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Alireza Beiranvand, des rues de Téhéran au Mondial
Inconnu en Europe, Alireza Beiranvand était pourtant nommé au titre de meilleur gardien FIFA en 2017. Mais avant de garder les cages de l'Iran en Coupe du monde, le grand bonhomme de 1,94 mètre a connu un parcours des plus rudes. Entre un conflit avec sa famille, des nuits dans la rue et une carrière qui n'a tenu qu'à un fil.
Il n’a pas une gueule de play-boy comme Alireza Haghighi, son ancien concurrent dans les buts de l’Iran qui pointe à un million d’abonnés sur Instagram. Mais Alireza Beiranvand n’en a pas moins une gueule, lui aussi. Pas glamour certes, mais doublée d’une petite notoriété sur Youtube, où ses longues relances à la main font recette. Le grand échalas de presque deux mètres s’est imposé dans les cages iraniennes pendant les éliminatoires, et il garde la confiance de son sélectionneur Carlos Queiroz en dépit de quelques boulettes récentes. Quant à la force de son bras droit, il l’a développée en jouant au Dal Paran, un jeu traditionnel dans sa région d’origine – le Lorestan, à l’ouest de l’Iran – qui consiste à jeter des cailloux le plus loin possible.
Gants déchirés par son père
À 25 ans et quasiment le même nombre de sélections, Alireza Beiranvand est donc devenu le numéro 1 de la Team Melli. Pour ceux qui ne le connaissent pas, il ferait facilement dix ans de plus. Il faut dire que tout rêveur qu’il est, le gardien de but en a vu de dures. Né à proximité de Sarabias, Beiranvand est issu d’une famille de pasteurs nomades. Très tôt, sa vie a été conditionnée par la quête sans fin de zones riches en herbe pour faire pâturer les moutons de la famille. Forcément, dans un tel contexte, il ne pouvait commencer autrement dans la vie que comme berger dès l’enfance. Face à un père qui prône la valeur travail, l’actuel gardien de Persepolis s’évade via le football et le Dal Paran, donc. Sauf que le paternel, Morteza Beiranvand, n’est pas aussi rêveur que son héritier : « Mon père n’aimait pas le football, et tout ce qu’il me demandait, c’était de travailler. » Les vision respectives des deux hommes ne sont plus conciliables, Beiranvand père allant jusqu’à « déchirer mes tenues et mes gants, ce qui m’a poussé plusieurs fois à jouer mains nues » .
Rupture avec sa famille à douze ans
Si Alireza Beiranvand s’apprête aujourd’hui à disputer la Coupe du monde comme titulaire et reste sur deux titres de champion en Iran avec son club, une décennie plus tôt, il est dans le dur. Car pour accomplir ce qu’il estime être son destin, le gamin quitte les siens à seulement douze ans grâce à un petit pécule emprunté discrètement à un oncle et prend le bus pour Téhéran. Sur le trajet, l’entraîneur d’une équipe de la capitale, le Vahdat FC, lui propose d’intégrer son effectif, moyennant des finances que l’adolescent n’a pas. Alireza Beiranvand est tellement démuni qu’il traîne et dort près de la tour Azadi, comme beaucoup d’autres venus chercher la fortune à Téhéran. Sa décision décisive consiste à s’installer devant la grille d’entrée du Vahdat FC. Le lendemain, il se réveille pour constater que « les gens m’avaient jeté des pièces, ils m’avaient pris pour un clochard » .
Logique, pourraient penser la plupart. Mais pour Beiranvand, c’est seulement l’occasion « d’avoir un délicieux petit-déjeuner pour la première fois depuis longtemps » . La suite va très vite : on lui permet de jouer au football, un premier partenaire l’héberge, le père d’un second le recrute dans son atelier de confection de vêtement (où il a le droit de dormir le soir). Les petits jobs s’enchaînent : nettoyage de voitures – sa taille lui permet de devenir le spécialiste des SUV –, serveur en pizzeria, balayeur de rue… Il joue alors au Naft Téhéran, club professionnel qui apprécie peu ses difficultés à rester en forme et qui l’évince à la suite d’une blessure.
Le rebond grâce à un râteau
Il tente alors de se trouver un plan B dans le club provincial d’Homa, mais se fait recaler. Un râteau salutaire : « Si j’avais signé à Homa, peut-être que je n’en serais pas là aujourd’hui. » Car quelques jours après la désillusion qu’il croit fatale à ses rêves de footballeur, Beiranvand est contacté par le coach des U23 de Naft Téhéran, en galère de gardien de but. La suite est presque idyllique : prise de pouvoir dans les cages des U23 iraniens, intégration dans le groupe pro du Naft (dans l’élite iranienne), arrivée en équipe nationale, puis gros transfert au Persepolis. En une décennie, Alireza Beiranvand a donc quasiment tout vécu, y compris une nomination – sans vote – au titre de meilleur gardien de l’année FIFA en 2017. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à regarder vers le haut : « Je veux briller à la Coupe du monde, alors peut-être rejoindrai-je un gros club européen. » Il y a quelques mois, on avait parlé de lui à Fenerbahçe. Pas suffisant : lui rêve de jouer « à Liverpool ou au PSG » .
Par Nicolas Jucha
Propos d'Alireza Beiranvand extraits du Guardian