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Allons enfants du Loujniki

Thomas Pitrel, au stade Loujniki (Moscou)
Allons enfants du Loujniki

En infériorité numérique dans les tribunes face à des Croates qui n'ont pas cessé de chanter jusqu'à la dernière minute, les Français n'en ont pas moins transformé le stade Loujniki, à Moscou, en nouveau lieu saint de l'histoire des Bleus. Récit d'une journée moite dans la capitale russe qui s'est conclue par une succession de coups de tonnerre. Et par une deuxième étoile directement brodée dans le cœur des supporters.

L’atmosphère était lourde à Moscou, ce dimanche. Difficile de dire si c’était la météo orageuse ou juste la tension étouffante des finales de Coupe du monde. Pour l’occasion, la magnifique ambassade de France en Russie s’était transformée en Casa Bleue, ouvrant grand ses portes (après contrôle de sécurité) aux supporters ou expats français souhaitant faire passer le temps plus vite en ce jour le plus long. Ici, des centaines de personnes tuaient l’angoisse en claquant leurs tickets boisson en bières et vodka avant de prendre un petit selfie avec l’une ou l’autre des deux stars des supporters français : Clément d’Antibes, toujours dans les bons coups, et Francis Lalanne, éternel en long manteau de cuir troué aux coudes.

À 15h – soit trois heures avant le match –, les agents de sécurité sifflent la fin de la récré : « Il faut partir, un autre événement va débuter pour les gens qui travaillent ici. » C’est le début de la grande migration. Dans les couloirs du métro, à Park Kultury, des centaines de supporters français récitent le répertoire complet des chansons de ce Mondial : Gérard Depardieu, N’Golo Kanté et Olivier Giroud sont convoqués sous les flashs des badauds russes, qui semblaient avoir oublié qu’une finale de Mondial se jouait chez eux. Un instant, on se prend à rêver qu’une marée bleue va submerger des Croates pourtant omniprésents dans les rues de Moscou ces jours-ci.

Loin de la défaite

Aux alentours du Loujniki, la tendance se confirme : si les Croates restent plus nombreux, le duel s’annonce plus équilibré que prévu. Mais les maillots des deux équipes sont loin d’être les seuls à s’afficher près de l’enceinte. Brésiliens, Argentins, Péruviens (évidemment) sont venus passer un dernier au revoir au Mondial russe. La nostalgie s’est aussi emparée d’équipes non qualifiées : États-Unis, Irlande, Écosse et même un maillot du FC Nantes, porté par un homme qui amuse le public par ses démonstrations de jongles… mais qui manifestement ne connaît pas trop les Canaris. À une heure du match, un petit groupe d’Allemands se balade aussi avec un panneau « Toujours champions ! » Déjà installés dans le stade, les frères Picard, ces Français qui ont composé la chanson officielle de la Coupe du monde avec Diplo, sont venus assister au match avec leur père. « On a du mal à se dire qu’on va perdre dans le fond, mais on ne le formule pas pour pas se porter la poisse » , dit Clément, l’aîné.

Quatre streakers et une Coupe du monde

La cérémonie passée, le morceau des frangins chanté par Will Smith, le match peut commencer et le public français entre dedans timidement, à l’image des Bleus. Ils sont confrontés à plusieurs problèmes. Le premier : les Croates, qui ont rempli à craquer le virage D, sont finalement bien plus nombreux et chantent beaucoup plus que les Français. Le deuxième : le reste du stade semble avoir pris fait et cause pour l’équipe au damier. Pas grave. Comme les joueurs de Deschamps, le public fait un match ultra-réaliste, gérant les temps forts et les temps faibles avec maestria. Et puis comme ce match n’est pas encore assez fou, il faut que le stade salue chaque grondement du tonnerre qui menace désormais le Loujniki comme s’ils étaient des buts supplémentaires inscrits par le ciel. En deuxième mi-temps, ce n’est pas un, mais quatre streakers qui entrent en même temps sur la pelouse pour participer à la fête, vêtus de costards, avant de se faire évacuer par les stadiers.

Reste un match qui se termine dans une ambiance étrange. Comment célèbre-t-on une victoire en Coupe du monde quand son équipe a mal joué en finale, mais a inscrit quatre buts ? Eh bien comme n’importe quelle victoire de Coupe du monde, finalement : avec des embrassades, des cris, des accolades et des larmes dans les yeux. Avec Didier Deschamps porté en triomphe et avec un trophée brandi par Hugo Lloris. Avec Put the magic in the air passé très, très fort dans les haut-parleurs du stade Loujniki, aussi. L’histoire retiendra que c’était ça, la bande-son du jour où Moscou est devenue une nouvelle ville sainte du football français.

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