- Coupe de France
- 16es
- Bilan
Où sont passés les stades champêtres ?
Chambéry (N3) au Groupama Stadium, Koenigshoffen (R1) à la Meinau, Pays de Cassel (R1) à Bollaert : les amateurs ont reçu les pros dans les stades des grands pour les 16es de finale de la Coupe de France. N'aurait-on pas assisté à la mort de l'esprit coupe ?
Peut-être est-ce la nostalgie d’un foot passé qui est venu nous foudroyer le temps d’un week-end prolongé au lundi soir mais on n’a pas vraiment reconnu notre belle Coupe de France lors de ces 16es de finale. L’impression que les résultats étaient courus d’avance et qu’on a préféré privilégier l’image et les recettes à la compétition. Vous savez, ce côté champêtre du stade d’un club amateur qui déboussole, ce traquenard pour les clubs de Ligue 1 qui n’ont plus aucun repère. On a un peu laissé tout ça de côté. Le FC Olympique Strasbourg Koenigshoffen (R1) a reçu Angers au stade de la Meinau du voisin RCSA ; Pays de Cassel (R1) a accueilli le PSG chez le Bollaert lensois ; Chambéry (N3) a affronté Lyon au Groupama Stadium, maison… de l’OL. Trois éliminations au bout. Rien ne dit que les résultats auraient été tout autres ailleurs, oui, mais quand même. « Ça donne plus de chance aux pros, confirme Thibaud Martineau, capitaine chambérien. C’est la première ou l’une des premières années où il n’y a pas de surprise, tous les favoris se qualifient. Ça tue peut-être cet esprit de Coupe où le petit peut gagner, comme quand Clermont a perdu à Koenigshoffen en 32es de finale. En 2011, les pros n’avaient pas l’habitude de ces ambiances à Chambéry. » 2011, l’époque où le Chambéry d’un certain David Guion aux manettes se payait Monaco, Sochaux et Brest, trois L1, avant de tomber en quarts face à Angers.
Électricien dans la vraie vie, Martineau relance : « Ça aurait été un match totalement différent si on avait joué sur un terrain d’amateur. Là, finalement, ils sont chez eux. Le terrain accélère vachement. La pelouse, sur laquelle on n’a pas l’habitude de jouer, les avantage. Ils ont tous leurs repères. C’est différent d’arriver dans une ambiance un peu plus hostile. » Alexis Matias, coéquipier à Chambéry, est honnête : « Jouer au Groupama a diminué nos chances. La grosse équipe est dans son confort. Je ne sais pas si ça tue l’esprit, mais ça enlève le charme d’une petite ville ou d’un petit club de pouvoir accueillir les pros dans son stade. Là où les supporters sont très proches, les terrains pas d’aussi bonne qualité. Là, pour nous, il y a peut-être eu un peu d’intimidation d’évoluer dans un gros stade. »
L’expérience d’une vie
Mais les désavantages d’une telle situation s’arrêtent là, finalement. Car à entendre nos témoins, il n’y a absolument aucun regret, bien au contraire. Imaginez un peu : jouer dans les plus grandes enceintes du pays, devant les caméras de beIN Sports et de France 3, ça n’arrive qu’une fois, ou presque, dans la vie de footballeur amateur. « Je ne pense pas qu’on puisse parler de gâchis, admet Mohamed Cherief, capitaine de Koenigshoffen. On aurait plutôt gâché la fête de plusieurs milliers de personnes de ne pas évoluer à la Meinau. 19 000 spectateurs se sont déplacés ! On a pu faire profiter tout le monde. » 6500 Chambériens ont rallié le Groupama Stadium, fait remarquer Alexis Matias, « des gens n’étaient jamais allés dans un si beau stade de leur vie », note-t-il, quand Thibaud Martineau souligne la possibilité pour les bénévoles de profiter d’un instant magique. Ces petites mains qui font la réussite de ce monde amateur ont pu être récompensées l’espace d’un samedi : « D’habitude, ils sont à la buvette, assurent la sécurité, etc. Là, ils ont pu savourer pleinement. Ils n’auraient jamais vécu ça chez nous. Même nos familles et proches… J’ai des amis de Rennes qui sont venus me voir jouer. Je ne suis pas sûr qu’ils auraient fait le déplacement à Chambéry. »
En Savoie, de toute façon, le stade, pas encore terminé, ne pouvait accueillir un tel match. Et comme le fait remarquer Mohamed Cherief en Alsace, « le cahier des charges imposé par la FFF est quand même lourd. Ce n’est quand même pas évident pour un club comme le nôtre. À la Meinau, on a été aidés par les services du Racing, ça a facilité l’organisation. » Et avec seulement deux semaines pour tout mettre en place, l’appui de la grande enceinte locale n’a finalement pas été de trop, surtout quand on n’a pas l’habitude. À entendre Thibaud Martineau, pas franchement le temps, depuis le tirage au sort, de savourer, voire de se rendre compte de ce qui arrive : « 48 heures après le match, on se rend un peu plus compte, mais pas à 100%. On a tellement été en plein dedans… La semaine, on travaille, on n’a pas ce recul. Depuis le tirage, il fallait se concentrer sur le championnat, puis ensuite, la semaine avant, il y avait pas mal de médias dont on n’avait pas vraiment l’habitude de la présence. On n’avait pas ce recul sur tout ça. »
Pour eux, pour les autres
A contrario de ce côté champêtre un peu perdu, Mohamed Cherief y a vu un tout autre défi pour outrepasser tel ou tel stress d’évoluer dans un grand stade. « On est partis sur le fait que, nous aussi, avec nos arguments footballistiques, on est capables de rivaliser face à Angers, résume ce chauffeur-livreur. On aurait pu nous dire : “Ils sont fous d’avoir choisi la Meinau”, on était attendu, sur beIN Sports, en prime time et on est allés au-delà de tout ça. On est restés nous-mêmes, on a proposé notre jeu, nos valeurs et on a démontré qu’on était bien plus qu’une équipe de R1. Et puis, tant qu’on aime le foot… »
Plus au nord, Pays de Cassel gardera à jamais en tête ce Bollaert plein pour affronter Mbappé et le PSG droit dans les yeux pendant quasiment trente minutes. Avant de flancher logiquement (0-7). Dimitri Santrain explique : « Notre directeur sportif voulait une communion pour toutes les Flandres. Tous les gens, nos familles nous disent qu’ils ont vécu un moment magique. L’ambiance champêtre, le côté Coupe, on l’a eu pendant les trois tours précédents, en battant notamment Wasquehal, qui évolue deux niveaux au-dessus. Là, c’était aussi pour que nous, les joueurs, en profitions tous ensemble. » Des joueurs du dimanche invités à se mettre dans la tête de pros, l’espace de quelques jours. Alexis Matias, éducateur spécialisé et heureux propriétaire du maillot de Thiago Mendes depuis samedi, en est toujours bouche bée : « L’arrivée dans un si grand stade, les vestiaires luxueux, immenses, le staff élargi pour l’occasion… On n’a pas eu la chance d’être pros, mais on l’a titillé le temps d’un match. On a vécu ce qu’ils connaissent au quotidien. » Et ça n’a visiblement pas de prix.
Par Timothé Crépin
Propos d'Alexis Matias, Dimitri Santrain, Mohamed Cherief et Thibaud Martineau recueillis par TC.