français qui traverse la région aussi vite que le Thalys. Et voilà que, maintenant, les Amiénois vont venir se mesurer à Monaco et, pour ouvrir le bal, au PSG. Imaginez, les rumeurs du mercato parisien se dénomment CR7, celles d’Amiens Bodmer (et c’est officiel !). Dans un tweet plein d’autodérision ambiguë, le club avait mis en scène le décalage pour mieux désamorcer d’avance les vannes des supporters jaloux du RCL ou du LOSC.
« -Allo, c’est Jorge Mendes. Paris propose 200M-Paris va jouer contre Amiens?-Oui, pourquoi?-Non, mais laisse tomber, je reste à Madrid » pic.twitter.com/pDGenzQLOw
— Amiens SC (@AmiensSC) 18 juin 2017
Des fumis à l’Assemblée
En réalité, que ce soit sur la pelouse ou dans les urnes, il se dégage la même impression irréelle, ce côté invité non désiré. Les profils ne peuvent se comparer, toutefois cette France oubliée, même plus méprisée, s’est gentiment invitée de nouveau à la table des hautes instances. Sa seule présence oblige à regarder ailleurs, et elle a quelque peu cassé les scénarios écrits d’avance. D’un coup, les confrères se remettent à consulter le Courrier Picard sur Internet et le mot « ouvrier » revient dans le débat politique comme on mixerait du vinyle à Ibiza.
L’Amiens SC survint, à tous les sens du terme, alors que la tentation de la ligue fermée n’a jamais été aussi forte, jusqu’à chercher à trier les heureux élus qui viendraient s’y risquer en misant sur leur capacité à servir de têtes de gondole pour justifier les droits télé. En face, le président de l’ASC l’a dit fort simplement : « C’est gravé dans mon esprit et dans l’histoire du club. C’est un moment historique et c’est un message qu’on lance aux Picards. Relevez la tête, soyez fiers de ce que vous êtes et quand on a la volonté, tout peut arriver. » Ruffin, avec sa liste « Picardie Debout » , promet que ce n’est qu’un début : « Cela fait 18 ans que je me bats, avec mes convictions, mais sans écharpe. Je vais maintenant pouvoir me battre avec une écharpe. » On attend les fumis à l’Assemblée des ultras ouvriers venus demander des comptes à leur compatriote qui pionce à l’Élysée…
Par Nicolas Kssis-Martov