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American Ultras
Produit policé à l'américaine, habilement marketé depuis sa création, la Major League Soccer a aussi engendré son lot de supporters hardcore, qui s'inspirent en partie des mouvements ultras européens et sud-américains. Des fans dont les pratiques se retrouvent graduellement encadrées, mais dont l'activisme dans les stades est un argument promotionnel habilement utilisé par le management des clubs de soccer. Mais la culture ultra est-elle seulement solvable dans le sport US ?
Il aura donc suffi d’un peu de pyrotechnie pour allumer la mèche. Mi-juillet dernier, des membres des Inebriatti, un groupe de supporters des Toronto FC, dégainaient lors d’un match des fumigènes en tribunes et lançaient des fusées éclairantes sur le terrain. Le genre de comportement qui ne pardonne pas en MLS : en août, le Toronto FC mettait fin au statut de groupe de supporters officiel des Inebriatti. Un cas qui n’est pas isolé : en janvier dernier, les New York Red Bulls révoquaient la reconnaissance d’un de leurs plus anciens groupes de supporters, les Garden State Ultras, en invoquant divers infractions similaires. Fin juillet 2018, c’est un autre groupe de fans, le Sector Latino, qui soutient les Chicago Fire, qui s’était vu retirer son statut officiel et les privilèges qui lui sont associés. De quoi dessiner une tendance, qui voit les formations de MLS sévir pour garder la main sur un public dont une frange de fans semble lui causer de plus en plus d’inquiétudes.
Touche pas à mon Ultra
Pour certains groupes de fans américains qui se revendiquent de la culture ultra, à l’image des Garden State Ultras (GSU), bannis par le management des New York Red Bulls, la mise à l’écart des fans hardcore viserait à transformer le spectateur de soccer en consommateur, plutôt qu’en fan actif, qui participe à la scénographie du match : « Nous ne sommes pas d’accord avec les tentatives visant à former une base de fans passive, qui reste assise tranquillement, mangeant et buvant des produits surpayés. » expliquaient les GSU dans un communiqué début janvier 2018. De fait, la Major League Soccer entretient un rapport complexe avec sa base fidèle de supporters et ce, depuis sa création en 1996.
« Comparé aux autres gros sports aux USA, les équipes de football ne sont pas si différentes, explique Markus Gerke, assistant de recherche au département des sports de l’université de Giessen, auteur d’une étude sur la culture du supportérisme en MLS, intitulée Supporters, not consumers.’ Grassroots supporters’ culture and sports entertainment in the US. Comme au baseball et au basket, on a des équipes de foot qui sont la propriété d’un investisseur, ce ne sont pas des clubs avec un modèle partiellement communautaire comme en Allemagne ou en Espagne. » Des sports made in USA, où le rôle et l’activisme du supporter diffèrent de celui du fan de football européen ou sud-américain, les sports US encadrant plus leur public, dont la liberté d’expression comme de circulation en tribunes est plus limitée. « Les possibilités d’expression du côté des supporters sont sévèrement restreintes dans tous les stades des ligues majeures » , pointe Markus Gerke.
Ultras vs Hools
Le soccer, néanmoins, a rapidement fait figure d’exception dans le paysage du sport US, notamment dans son rapport aux fans. « Ces vingt dernières années, les équipes de MLS ont réellement négocié avec leurs fans pour permettre aux supporters d’apporter leurs propres drapeaux, tambours, de se lever dans les stades pendant 90 minutes, d’avoir des avantages comme des billets distribués aux groupes officiels… » déroule Markus Gerke. Mais si quasiment toutes les équipes de MLS peuvent désormais s’appuyer sur une base de fans fidèle et structurée, le rapport des clubs avec des supporters qui se revendiquent de la culture ultra semble se tendre. Notamment parce que le mouvement ultra dans son ensemble semble encore peu ou mal compris aux États-Unis, que ce soit de la part des supporters mainstream comme des responsables de clubs. « En fait, quand on parle aux supporters de MLS, on se rend compte que ceux qui ont des actions de groupe se considèrent comme un fan club basique et que beaucoup d’entre eux n’ont pas vraiment une bonne image des groupes ultras européens, reprend Markus Gerke. Je pense que parmi les fans classiques, et même certains des fans plus « hardcore », le terme ultra est très rapidement associé avec celui de hooligan. Alors qu’on est clairement sur deux concepts qu’il faut dissocier. »
Double discours
Paradoxalement, la MLS s’est elle-même appropriée certains des usages de la culture ultra pour promouvoir son image. Illustration avec cette vidéo promotionnelle, où un supporter se montre fièrement en train d’allumer un fumigène. Rien de bien méchant, mais plutôt surprenant, alors que de nombreux clubs du championnat peuvent se montrer intransigeants quant à l’usage de matériel pyrotechnique.
« La MLS entretient une relation contradictoire avec certains groupes de supporters, pose Markus Gerke. Elle a vraiment embrassé cette atmosphère apportée par les fans. Elle l’a même marketée… L’idée, c’est de vendre un concept excitant d’un côté, et de l’autre une expérience de stade saine, capable de séduire les familles. Ça pourrait expliquer ce phénomène de sur-réaction par rapport à certains groupes de fans. » Des groupes qui, à l’image de cette déclaration des Garden State Ultras, tiennent à faire savoir qu’ils sont partis pour rester : « Nous ne serons jamais réduits au silence… Ultras aujourd’hui, ultras demain, ultras pour toujours. » Forcément, il devient dès lors difficile d’anticiper vers quelles évolutions tendent les franges ultras : « La MLS apprend toujours à assimiler et gérer cette culture ultra, conclut Markus Gerke. Mais il faut souligner une chose : dans l’ensemble, il n’y a absolument pas de problème de violence en MLS. » C’est déjà ça de gagné.
Par Adrien Candau
Propos de Markus Gerke recueillis par AC