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Alors comme ça on a peur des piqûres ?
En conférence de presse hier, le médecin de l'équipe de France est revenu sur le cas de Franck Ribéry, forfait pour le Mondial à cause d'une lombalgie. Quand la question des infiltrations a été abordée, le doc a évoqué la « peur des piqûres » de l'ailier du Bayern. S'il est assurément loin d'être le seul dans ce cas, comment en est-on arrivé là ?
« Franck Ribéry appartient à un club où le mode de traitement des pathologies correspond à des infiltrations. Il en a 20-25, voire 40 dans l’année ou plus, donc à un moment il n’en peut plus. Si on s’est dit que son problème au dos pouvait se régler comme ça, on ne l’a pas fait, parce qu’il a peur des piqûres maintenant. » En conférence de presse hier, Franck Le Gall, le médecin de l’équipe de France, l’avait mauvaise. Concrètement, Franck Ribéry aurait pu être du voyage pour la Coupe du monde. Mais d’après le doc, le Bayern a très mal géré le cas de l’ailier des Bleus, forcé de laisser sa place à Rémy Cabella il y a une semaine tout juste. Un avis partagé par Jean-Pierre Paclet, médecin de l’équipe de France entre 2004 et 2008 : « L’infiltration, c’est une piqûre faite à un endroit très précis, dont le but est d’apporter une petite quantité de produit là où il doit agir. Mais si vous êtes obligés de faire 30 piqûres dans l’année, cela signifie que les 29 premières ont été inefficaces. À ce moment-là, en tant que médecin, il faut se remettre en cause. Si je vous donne un traitement, et qu’au bout d’une semaine, cela ne fait pas effet et que je vous dis de continuer, la troisième fois vous allez vous dire« Il se fout de ma gueule ?! » Il faut changer son mode de réflexion et son traitement. » Avec un petit tacle pour le docteur Müller-Wohlfahrt (celui du Bayern) au passage : « Ce n’est pas parce qu’on est le médecin des champions qu’on est le champion des médecins. »
« Une question de culture médicale »
Alors pourquoi s’est-on obstiné en Bavière à piquer Ribéry comme s’il s’agissait de Riccardo Riccò, tout en sachant le titre acquis depuis plusieurs mois, et au point de le faire entrer puis sortir en finale de Coupe d’Allemagne ? « C’est une question de culture médicale, affirme Jean-Pierre Paclet. Les Allemands, que ce soit pour les sportifs ou la population générale, utilisent volontiers des piqûres pour donner un produit actif à un patient. Pour un traitement antibiotique par exemple, nous on avalera des gélules et eux feront une piqûre intra-musculaire. Là où l’on donne des médicaments, eux n’hésitent pas à piquer. » L’infiltration permet donc au joueur qui en bénéficie de tenir un match sans douleur. Le problème, c’est que la partie du corps touchée continue d’être sollicitée, et la blessure peut finalement s’aggraver. « Les infiltrations d’anesthésiques, il ne faut pas les utiliser à tort et à travers. Le risque d’aggraver la lésion est trop important. Pour une finale de Coupe du monde à la limite, oui, mais pour une pratique habituelle, certainement pas, confirme Jean-Pierre Paclet. Disons que vous faites une infiltration de corticoïde, le produit que l’on utilise le plus pour favoriser la cicatrisation des lésions : si vous en faites trois dans l’année, il n’y a pas de problème, si vous en faites une par semaine, cela s’apparente à une corticothérapie au long cours. Et là, on peut avoir des emmerdes, c’est sûr ! »
« On induit un micro-traumatisme »
En plus de devoir déclarer forfait pour le Mondial, Franck Ribéry aurait donc développé une espèce de phobie de la seringue à force de se faire piquer. Selon Jean Cyrille Lecoq, psychologue du sport et préparateur mental, cette peur serait le résultat « d’une répétition d’une émotion négative » , qui se traduit en traumatisme, puis, donc, en phobie : « Quand vous voyez la seringue arriver, vous vous demandez si c’est pour vous et si tout va rentrer. De manière répétée, il est clair qu’on induit un micro-traumatisme. Il y a un refus logique de la personne, car ça devient vraiment insupportable. Si ça devient un véritable traumatisme pour lui, un traitement psychologique sera important. » Surtout s’il s’agit réellement de la seule manière de traiter les blessures du côté du Bayern Munich.
« En général, quand on vous fait une infiltration, c’est plutôt pour un match, pas pour une saison. On retarde le moment où vous devriez vous arrêter et on retarde la blessure finalement » , conclut Jean Cyrille Lecoq. Les assidus de Football Manager confirmeront.
Paul Arrivé, Morgan Henry et Paul Piquard