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Amandine Henry : « Quand j’étais gamine, ma référence c’était Zidane »
Près de six mois après la Coupe du monde, Amandine Henry garde une blessure béante suite à l'élimination en quarts de finale contre les Etats-Unis. Mais également beaucoup d'espoirs pour la place des femmes dans l'univers du Ballon Rond.
Plusieurs mois après, quelles images de la Coupe du monde tu gardes en tête ?Le gros souvenir, c’est le premier match au Parc des Princes avec stade rempli, la Marseillaise, l’engouement populaire. Mais il n’y a pas eu que les matchs ou la période de la Coupe du monde, cela a été spécial pour nous pendant les mois qui ont précédé. Pendant la préparation, on nous en a tellement parlé que c’était une saison calée pour amener à la Coupe du monde.
Comment on vous a préparées justement pour cette Coupe du monde ?
Au niveau sportif, il n’y a pas grand chose qui a changé excepté l’objectif final du Mondial. Mais l’engouement populaire, c’est venu petit à petit. Je l’ai senti, l’attention médiatique a explosé et au bout d’un moment, si on disait oui à tout, on n’avait plus aucune journée off. Ça c’était vraiment spécial pour nous. Surtout à partir du tirage au sort au mois de décembre, il y a eu un changement radical, là on était entrée dans la Coupe du monde. Les médias qui voulaient des interviews, les sponsors qui sollicitaient des shootings photos… Cela n’a pas arrêté, puis l’engouement populaire a pris corps pendant les matchs de préparation.
Y’a-t-il une continuité aujourd’hui de cet intérêt médiatique et de cet engouement ?Oui, je le ressens au niveau médiatique, il y a encore beaucoup de demandes. Désormais, les gens nous reconnaissent dans la rue. Je vais au supermarché, souvent on va me demander une photo, un autographe. Les gens nous reconnaissent alors qu’avant, ils se doutaient au physique que tu faisais du sport, mais ils ne savaient pas qui tu étais. Là on est reconnues comme personnes. Bon, on me confond souvent avec Eugénie (Le Sommer, ndlr). Avant on nous reconnaissait comme joueuses de football, mais on ne savait pas vraiment qui on était. Pendant la préparation de la Coupe du monde, les médias ont voulu connaître l’équipe de France, et ont voulu connaître les joueuses spécifiquement. Ils savaient à quel poste tu jouais, comment tu t’appelais, quelle était ta qualité première. Maintenant, les gens nous reconnaissent joueuse par joueuse. Ils ne disent plus « ouais c’est une joueuse de l’équipe de France, mais c’est untel » .
Quelle opération médiatique ou marketing t’a interpellée parce que c’était d’une ampleur nouvelle ?
C’était avec mon sponsor Nike. Les moyens qu’ils ont mis pour faire le spot publicitaire. Ils sont venus en jet privé. Juste pour aller à Barcelone ils sont venus me chercher en jet privé. Pour deux ou trois heures de tournage, un aller/retour. Je me suis dit « on est dans un film » , jamais je n’avais vécu ça de ma vie, le faire pour un spot… Ils auraient pu choisir une autre joueuse. Là je me suis dit : « Cela a pris une nouvelle dimension… » J’en ai parlé à mes proches. Forcément, quand on t’annonce que tu vas en jet privé à Barcelone, tu t’en vantes un peu. « Tu sais quoi ? Je vais à Barcelone. Je reviens quand ? Bah là, dans deux/trois heures… » C’est irréel presque. Mais la première personne que j’ai prévenue, c’est mon copain, parce que l’on a des chiens (rires ndlr), il faut que l’on soit synchro. Après, j’ai prévenu les parents, la sœur, les amis proches, mais je ne vais pas faire des déclarations à tout le monde non plus (rires). Ceux à qui je l’ai dit ne se sont pas forcément rendu compte, il faut le vivre.
Cassons l’ambiance. La défaite contre les Etats-Unis en quarts de finale, tu as digéré ou c’est quelque chose qui va te pourrir toute ta vie ?Je ne dirais pas pourrir, mais toute ma vie cela va rester là car c’était une Coupe du monde en France. Au-delà de perdre contre les Etats-Unis, c’est le fait d’être éliminée dans son pays… ça c’est dur parce que pendant deux ans tu te prépares à ça, tout le monde t’en parle. Et tu sais qu’une Coupe du monde dans ton pays, cela arrive tous les 50 ans… Cela va rester un regret toute ma vie.
Vous auriez pu faire quoi de plus ?
Gagner (rires). Même un but de plus, cela change tout, juste un but. Si tu reviens au score, il y a moyen de faire autre chose. Si j’avais un seul regret, ce serait notre premier quart d’heure, je pense que c’est là que se joue le match. On le savait, mais maintenant c’est trop tard. Elles étaient au-dessus des autres, elles sont réputées pour être une machine de guerre, c’était le premier match de la Coupe du monde où on était outsider. En poules on était toujours favori, idem contre le Brésil même si c’est une grosse équipe. Là, c’était la première fois que l’on basculait, où l’on se disait « si on y arrive, c’est un exploit » . C’est la première fois qu’on abordait un match différemment. Je n’ai pas envie de les envier car ok elles sont fortes, elles ont gagné le Mondial, mais si nous on ne rate pas ce premier quart d’heure…
C’était comment dans le vestiaire après le match ?Tu comprends mais sans comprendre ce qui t’arrive. Tu as besoin de quelques jours pour redescendre et te dire « c’est fini » . Cela arrive tellement vite, tu es encore un peu en état de choc. La nuit tu ne dors pas bien, le lendemain tu rentres à Clairefontaine pour faire tes valises et dire au revoir à tout le monde, et chacun retourne chez soi. Je suis toujours en phase de deuil (rires). Tu t’en remets vite grâce aux objectifs en club qui arrivent vite, les vacances aussi permettent de couper. Puis quand tu arrives dans ton club, cela repart. Mais cette déception restera toujours dans un coin de la tête, on en reparle encore.
Les comparaisons avec l’équipe masculine championne du monde, notamment les parallèles récurrents entre la méthode Deschamps et la méthode Diacre, cela a été vécu comment de l’intérieur du groupe ?
Le fait qu’ils soient champions du monde, c’est un bel exemple. On n’a pas voulu faire copier/coller, on a voulu s’inspirer. Quand cela marche, on a des leçons à tirer. Au niveau médiatique on a trouvé des ressemblances, cela peut être amusant, mais on a toujours voulu écrire notre propre histoire. C’est bien que les hommes soient champions du monde, cela prouve la qualité de notre football plus que cela nous met de la pression. En foot féminin, on a encore du travail, on n’est pas toute professionnelles. Les hommes n’ont pas été champions du monde en peu de temps. Pour nous, cela va être pareil. Il y a une dimension culturelle.
La différence d’engouement entre les football masculin et féminin peut se réduire à quelle vitesse selon toi ?Megan Rapinoe fait partie des athlètes féminines les plus suivies dans le monde, même si elle est loin des footballeurs hommes les plus célèbres. C’est déjà bien. Sur cette Coupe du monde, on a mis les moyens pour donner de la visibilité au football féminin. Il y a un gros travail médiatique pour entrer dans la tête des gens, plus ils te voient, plus ils veulent te voir. Il faut aussi des moyens pour les clubs, par exemple en championnat, si on n’a que des gros scores parce que le niveau est déséquilibré, cela ne donne pas envie.
Megan Rapinoe a réussi à dépasser le cadre sportif, il en faudrait plus des joueuses comme elle ?Oui, je suis admirative de ce qu’elle fait. Elle a une grande aura au niveau politique, ce que je serais incapable de faire. A mon niveau, j’essaie d’être le plus bel exemple pour les futures générations, de profiter de la notoriété que l’on a obtenue pour m’engager dans des associations caritatives, de promouvoir le sport pour tous, le football mais pas seulement autour de la femme. Rapinoe, je suis admirative car c’est une « femme » quoi.
Tu as dit en interview que tu te sentais investie d’une responsabilité envers les prochaines petites filles à vouloir jouer au foot…
Oui, avant moi il y a eu des pionnières envers qui je me sens redevable. Si nous on ne fait pas la promotion du football féminin, qui le fera ? Je veux profiter de cet engouement pour encore faire progresser les choses car il y a encore beaucoup de travail à faire. Après ma carrière, j’aimerais encore promouvoir le football féminin. J’ai vécu une expérience à l’étranger, aux Etats-Unis, qui m’a beaucoup plu. J’aimerais voyager et découvrir les différentes méthodes de travail, d’organisation, de financement du football féminin pour amener à un développement à l’échelle mondiale, que les plus petits pays aussi grandissent. Je me vois plus dans le management et la promotion.
L’un des leviers de développement n’est-il pas de « construire » plus « d’héroïnes » dans le foot féminin, des personnalités comme Megan Rapinoe qui sort du seul cadre sportif ?La performance c’est la base des choses. Ensuite, si une femme est performante et qu’il y a une stratégie marketing derrière, que les marques et sponsors misent sur elle autant que sur un homme, cela peut aider. Je me souviens qu’étant gamine, ma référence c’était Zinédine Zidane. Je n’avais pas forcément d’idole féminine parce qu’on ne les voyait pas. Si tu ne les vois pas, tu ne peux pas t’inspirer. Cela commence seulement à venir…
Dans les médias, la tendance c’est d’avoir au moins une consultante…Je trouve ça bien. Un homme et une femme ne pense pas de la même façon, donc avoir un regard féminin c’est intéressant, cela apporte plus de débat. Laure Boulleau, elle sait de quoi elle parle, elle a été professionnelle, elle a une légitimité. L’enjeu n’est pas d’avoir des femmes qui font de meilleures analyses que les hommes, mais des femmes qui soient pertinentes, comme Aline Riera.
Devenir plus qu’un athlète, c’est un enjeu pour le développement du football féminin, c’est pour cela que tu as accepté des sujets pour de la presse non sportive comme Elle ou Marie Claire ?
J’ai appris à le devenir car avant, c’était « terrain-terrain » , mais j’ai appris que tout ce qui était « people » était important aussi car on a des communautés sur les réseaux sociaux qui veulent nous connaître mieux, plus que la footballeuse. C’est un peu normal de leur montrer comment tu vis, désormais les gens aiment savoir ce que tu fais hors du terrain, comment tu te prépares, te suivre. C’est important aussi pour préparer ma reconversion, il faut montrer qu’au-delà de tirer dans un ballon, je sais faire d’autres choses, et d’autres choses m’intéressent.
L’affaire Harvey Weinstein, le hashtag #metoo, cela a généré une dynamique générale favorable pour le développement du foot féminin…Je pense que le « girl power » est à fond en ce moment et la femme veut montrer sa place, qu’il n’y a plus de différence à faire entre hommes et femmes. La femme a fait ses preuves. Mais il y a encore du travail à faire : dans le football, Megan Rapinoe est championne du monde et pourtant, sa visibilité est très loin de celle d’un Cristiano Ronaldo. Aujourd’hui, au même prix, n’importe quelle grande marque choisit CR7 plutôt que Rapinoe même s’il n’a jamais gagné la Coupe du monde. Peut être qu’à l’avenir cela changera.
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Propos recueillis par Nicolas Jucha, à Lyon
L'interview d'Amandine Henry dans SO FOOT CLUB #58, actuellement en kiosque