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Allemagne : Lena Oberdorf, la nouvelle patronne du milieu de terrain
Lena Oberdorf compte parmi les révélations de cet Euro 2022 et s’est imposée comme la patronne du milieu de terrain allemand. Tout ça à seulement 20 ans. Mais on ne parle pas d'âge à cette fille d'une ancienne heptathlonienne de haut niveau. Quoique, en dépit de ses performances de machine, l'intéressée n'oublie pas qu'elle sort à peine de l'adolescence et qu'il lui reste encore beaucoup à vivre. À commencer par une finale de rêve face à l'Angleterre à Wembley.
Son surnom, Obi, rappelle une célèbre chaîne de magasins de bricolage, mais Lena Oberdorf n’est pas du genre à trembler quand il faut planter un clou ou monter une étagère, métaphoriquement parlant. Sur le terrain, la numéro 6 de la Frauen-Nationalmannschaft brille depuis le début du tournoi par ses interventions aussi rugueuses qu’efficaces. Toutes les adversaires de l’Allemagne peuvent en témoigner (sauf la Finlande, contre laquelle elle était suspendue à cause de deux cartons jaunes consécutifs), la France en tête de liste. Face aux Bleues, la native de Gevelsberg, une petite ville du sud de la Ruhr, a été écœurante de constance même si, paradoxalement, c’est son retour tardif sur Kadidiatou Diani qui a conduit l’attaquante française à inscrire le seul but encaissé par l’Allemagne avant de défier l’Angleterre en finale. Pas de quoi tirer la sonnette d’alarme pour autant : « Enchaîner de telles performances à tout juste 20 ans, c’est révélateur de l’avenir qui l’attend. Je suis vraiment heureuse qu’elle joue pour l’Allemagne et pas pour une autre équipe », résumait la sélectionneuse Martina Voss-Tecklenburg après le quart de finale remporté contre l’Autriche et lors duquel Oberdorf avait brillé par sa solidité, tant au niveau des duels remportés (15/19) que des interceptions (6) et des tacles réussis. ( « J’ai besoin d’en faire trois ou quatre bons pour rentrer dans mon match », confiait-elle alors à la Deutsche Welle.)
De quoi assurer aux attaquantes d’être lancées dans les meilleures conditions et ôter un poids des épaules des défenseuses qui savent que leur milieu de terrain est bien gardé, malgré l’absence des taulières habituelles que sont Dzsenifer Marozsán (blessée aux ligaments croisés) et Melanie Leupolz (enceinte). En compagnie de la néo-Lyonnaise Sara Däbritz et de Lina Magull, Lena Oberdorf, qui dispute son premier tournoi majeur dans la peau d’une titulaire indiscutable, s’est tout simplement imposée comme LA révélation de cet Euro. « Obi est un phénomène, s’enthousiasme ainsi Svenja Huth, sa coéquipière en sélection et à Wolfsburg. Sur le terrain, elle a une maturité et une constance dans ses performances qui feraient du bien à n’importe quelle équipe. »
Du cran en avant
L’intéressée, elle, a encore du mal à y croire. Illustration après son premier match contre le Danemark, déjà sous le signe de la prestation XXL : « Je ne remarque pas que j’ai seulement 20 ans. Quand je suis sur le terrain, j’ai le sentiment d’en avoir 28. Mes coéquipières me disent toujours : « En dehors du terrain, on voit bien que tu as 20 ans en revanche ! » et je leur réponds : « Oui ! C’est mon âge ! Laissez-moi avoir 20 ans ! » » , plaisantait la deuxième plus jeune joueuse de l’effectif, derrière l’attaquante Jule Brand (19 ans). Trois ans plus tôt, à Rennes, Lena Oberdorf entrait en seconde période face à la Chine et débloquait une Allemagne trop peureuse et qui allait finalement s’imposer 1-0. Alors âgée de 17 ans, 5 mois et 20 jours, elle en profitait pour battre le record de la légendaire Birgit Prinz en devenant la plus jeune joueuse allemande à disputer un Mondial. Elle qui avait été appelée en qualité de défenseuse centrale a depuis trouvé son poste de prédilection un cran plus haut : celui de sentinelle. Et bien qu’Oberdorf se déclare toujours prête à reculer si nécessaire, le retour de Marina Hegering dans la charnière après une blessure à la cuisse lui garantit sa place dans le cœur du jeu, pour le bonheur de ses partenaires donc, et le malheur de ses adversaires.
Fidèle à l’adage selon lequel l’habit ne fait pas le moine, derrière le visage adolescent encore criblé de boutons d’acné se cache une « machine », pour reprendre l’expression de Lina Magull. En trois ans, Lena Oberdorf estime être devenue « plus intelligente », surtout depuis qu’elle bosse avec un entraîneur individuel : « Le positionnement sur le terrain et la manière de reconnaître plus rapidement des situations données afin de les résoudre sans trop d’effort. » Comme une façon d’utiliser son corps de la manière la plus efficiente possible, ce corps qu’elle appelle « ma meilleure arme » et pour lequel elle pourrait « remercier chaque jour » sa mère, ancienne heptathlonienne de haut niveau de lui avoir donné, mais sans suivre ses traces pour autant. « L’athlétisme n’était pas assez diversifié pour moi. Je n’aimais pas toujours courir en ligne droite. De toute façon, je savais que je n’étais pas la plus rapide, alors pourquoi commencer à courir ?, rejouait-elle dans les colonnes de Sport Bild. Au football, on peut compenser le manque de vitesse par d’autres aptitudes. Par exemple, mettre un vrai contact physique dans les duels. »
Une passion pour Ramos et Kimmich
En 2019, le directeur technique de Wolfsburg voyait en Lena Oberdorf « l’un des plus grands talents du football féminin mondial ». Depuis, celle qui vient de prolonger son contrat avec les Louves jusqu’en 2025 et est pressentie par son agente pour devenir la première joueuse à dépasser la barre d’un transfert à un million d’euros (sa valeur marchande plafonne actuellement à 225 000 euros), semble bien partie pour s’imposer comme la future patronne, non pas de l’entrejeu, mais de toute l’équipe d’Allemagne. Enfant, elle regardait des vidéos de Sergio Ramos sur YouTube et s’étonnait de le voir célébrer ses tacles de boucher. Désormais, elle comprend pourquoi, maintenant qu’elle est dans la même situation, même si le joueur avec lequel elle se compare plus volontiers reste Joshua Kimmich, avec lequel elle voudrait bien discuter à l’avenir : « Il incarne la même chose que moi : jouer avec beaucoup de passion, d’émotions et d’envie de gagner. »
Exactement ce qu’il faudra montrer face à l’Angleterre ce dimanche dans un match qui s’annonce d’ores et déjà comme une finale de rêve : « Je ne pense pas qu’on pouvait espérer mieux. Avant le tournoi, on espérait toutes en arriver là, et maintenant, voilà qu’on y est face à l’Angleterre ! », s’émerveillait en conférence de presse celle dont le duel au milieu face à Keira Walsh sera scruté de près. « Tout le stade sera contre nous, il faudra donc s’imprégner de l’atmosphère pour la convertir en énergie, puis essayer de mettre autant d’intensité que nous l’avons fait lors des matchs précédents et tout donner à nouveau. » Son grand frère Tim sera-t-il présent pour la voir tenter de remporter son premier Euro avec les A, cinq ans après avoir dominé l’Europe avec les U17 allemandes ? Pas sûr, l’intéressé étant actuellement occupé avec le Fortuna Düsseldorf, où il évolue en tant que défenseur central. Une chose est sûre : au moment de regarder sa sœur à la télé, il se rappellera sûrement de l’époque où il l’emmenait sur le terrain « probablement parce qu’il avait besoin d’une gardienne ». Et de constater que la mèche qu’il a allumée se consume aussi proprement que les relances dont sa sœur fait montre aux yeux de toute l’Europe depuis trois semaines.
Par Julien Duez, à Londres