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Alors, ça donne quoi ce nouveau Chelsea ?
Un point en deux matchs de Premier League, un but marqué, cinq encaissés, une défaite aux tirs au but lors de la Supercoupe d'Europe... Comme prévu, le Chelsea version Frank Lampard va avoir besoin de temps pour atteindre son meilleur niveau. Cependant, certaines séquences aperçues lors des premières copies rendues par les Blues poussent à l’optimisme : oui, le troisième de la dernière Premier League intrigue au moins autant qu’il pousse à la réflexion. Décryptage.
Retour à l’été 1996. Frank Lampard a 18 ans, un teint blafard et porte un col roulé au fond duquel il semble vouloir se planquer. Il faut s’imaginer une salle de conférence, posée dans l’est de Londres, à quelques mètres du défunt Boleyn Ground, et une tribune, où l’on peut apercevoir l’oncle de Frank : Harry Redknapp. Sous le nez de celui qui est alors au volant de West Ham, une armée de supporters, dont un type qui décide de profiter de la réunion d’échanges organisée par le club pour interroger le coach des Hammers. Quelques jours plus tôt, Redknapp a, pour la première fois, titularisé Lampard à l’occasion d’un déplacement à Highbury. En avant : « J’aimerais demander à Harry s’il pense vraiment que la publicité qu’il fait au jeune Lampard est justifiée car, personnellement, je ne pense pas qu’il soit si bon que ça… D’ailleurs, vous avez quand même laissé partir pour des cacahuètes des milieux comme Matt Holland ou Scott Canham… » Piqué au vif, Redknapp bondit de sa chaise, se rapproche du micro et contre-attaque : « C’est vrai, mais ils n’étaient pas assez bons. Frank, lui, est assez bon. Je ne voulais pas dire tout ça devant lui, mais je peux vous assurer que ce gamin touchera les sommets. Je n’ai aucun doute là-dessus, parce qu’il a tout pour devenir un milieu de top niveau. Il sait tout faire. » S’il n’a aucun sens de l’odorat, Redknapp sait malgré tout sentir deux ou trois choses. Après son départ de West Ham, Scott Canham a joué à Brentford, Leyton Orient, Woking et Farnborough Town. Lampard, lui, est bien devenu un grimpeur de cimes.
Ce qui nous ramène à l’été 2019, et au 4 juillet dernier, date où le deuxième tome des aventures du Frank Lampard entraîneur s’est ouvert et où le meilleur buteur de l’histoire de Chelsea a attrapé le sifflet de coach principal des Blues après une première aventure plutôt positive à Derby County, en Championship. Là encore, en ouvrant le paquet, Lampard a trouvé des doutes : ceux de l’extérieur, d’un monde qui ne l’estime pas encore prêt à effectuer un tel saut, notamment dans un tel contexte. Il ne faut pas oublier de quel Chelsea on parle : un Chelsea interdit de recrutement, qui vient de perdre son chef cuistot Eden Hazard, qui a cédé dans les dernières heures du mercato l’un de ses joueurs les plus expérimentés (David Luiz) à Arsenal et qui sort d’une année assez étouffante sous les ordres de Maurizio Sarri. Simple, Frank Lampard parle de cette affaire comme du « plus gros défi » de sa vie, mais a rapidement précisé : « Quand je suis arrivé à Chelsea en tant que joueur, c’était aussi un défi. Au début, quand je rentrais chez moi, j’écoutais la radio, j’entendais des personnes se questionner sur les 11 millions de livres investis sur moi… Finalement, j’ai bossé dur et j’ai réussi. Aujourd’hui, je me retrouve dans une position similaire, mais en tant qu’entraîneur. J’ai conscience des doutes me concernant, mais je veux prouver que je suis prêt à diriger cette équipe. » Des promesses ? Non, plutôt un maître-mot : Lampard souhaite voir son équipe « s’adapter » et être capable de répondre aux évènements, tout en proposant un football positif et en demandant à ses joueurs de récupérer rapidement les ballons via un contre-pressing féroce.
La recherche de la largeur et le chaos
Et c’est justement le premier point marquant du Chelsea version Lampard : sa capacité à étouffer par séquences l’adversaire, notamment Leicester dimanche lors du premier quart d’heure (60 passes tentées dans la moitié de terrain des Foxes, 74% de possession de balle et un adversaire réduit à 63% de passes réussies sur cette période). Cela passe par un contre-pressing intense, qui permet de récupérer le ballon très haut, mais aussi aux joueurs de moins courir, ce qu’expliquait Klopp il y a quelques mois : « En gagnant le ballon aussi haut, c’est seulement deux ou trois joueurs qui doivent courir 10-15 mètres. Si vous ne contre-pressez pas, c’est dix joueurs qui doivent alors courir sur 70-80 mètres. Finalement, le contre-pressing est la manière la plus économique de récupérer le ballon. » Mais aussi d’empêcher l’adversaire de jouer. Sur cet aspect, l’approche de Frank Lampard tranche avec celle de son prédécesseur, Maurizio Sarri, dont la volonté était autre : l’Italien cherchait avant tout le contrôle par la possession du ballon (Chelsea a terminé le dernier championnat avec deuxième meilleur taux de possession de balle de Premier League, 59,9%) là où Lampard est davantage dans une recherche du chaos organisé. Problème : cette démarche nécessite des joueurs impeccables techniquement, capables de sortir des ballons dans des zones brûlantes ou de les récupérer rapidement.
Voilà le premier problème de Lampard aujourd’hui, déjà perceptible lors de la préparation, notamment lors du match contre le Borussia Mönchengladbach (2-2), où l’on avait vu à plusieurs reprises Kepa chercher ses ailiers plutôt que ses centraux ou Jorginho comme la saison dernière pour relancer court. Là, à plusieurs reprises, sur un mauvais contrôle ou une mauvaise relance, les Blues, naïfs, se retrouvaient instantanément hors de position – Lampard demandant à ses latéraux (Azpilicueta et Emerson) de jouer très haut – et sous les feux d’une contre-attaque adverse. L’ancien coach de Derby cherche invariablement la verticalité, demande à son bloc de densifier le centre du terrain pour libérer de l’espace à des latéraux qui sont les joueurs les plus touchés depuis le début de saison (en trois rencontres, Emerson a touché 286 ballons, Azpilicueta également, soit plus que n’importe quel autre joueur de Chelsea), mais cela demande une sécurité défensive que les Blues n’ont pas encore trouvée. Cela s’est notamment vu contre Manchester United (4-0), où Zouma et Christensen ont souvent été dépassés dans la distance d’intervention et la gestion de la profondeur, et lors de la deuxième mi-temps face à Leicester (1-1), mais le problème ne date pas d’hier : voilà des années que Chelsea se cherche un patron au milieu, ce que n’est pas Jorginho, précieux avec le ballon, mais quasiment invisible sans, alors que N’Golo Kanté est chargé de gratter les ballons un cran plus haut (ce qu’il a magnifiquement fait lors de la Supercoupe d’Europe).
Position moyenne Azpilicueta contre Manchester United :
Position moyenne Emerson contre Manchester United :
Le feu des contre-attaques
Un chiffre pour appuyer ce constat : sur les deux premières journées, Chelsea n’a jamais dépassé les 65% de tacles réussis. Et des faits : à plusieurs reprises, les Blues ont été percés au milieu à la suite des mauvaises relances ou des interceptions ratées. L’an passé, le Derby de Lampard, qui jouait dans le même système que celui utilisé à Chelsea, avait aussi cette vulnérabilité sur les contre-attaques et a d’ailleurs encaissé de nombreux buts sur de telles situations. Cela s’explique par le fait que le 3-4-3 mis en place par Frank Lampard en phase de construction, avec une recherche permanente de la largeur, demande un bloc plus resserré entre la première ligne de relance (Christensen-Zouma-Jorginho depuis le début de saison) et la seconde. Contre Manchester United, où Kanté n’était pas apte à jouer 90 minutes, cette distance trop importante a notamment permis à Paul Pogba de toucher 84 ballons. Interrogé sur cette vulnérabilité dimanche, Lampard ne s’est pas caché : « Vous pouvez attaquer tout en conservant votre position, sans laisser la possibilité à l’adversaire de développer de telles contre-attaques (en deuxième période contre Leicester, Maddison, Tielemans et Vardy se sont ainsi baladés entre les lignes). Je ne suis pas ici pour proposer un football incroyable quand tout va bien et concéder, quand ça va moins bien, des buts stupides sur des contre-attaques. » Facile à dire, moins facile à faire, car le chaos vertical souhaité par Lampard ne laisse souvent pas le temps aux milieux de se replacer ou de suivre les offensifs.
Durant la pré-saison, ce souci avait déjà été souligné, et le Borussia Mönchengladbach avait notamment réussi à tirer plus de vingt-deux fois contre les Blues tout en trouvant de nombreux circuits entre des lignes défensives gruyère. Et en championnat, alors ? Les joueurs de Lampard ont déjà été dribblés près de trente fois (27 exactement, seul Brighton a fait pire) en 180 minutes. Plus de protection va désormais également passer par une meilleure maîtrise du ballon : si Chelsea a déjà touché plus de 1420 fois le ballon depuis le début de saison, les Blues n’affichent que le dixième taux de possession de Premier League pour le moment (51,7%), ont souvent tenté leur chance de l’extérieur de la surface (11 fois sur 18 tirs tentés à Old Trafford) et manquent de contrôle offensif, ce que Frank Lampard a souligné à plusieurs reprises déjà. Ainsi, si Chelsea possède avec Mount et Pulisic deux bijoux techniques, Lampard n’a vu ses joueurs réussir que 52% de leurs dribbles, souvent par excès de précipitation. Pour autant, ces derniers ont réussi à installer une forme de patience contre Liverpool lors de la Supercoupe d’Europe et certaines séquences vues à Istanbul doivent servir de base. Frank Lampard possède aujourd’hui une équipe imparfaite, encore incomplète (Rüdiger, Hudson-Odoi, Loftus-Cheek vont revenir progressivement, Willian va retrouver sa forme bientôt), brillante par moments avec le ballon, assez facilement perforable sans, mais excitante à suivre. Il lui faudra aussi trouver (enfin) de l’efficacité, elle qui n’a marqué qu’un but en deux matchs alors qu’elle s’est créé un nombre d’occasions sur attaques placées presque équivalent à Manchester City. Encore une fois pour Lampard, en pleine recherche du sacro-saint équilibre, les doutes sont là, mais cette guerre est peut-être de loin la plus excitante à suivre cette saison. Le défi l’était : vite, la suite.
Par Maxime Brigand