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Alors, à quoi rime cette société commerciale de la LFP ?

Par Adrien Candau
Alors, à quoi rime cette société commerciale de la LFP ?

En partie réévalué et modifié par le Sénat début janvier, l'amendement permettant la création d'une société commerciale affiliée à la LFP sera réexaminé les 18 et 19 janvier en séance publique. L'idée ? Vendre pour 1,5 milliard d'euros 10 à 20% des parts de la future structure à un fonds d'investissement, dont l'expertise permettrait théoriquement de mieux commercialiser les droits TV du foot français. De quoi soulager dans l'immédiat la dette des clubs hexagonaux, mais aussi peut-être exposer le championnat de France à de nouveaux risques et incertitudes, dans les années à venir.

Vincent Labrune n’est sans doute plus le bienvenu à Ljubljana. Auditionné début décembre par le Sénat, le président de la ligue avait dû se résoudre à une comparaison peu flatteuse pour la patrie de Jan Oblak, afin de mettre en exergue l’urgence financière à laquelle la France du foot est confrontée : « On totalise 1,8 milliard d’euros de perte pour les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 depuis 2019… La réforme de l’UEFA en 2024 donnera quatre places en Ligue des champions aux cinq premiers championnats à l’indice UEFA… Si on sort de ce classement, le championnat de France sera définitivement en D2 européenne, on deviendra le championnat de Slovénie. » Si l’ex-président de l’OM est venu jouer les Nostradamus du ballon rond devant les parlementaires, c’est bien parce qu’il veut les convaincre de l’urgence de voter un amendement, qui peut changer le destin du football bleu-blanc-rouge : ce dernier vise à la création d’une société commerciale affiliée à la LFP, qui gérerait et commercialiserait les droits TV du foot français. Surtout, il permettrait que 10 à 20% des parts de cette future entreprise tombent entre les pattes d’un fonds d’investissement. Pas pour des billes : Labrune aurait pour objectif de faire payer aux nouveaux entrants 1,5 milliard d’euros. Une somme qui devrait permettre au foot hexagonal – asphyxié financièrement par la catastrophe Mediapro et l’épisode coronavirus – de ne pas sombrer économiquement. Alléluia ? Pas vraiment. Car avec des fonds d’investissement, la méfiance est toujours de mise.

Quand c’est flou, y a un loup ?

Le Sénat ne s’y est pas trompé, notamment en incluant dans le futur texte de loi un certain nombre de garde-fous. Les parlementaires ont notamment limité à 10% le pourcentage des parts que les fonds d’investissement pourraient acquérir dans la future société commerciale. « On a également inclus dans le texte un droit d’opposition de la FFF, précise le sénateur Michel Savin, rapporteur de la loi visant à démocratiser le sport en France, dont est issu l’amendement relatif à la création de la société commerciale. En clair, une personne de la fédération sera présente au sein du conseil d’administration de la LFP. Elle aura un droit d’opposition sur tout ce qui est relatif aux engagements entre la Fédé et la Ligue. Notre objectif, c’est notamment que les financements que la Ligue verse au sport amateur et la FFF restent intacts. »

La Ligue n’a remis aucune étude sérieuse résumant les avantages et inconvénients, les conditions de mise en œuvre ou les précautions à prendre relatives à ce projet.

Si les parlementaires comprennent la nécessité explicitée par la Ligue de trouver de nouveaux investisseurs, le flou qui entoure le projet de la LFP interroge légitimement. « Tout cela arrive après l’épisode Mediapro et engendre une certaine vigilance de notre part, confirme le sénateur Laurent Lafon, qui préside la commission de la Culture et de l’Éducation du Sénat qui a auditionné Vincent Labrune, mercredi 8 décembre. J’ajoute qu’il n’y a eu aucune étude d’impact sur la création de cette société commerciale, car ce n’est pas une proposition gouvernementale. De son côté, La Ligue n’a remis aucune étude sérieuse résumant les avantages et inconvénients, les conditions de mise en œuvre ou les précautions à prendre relatives à ce projet. »

De fait, la Ligue ne peut probablement pas encore communiquer sur les détails de son futur projet, alors qu’elle serait actuellement en négociation avec quatre fonds, en l’occurrence CVC Capital Partners, Oaktree, Silver Lake et Hellman & Friedman. Les contours de l’initiative n’en sont que plus opaques, ce qui ravit modérément les élus qui planchent actuellement sur le dossier. « Il y a un flou sur les objectifs des investisseurs. Quelles contreparties demandent-ils ? s’interroge Lafon. On ne sait aussi pas comment quelque chose de déficitaire va se transformer en quelque chose de bénéficiaire, quelles sont les mesures qui seront imposées par l’actionnaire pour dégager des bénéfices, etc. » Le montant de 1,5 milliard d’euros que la Ligue espère de ces nouveaux investisseurs, resterait, lui, purement théorique. « Cette somme, c’est ce qui est attendu par la Ligue, mais on ne l’a vue mentionnée dans aucun texte, avance Savin. Ça correspond à un besoin, mais est-ce que c’est nécessairement ce qu’elle va toucher ? Et puis, que sont censés représenter ces 1,5 milliard ? 10, 15, 20% du capital ? On ne sait pas. »

La Ligue veut faire rentrer du cash et vite. Très bien, mais le problème, c’est que ça a un impact sur le plus long terme.

Du cash et du court terme

Pour tenter de démystifier un peu l’ensemble, le mieux est encore de se tourner vers des spécialistes des droits TV audiovisuels. Comme le consultant Pierre Maes, ancien directeur des programmes de Canal+ Belgique et auteur du livre Le Business des droits TV du foot. Pour ce dernier, la création de la future société commerciale de la Ligue répond d’abord à des problématiques court-termistes : « La politique des clubs de football a toujours été le court terme et même le très court terme. C’est le cas ici : on veut faire rentrer du cash et vite. Très bien, mais le problème, c’est que ça a un impact sur le long terme. On le voit bien avec ce qui s’est fait en Espagne dernièrement. » Le 10 décembre dernier, la Liga avait effectivement acté la création de sa propre société commerciale. Cet accord, conclu avec le fonds d’investissement CVC Capital Partners, verra le nouvel investisseur verser 2 milliards d’euros aux clubs professionnels espagnols. En contrepartie, les formations ibériques s’engagent à céder 11% des revenus annuels de leurs droits TV au fonds d’investissement, pour les cinquante prochaines années. « Est-ce qu’on se dirige vers un modèle similaire en France ? On n’en sait rien pour l’instant », déroule Maes. Il convient par ailleurs de souligner que le Barça, le Real et l’Athletic de Bilbao ont fait sécession et intenté une action en justice pour désamorcer le projet de la Liga. « On peut penser que le Barça et le Real estiment qu’on donne trop à CVC sur le long terme, estime Maes. Je pense aussi que ce qui leur est proposé sur la part distribuée est trop faible à leur goût. S’ils sont insatisfaits, je suppose que ça va aussi accentuer leur volonté de créer une Superligue. »

Le fonds du problème

Le champ d’action et de compétence que la LFP choisira d’accorder aux fonds peut aussi poser question. « Je pense qu’avoir la main sur les négociations sur les droits TV est une des conditions essentielles posées par les fonds avec qui la Ligue négocie, explicite Pierre Maes. En Italie, les clubs avaient entamé une négociation avec CVC Capital Partners pour créer une société commerciale. Le truc, c’est qu’ils ne s’étaient initialement pas rendu compte qu’ils allaient perdre le contrôle sur la vente des droits TV. C’est une des raisons pour lesquelles le deal a fini par capoter. »

Ce qui se joue ici, c’est la poursuite de la financiarisation du foot français. On ne règle pas le problème, on l’accentue.

Les limites que le Sénat veut adjoindre à la prise de participation d’un fonds à la société commerciale de la Ligue seront-elles seulement suffisantes ? Le député La France insoumise Michel Larive se permet d’en douter : « Le Sénat a plafonné de 20 à 10% les parts qu’un fonds d’investissement pourra acquérir dans cette société. C’est bien, mais est-ce suffisant ? Ce qui se joue ici, c’est la poursuite de la financiarisation du foot français. On ne règle pas le problème, on l’accentue. » Une financiarisation dont les objectifs précis interrogent, alors que l’échec de Mediapro a démontré que commercialiser les droits TV du foot hexagonal n’offrait aucune garantie de succès. « Oui, on peut légitimement se demander ce que les fonds d’investissement viennent faire dans cette galère, confirme Maes. Ici, les fonds ont l’air de penser que la Ligue n’a pas optimisé la vente de ses droits audiovisuels. Ils se disent que la société dans laquelle ils veulent prendre des parts engendrera plus de recettes, car eux, ils vendront mieux les droits TV. Ça reste à voir, mais bon, pourquoi pas. Ensuite, n’oublions pas qu’un fonds achète généralement une part de société – ou une société – à un instant T, pour la revendre avec une plus-value ensuite. » Difficile, néanmoins, de savoir dans quel scénario la Ligue va précisément s’embarquer à moyen terme. Il faut seulement espérer que les précautions nécessaires seront au moins prises pour s’éviter un fiasco semblable à celui de l’affaire Mediapro, un an plus tôt.

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Par Adrien Candau

Tous propos recueillis par AC.

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