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Alors, c’est quoi la patte Arteta ?
Arrivé le 20 décembre sur le banc d’Arsenal, Mikel Arteta, qui sort de plus de trois ans d’apprentissage avec Pep Guardiola, a déjà réussi à ramener un vieux souvenir chez les Gunners : le plaisir. Mais qu’a vraiment changé l’Espagnol en si peu de temps ?
Mikel Arteta a l’image d’un aimant, d’un type qui regarde les autres avec les yeux de l’amour et qui est capable, sans élever la voix, de maîtriser les éléments. Hier, c’était ses adversaires et l’espace. Depuis quelques années, c’est autre chose : des joueurs, ses joueurs, des mecs à affiner techniquement, tactiquement, physiquement. Et voilà ce que ça donne, selon Luis Fernandez, qui a coaché l’Espagnol au PSG entre 2000 et 2002 : « Il y a quelque temps, j’ai assisté à un entraînement de Manchester City. C’était lui qui le dirigeait de main de maître. Il coordonnait tout ça remarquablement bien. Personne ne parlait, tout le monde l’écoutait religieusement. C’étaient des exercices techniques avec le ballon, qui paraissaient élevés en difficulté, mais tout le monde était au diapason. On sentait qu’il y avait un vrai respect des joueurs. C’est peut-être lié à la culture anglaise, mais voir tous ces grands joueurs suivre ses ordres, sans un bruit, c’était assez extraordinaire. » Arteta a rangé son short et ses cassages de lignes pour enfiler le veston d’entraîneur il y a maintenant plus de trois ans. Cette seconde vie aurait pu débuter à Arsenal, où l’ancien joueur du Barça a évolué entre 2011 et 2016 et où Arsène Wenger l’aurait bien vu diriger l’académie, mais elle a finalement démarré à Manchester, aux côtés de Pep Guardiola.
Pourquoi Guardiola ? Pour une raison simple : le Catalan est tombé il y a quelques années sous le charme du cerveau d’Arteta. C’était en 2012, quelque temps avant une demi-finale de Ligue des champions entre le Barça et Chelsea, à une époque où Pep Guardiola rêvait d’avaler une troisième C1 au bout de sa quatrième année sur un banc professionnel. En quête d’infos sur les Blues, le coach avait alors décroché son téléphone et contacté celui qui était censé devenir son héritier en Catalogne. L’histoire raconte que Guardiola a été bluffé par l’analyse d’Arteta, comme l’expliquent Pol Ballus et Lu Martin dans Pep’s City : The Making of a Superteam, et que quelques années plus tard, après un Bayern-Arsenal, le premier a ainsi tendu la main au second : « On a eu une discussion, et à la fin, il m’a dit que si un jour il venait entraîner en Angleterre, il aimerait travailler avec moi. Donc quand j’ai pris ma retraite, je l’ai appelé et je lui ai dit : « Pep, le poste est toujours disponible ? » » Réponse : oui.
En choisissant de rejoindre Guardiola à City, Arteta a ainsi pu affûter ses idées de jeu et mettre à l’épreuve sa science du management. Si Leroy Sané et Raheem Sterling ont autant progressé dans le jeu, c’est en partie grâce au travail au quotidien de l’Espagnol, qui avait également la responsabilité des séances collectives sur les coups de pied arrêtés. Avec l’ancien coach du Barça et du Bayern, il a aussi retenu une leçon essentielle : c’est peut-être avant tout lors du premier jour avec son groupe qu’un entraîneur rentre dans la tête de ses hommes. « Au cours de la toute première séance avec Pep, il a réuni toute l’équipe au centre du terrain et a expliqué comment Manchester City allait jouer sous ses ordres. Et tous les joueurs ont exactement compris la manière dont on allait s’y prendre. C’était non négociable. Cette discussion a duré quinze minutes, mais c’est lors de ces quinze minutes que son City est né. »
Puis, trois ans et demi ont passé et il était l’heure pour Mikel Arteta de plonger à son tour : le 20 décembre, l’Espagnol a donc été nommé entraîneur d’Arsenal, le même Arsenal qui n’avait pas retenu sa candidature en 2018 lorsque les dirigeants des Gunners cherchaient un successeur à Arsène Wenger. Et qu’a-t-il fait le premier jour ? Arteta a pris la parole, pendant un gros quart d’heure et a « posé les choses sur la table tout en nous expliquant clairement ce qu’il attendait de nous » , comme Aubameyang l’a expliqué il y a quelques jours. Il a aussi ajouté une chose : « Tout ça est non négociable. » L’élève a donc bien appris sa leçon.
Cinq tentacules offensives pour le retour du plaisir
Face au bordel trouvé en revenant chez les Gunners, Arteta n’avait pas le choix : il lui fallait prendre son effectif par la main, démêler rapidement certains nœuds (Özil, Xhaka) et réinstaller de la confiance au cœur d’un effectif en quête d’une structure tactique. Et l’Espagnol l’a fait, en une poignée de jours et trois matchs de Premier League, soldés par un nul à Bournemouth (1-1), une défaite face à Chelsea (1-2) et un succès contre Manchester United (2-0). Durant cette période, l’ancien capitaine du club a réussi à implanter un style clair, à réinjecter de l’intensité dans le jeu des Gunners et à trouver à certains joueurs un rôle plus en accord avec leurs qualités. Et Arsenal ressemble de nouveau à une équipe, déjà. « The fun is back » , a soufflé Sokratis sur BT Sport après la rencontre face aux Red Devils, là où Arteta est venu éclairer son monde sur le pourquoi du comment d’un tel changement d’attitude : « J’ai dit aux gars que sans eux, je ne pourrais rien faire, qu’il fallait qu’ils m’ouvrent la porte et aient confiance dans le fait que je pouvais, avec mon staff, amener quelque chose de différent. » Cette différence est un mix de créativité et de discipline, mais aussi une réussite simple : avoir réussi à titulariser – une première cette saison – le carré Aubameyang-Özil-Pépé-Lacazette. Pour le meilleur : contre Manchester United, le fab four, qui attaque même plutôt à cinq avec Arteta, puisque Kolašinac vient s’intégrer aux combinaisons offensives, a régalé. Mieux, on a même vu Mesut Özil sourire et briller. Mais que se passe-t-il ?
Il se passe qu’Arteta a remodelé Arsenal en une équipe joueuse, pro-active, qui avance avec une confiance retrouvée à la ceinture et avec un pressing agressif. Il se passe, surtout, que l’ancien capitaine des Gunners a réussi à convaincre ses joueurs de le suivre dans son plan : un 4-2-3-1 sur le papier, qui se transforme classiquement en 4-4-2 en phase défensive et en une sorte de 2-3-5 (ou 2-3-4-1) en phase offensive.
David Luiz, balle au pied, peut jouer entre les lignes et forme avec Sokratis la première ligne du système offensif des Gunners. Devant lui, Xhaka, Torreira-Maitland et Niles. Enfin, la troisième ligne est composée de cinq éléments (Kolašinac, Aubameyang, Lacazette, Özil, Pépé), ce qui permet à Arsenal de souvent être en supériorité numérique.
Comme on le voit bien sur cette séquence, Arteta recycle ici ce qu’il a travaillé avec Guardiola à City et demande à son latéral droit (ici Maitland-Niles) de se positionner au milieu pour former une ligne de trio avec Xhaka et Torreira, dont le rôle est de protéger la paire Sokratis-David Luiz. L’intention du technicien espagnol est alors de prévenir toute contre-attaque adverse et de permettre à son bloc de fermer le cœur du jeu. En utilisant cette approche, il permet aussi à Xhaka d’avoir davantage d’espace pour s’exprimer et surtout à Özil d’être trouvé entre les lignes, soit pile là où l’international allemand peut faire le plus de ravages. Partant, Mikel Arteta peut voir son monstre déployer cinq tentacules (Kolašinac ou Saka côté gauche, qui monte d’un cran, Aubameyang qui se recentre, Özil, Pépé ou Nelson, puis Lacazette en pointe) sans trop se découvrir défensivement, même si, comme on l’a vu contre Chelsea, notamment sur le deuxième but inscrit par les Blues, que les Gunners avaient encore du boulot pour pleinement assimiler ces nouvelles transitions.
Alors qu’Arsenal est en phase offensive, Chelsea récupère le ballon. Les Gunners semblent avoir le contrôle (cinq contre trois), mais la paire de centraux alignée par Arteta refuse le duel et laisse les Blues avancer naïvement. Derrière, Abraham inscrit le 1-2 à la 87e minute.
Les crocs et la quête de la désorganisation
Offensivement, Arsenal est devenu plus libre, plus imprévisible et cela s’est notamment vu contre Manchester United où, à plusieurs reprises, chaque élément offensif se retrouvait avec au minimum deux solutions devant lui.
Trouvé côté gauche, Pépé effectue un une-deux avec Lacazette et s’offre le luxe de pouvoir abattre la carte de son choix : soit lancer Kolašinac dans le dos d’Aubameyang, soit trouver le Gabonais dans la profondeur.
La force de ce néo-Arsenal est également de varier énormément les combinaisons dans les couloirs et il n’est pas rare de voir Aubameyang se décaler sur un côté pour laisser Kolašinac entrer à l’intérieur du jeu, ou Pépé s’insérer avec son pied gauche tout en laissant Özil glisser dans son dos. Le premier but face à MU en a été une parfaite résultante et un autre mouvement, enclenché deux minutes plus tard, aurait pu avoir la même conséquence.
L’autre motif de satisfaction du début du mandat d’Arteta est la qualité du pressing effectué par les Gunners, notamment celui vu contre Bournemouth et Chelsea, où chaque adversaire a souvent été pris par trois joueurs et où l’entraîneur espagnol a demandé à ses soldats de récupérer le ballon en moins de cinq-six secondes. Cela a parfois marché et a offert à ses hommes plusieurs occasions dangereuses. Cet élément est évidemment un héritage des années passées par Mikel Arteta avec Guardiola, tout comme les triangles répétés dans le cœur du jeu via la recherche de l’homme libre (souvent Özil) et la volonté affichée en permanence de désorganiser le bloc adverse par un enchaînement de passes rapides. Enfin, en trois matchs, Arsenal a marqué 50% de ses buts sur des corners, ce qui ne peut être anodin puisque Arteta avait la gestion des coups de pied arrêtés à City.
Sur ce corner, Chambers dévie le ballon devant Tomori et va trouver Aubameyang qui n’a plus qu’à ouvrir le score.
Tout ceci n’est qu’un début, mais, par son approche, Arteta a déjà réussi à redonner le sourire à ses joueurs et à des supporters qui avaient quitté l’Emirates de dégoût, il y a quelques semaines à peine, alors qu’Arsenal se faisait humilier dans son salon par Manchester City. Il a aussi replacé Özil dans le cœur des fans et dans un fauteuil : face à Manchester United, l’Allemand a été le joueur qui a le plus cavalé et a récupéré une dizaine de ballons, tout en faisant tourner les têtes dans le milieu des Red Devils. Autre grand gagnant du début de l’ère Arteta : Granit Xhaka, capitaine déchu de la fin du mandat d’Emery, sifflé par les supporters des Gunners et qui avait une offre du Hertha Berlin dans les pinces. En débarquant, l’Espagnol a su trouver les mots pour remettre le Suisse sur les rails et lui refiler un rôle où il peut s’éclater, tout en réaxant dans le même temps Lucas Torreira, qui n’a plus qu’à faire ce qu’il sait faire de mieux : le ménage. Cet Arsenal n’est pour l’instant qu’un embryon, mais est déjà (enfin) un ensemble cohérent, qui avance avec un fil directeur et la réception du Leeds de Bielsa, lundi soir, doit permettre de le faire grandir encore un peu plus. Sokratis a raison : chez les Gunners, le plaisir est de retour.
Par Maxime Brigand