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Alors, il vaut quoi, ce film sur Roberto Baggio?
Accessible sur Netflix depuis le 26 mai, le film de Letizia Lamartire tente de tirer un portrait d'ensemble de Roberto Baggio, en évoquant pêle-mêle la conversion de l'attaquant au bouddhisme, le traumatisme de son tir au but raté en finale du Mondial 1994 ou encore les rapports conflictuels du joueur avec son père. Mais s'attarde trop peu sur le pourquoi du comment de la relation passionnelle que le Divin Codino entretenait avec les tifosi. Voilà ce qu'on appelle passer à coté de son sujet.
Raconter une légende n’est pas une chose aisée. Pour la célébrer, un conteur a néanmoins deux grandes options qui s’offrent généralement à lui : d’abord, il peut embrasser l’ensemble du mythe. Narrer l’histoire de A à Z. Comme un grand roman russe qui engendre à lui seul son micro-univers, où les personnages secondaires et les récits annexes s’entrechoquent, petit monde de mots et de papier aux perspectives presque infinies. Ou alors, il peut choisir un moment, une tranche de vie, révélateurs d’un parcours, d’une personnalité. Dans le cas de Roberto Baggio, on pense immédiatement à la Coupe du monde 1994. À son tir au but raté en finale, face au Brésil. C’est d’ailleurs sur ce tragique manqué que s’ouvre le film de Letizia Lamartire. Pour Baggio, il y aura un avant et un après. Le Divin Codino ne se sera jamais complètement pardonné son échec. La faute à une promesse que le Ballon d’or 1993 aurait faite à son padre, quand il avait trois ans. Celle de gagner la finale du Mondial, contre la Seleção.
L’occasion pour le long-métrage de verser dans le flashback et de revenir aux origines du joueur. Classique, mais finalement assez scolaire, la narration du film opte pour un entre-deux pas toujours maîtrisé, en ne choisissant pas de couvrir l’ensemble de la carrière de Baggio, mais plutôt de revenir sur trois grandes séquences de sa vie : ses débuts compliqués par des blessures et sa conversion au bouddhisme, son Mondial 1994 tempétueux (symbolisé par sa relation exécrable avec Arrigo Sacchi, alors sélectionneur de la Nazionale) et enfin sa renaissance à Brescia, entachée en bout de parcours par sa non-sélection pour la Coupe du monde 2002. L’ensemble est finalement assez touche-à-tout, et le propos s’en retrouve trop éparpillé. Le fil rouge de l’histoire – la relation contrariée de Baggio avec un père autoritaire et exigeant – est assez mince et les digressions trop nombreuses. Tout va trop vite, alors qu’une petite heure et demie semble décidément bien trop ténue pour dessiner l’aura de l’ex-légende de la Juventus.
Un chouchou et une queue de cheval
Surtout, le film s’attarde trop peu sur ce qui faisait l’unicité de Roberto Baggio. L’Italie aura beau avoir empilé les grands joueurs au cours de sa longue histoire, elle n’aura peut-être jamais davantage aimé un footballeur que lui. Pourquoi ? Comment ? Le sujet est malheureusement un peu passé à la trappe. On n’évoque pas ce 6 avril 1991 où Baggio, transféré contre son gré de la Fiorentina à la Juventus un an plus tôt, refuse de tirer un penalty face aux Violets. Avant de ramasser une écharpe de la Fiorentina lancée d’une tribune, de rentrer au vestiaire en saluant le stade entier et de dire aux fans toscans : « Vous serez toujours dans mon cœur. »
De fait, Roberto Baggio n’était pas seulement différent parce qu’il était suprêmement doué. Il était à part, d’abord parce qu’il dégageait une sensibilité particulière. Une humanité pudique, mais jamais retranchée derrière la figure désincarnée du footballeur professionnel. Il n’aimait et n’aime toujours pas les médias ou parler de football. Peut-être parce qu’il pense que sur-expliquer le jeu, c’est le dépouiller de sa mystique, de son charme. Le football n’est jamais aussi beau que lorsqu’il est insondable, imprévisible, sauvage, comme Roberto Baggio savait si bien le jouer. C’est dans ce football, libéré des carcans tactiques et de l’analyse, que se sont reconnus les supporters. Le film de Letizia Lamartire a tendance à trop faire l’impasse sur cette rencontre passionnelle entre le joueur et son public, exception faite de sa scène finale, qui choisit fort justement de revenir aux fondamentaux. C’est un peu dommage, mais ce n’est pas dramatique. Roberto Baggio y survivra. L’amour que lui portent les tifosi aussi.
Par Adrien Candau