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Alicher Ousmanov, cachoteries et Toffees
Magnat de l'industrie et des médias, actionnaire majoritaire de VKontakte, l'équivalent russe de Facebook, et détenteur de 30% des parts du capital d'Arsenal, Alicher Ousmanov est partout. Y compris à Everton, où, selon les dernières révélations des Paradise Papers, le milliardaire russe contrôlerait, grâce à un prête-nom, la moitié du club de la ville de Liverpool.
Comme ses homologues milliardaires, Roman Abramovitch et Dmitri Rybolovlev, Alicher Ousmanov est un homme secret. Peu disert sur la façon dont il a construit sa fortune, celui qui détient 52% de VKontakte, le plus important réseau social russe, plusieurs chaînes de TV et Mettaloinvest, l’un des plus grands producteurs de minerai de fer du monde, opterait pour une gestion tout aussi opaque quand il s’agit de placer son argent dans les clubs de football. À en croire les Paradise Papers, l’homme d’affaires russe, qui possède 30% des parts d’Arsenal, détiendrait aussi dans l’ombre près de 50% d’Everton. Et piétinerait le règlement de la Premier League, qui interdit à tout actionnaire possédant plus de 10% d’un club de détenir des parts d’une autre équipe.
L’arnaque
Pour bien comprendre l’ampleur de l’affaire, il faut revenir en 2007. Soit l’année choisie par Alicher Ousmanov et un de ses proches, le businessman iranien Farad Moshiri, pour acquérir chacun 14,58% des parts d’Arsenal. En 2016, Moshiri revend ses parts à Ousmanov et rachète près de la moitié du capital d’Everton (49,9%) pour environ 100 millions d’euros. Problème : selon les révélations des Paradise Papers, la part de Moshiri dans Arsenal lui avait été payée et « offerte » en 2007 par Ousmanov. Or, l’argent tiré de la vente de cette part a servi à l’achat de celles d’Everton. Émerge ainsi la possibilité qu’Ousmanov contrôle Everton dans l’ombre. Un cas de figure banni par le règlement de la Premier League, une participation significative d’un investisseur dans deux équipes étant interdite pour éviter les conflits d’intérêt entre clubs. Une combine révélée au grand jour, qui laisse les avocats d’Ousmanov dans l’embarras, ces derniers se bornant à assurer que leur client est victime « d’erreurs factuelles et d’interprétation » .
La guerre des boards
De quoi noircir l’horizon des supporters des Gunners, qui n’ont pas fini de se prendre la tête avec la direction de leur club. L’actionnaire majoritaire, l’Américain Stan Kroenke, est détesté par la majorité des fans, qui lui reprochent de vouloir faire d’Arsenal une usine à cash plutôt qu’un acteur majeur du football européen. Ironiquement, Ousmanov et ses 30% d’actions se sont longtemps imposés comme la seule force d’opposition conséquente à Kroenke, ce qui a parfois valu au Russe le soutien de nombreux supporters. En 2013, l’oligarque s’était présenté comme un « vrai fan du club » , chargeant frontalement Kroenke et l’accusant de ne montrer « aucune ambition » . Cette année, Ousmanov a tenté de prendre le contrôle du club et de racheter les parts de Kroenke, sans parvenir à ses fins. De quoi se demander pourquoi l’un des hommes les plus riches de Russie s’acharne à faire sien le club londonien.
« Le rapport d’Ousmanov à Arsenal est complexe, pose James Montague, auteur de The Billionaires Club : The Unstoppable Rise of Football’s Super-rich Owners, un ouvrage qui décrypte l’influence grandissante des milliardaires dans la gestion du football mondial. La raison qui pousse les grandes fortunes à investir dans le foot dépend de leur provenance géographique. Les investisseurs du Moyen-Orient voient le football comme un instrument politique de soft power. Les businessmen américains, comme Kroenke à Arsenal ou Pallotta à la Roma, veulent simplement gagner de l’argent. Pour les Russes, c’est plus opaque. Ils n’ont pas besoin de dégager du profit, ni de se faire de la publicité. Mais posséder un club de football leur donne une visibilité incomparable à l’Ouest. Ils s’achètent une forme de respectabilité, qui les rend plus difficilement attaquables si le pouvoir russe et Poutine décident de s’en prendre à eux. C’est comme une police d’assurance. »
Néanmoins, le cas d’Ousmanov est spécial, dans la mesure où il semble avoir développé une affection réelle pour Arsenal. « Je pense qu’il est vraiment supporter du club, soutient Montague. Prenez Abramovitch. Il a acheté Chelsea après avoir vu qu’il ne pouvait pas prendre le contrôle d’autres clubs comme Manchester United ou Portsmouth. C’est très différent pour Ousmanov et Arsenal, qui persiste au sein du club alors qu’il a échoué à en prendre le contrôle. »
L’inspiration Poutine
Les investissements fantômes du Russe dans Everton viennent encore complexifier l’équation. « Peut-être qu’il s’est dit qu’il n’arriverait pas à prendre le contrôle d’Arsenal et qu’il s’est rabattu sur Everton » , avance James Montague. Peut-être aussi qu’Ousmanov a tout simplement intériorisé le management de Vladimir Poutine, duquel il a toujours cherché les faveurs. « Le système Poutine consiste à distribuer des avantages aux oligarques qui sont loyaux au pouvoir. Ousmanov a pu reproduire ce fonctionnement avec le président d’Everton, Farad Moshiri, qui est un de ses fidèles depuis des années. Il a pu chercher à le récompenser, lui offrant Everton, tout en gardant en sous-main le contrôle du club. » Des petits arrangements entre amis qui mettent en lumière une problématique plus globale. « Les contrôles mis en place par la Premier League pour s’assurer de la transparence des acteurs qui investissent dans le championnat sont insuffisants. Si même les vrais propriétaires des clubs peuvent être dissimulés, le football est bien plus opaque qu’il ne veut bien le dire, conclut James Montague. Et bien d’autres clubs pourraient être concernés. Les révélations des Paradise Papers ne font que commencer après tout. »
Par Adrien Candau
Propos de James Montague recueillis par AC