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Ali Koç toujours

Par Victor Fièvre, à Istanbul
7 minutes

Dimanche 19 mai, Fenerbahçe a battu son grand rival Galatasaray (0-1) à l’extérieur, mais reste second de Süperlig et risque de voir s’envoler ce trophée de champion qui lui échappe depuis dix ans. Tous les regards se tournent vers Ali Koç, le richissime président du club, désigné responsable de cette traversée du désert.

Ali Koç toujours

Ali Koç, l’un des hommes les plus puissants de Turquie, le visage écarlate, les yeux gris injectés de sang, empoigne par le col un officiel de Galatasaray en menaçant de lui refaire le portrait. La scène a fait le tour des réseaux sociaux et des médias turcs, et s’est déroulée dimanche 19 mai, juste après le match Galatasaray-Fenerbahçe remporté 1-0 par l’équipe visiteuse. Le milliardaire, président de Fenerbahçe, est revenu en roulant des mécaniques sur la pelouse avec son staff et ses joueurs au milieu d’un stade quasi vide, pour célébrer la victoire. Le secrétaire général de Galatasaray a alors demandé à la troupe de sortir du terrain. De quoi faire dégoupiller le cadet de la famille Koç, la plus riche de Turquie. S’en est suivie une bagarre générale, seulement interrompue par l’extinction des lumières du stade. Alors comment un businessman à la tête d’un empire surpuissant s’est retrouvé au cœur d’une foire d’empoigne, en chemise, jusqu’à s’en faire mordre la main, comme en témoignent une photo et certains témoins sur place ?

La bande de Džeko, Tadić, Djiku et consorts réalise une année historique, et a dépassé le record de points du club, à une journée de la fin du championnat. « Ali Koç a monté l’une des meilleures équipes de l’histoire de Fenerbahçe », analyse Bağış Erten, journaliste turc et fin suiveur de l’équipe stambouliote. Avec une telle saison, le club aurait été sacré les années précédentes, mais Galatasaray mène aussi un rythme effréné en tête du classement, bien aidé par la faiblesse des autres équipes turques. Les Jaune et Bleu sont revenus à trois points après leur solide victoire, et doivent gagner leur dernier match tout en espérant une défaite d’Hakim Ziyech et de ses coéquipiers, seulement défaits deux fois cette saison.

« Le pire président de l’histoire »

Cependant, les résultats de Fenerbahçe cette saison ont souvent été supplantés par les frasques et décisions extrasportives de l’omniprésent président, au bilan famélique. Ali Koç, arrivé en 2018, a soulevé un seul trophée, la Coupe de Turquie en 2023, et le dernier championnat remporté remonte à 2014, une éternité pour ce géant. « C’est le pire président de l’histoire », raille Serkan, tout en suivant le derby derrière la vitre d’un café à narguilés, bondé de fanatiques du club, à deux pas du stade de Fenerbahçe. « Je suis habitué à perdre », déplore Alparslan, débout à ses côtés, dont la barbe et la manière de s’exprimer le font paraître bien plus âgé que ses 17 ans. « Le club m’a rendu vieux. »

Il ne dirige pas le club d’une manière professionnelle. Tous ses choix sont guidés par ses émotions

Bağış Erten

Élu par les membres du congrès de Fenerbahçe en 2018 avec une large majorité, le magnat stambouliote avait apporté une dose d’espoir liée à sa stature de chef d’entreprise prospère. Depuis trois générations, sa famille domine l’économie turque. Finance, électroménager, automobile, énergie, etc., le groupe Koç possède un empire de près de 90 entreprises. Cette fortune a permis d’amortir les dettes. « Financièrement, le club est en meilleure forme depuis son arrivée », relève Bağış Erten. L’homme de 57 ans a le cœur qui balance pour Fener depuis son enfance. « C’est un très, très grand supporter du club », souligne Ahmet Ercenlar, l’auteur d’une biographie méliorative sur Ali Koç, et proche de ce dernier. Le milliardaire serait même trop passionné d’après Bağış Erten : « Il ne dirige pas le club d’une manière professionnelle. Tous ses choix sont guidés par ses émotions. » Ce qui le pousse à envoyer valser ses entraîneurs. Aucun n’a tenu plus de deux ans avec lui. Jorge Jesus, limogé l’été dernier après seulement une saison, en a fait les frais. Bağış Erten, qui a côtoyé Ali Koç, le décrit comme « très poli et bavard, mais mauvais joueur ».  Le 3 mai dernier, Fenerbahçe recevait Monaco en quarts de finale de l’Euroleague de basket, et des échauffourées ont éclaté après la défaite des Stambouliotes. À l’origine, des provocations lancées contre les Monégasques par nul autre que Kerim Rahmi Koç, le fils d’Ali, assis au premier rang. Une histoire de génétique.

Un tournant mal négocié

Plus les années sans gagner le championnat passent, plus l’attente augmente. « Le président est en partie responsable de cette pression, remarque Enes Kanbur, journaliste turc pour Eurosport et Mackolik. Lorsqu’un événement extrasportif survient, il gère mal la situation. » En tête, les événements qui ont suivi l’envahissement de terrain lors du match de Fenerbahçe à Trabzon, le 17 mars dernier. Des supporters sont entrés sur la pelouse pour en découdre, poussant des joueurs de Fenerbahçe comme Osayi-Samuel ou Michy Batshuayi à répliquer par des gestes dignes des MMA. Ali Koç a notamment désigné la ligue comme responsable des débordements, et a menacé de retirer Fenerbahçe du championnat turc. En guise de protestation contre ces « injustices », il a décidé de ne pas jouer la finale de la Supercoupe de Turquie, le 7 avril contre Galatasaray. Résultat, un match lunaire à Şanlıurfa, dans le sud-est du pays. Les U19 envoyés sur le terrain ont encaissé un but dès la première minute, par Mauro Icardi, avant de rejoindre les vestiaires. Galatasaray a alors fait entrer ses remplaçants en chasubles, dont un Tanguy Ndombele coiffé d’un cache-cou, pour un simulacre de football retransmis par des télévisions à l’étranger, comme beIN Sports en France. « Tout le monde pensait que c’était une mauvaise idée, sauf Ali Koç », s’esclaffe Emre, maillot jaune et bleu sur le dos.

Après ça, comme un tournant, Fenerbahçe a laissé des points en Süperlig et a été éliminé par l’Olympiakos en quarts de finale de la Ligue Europa Conférence. Pour Bağış Erten, l’affaire pose la question de la gouvernance au club. « Le président dirige tout seul, comme à l’époque d’Aziz Yildirim (de 1998 à 2018). » Selon lui, le club devrait se remettre en question plutôt que de cibler des « ennemis » qui ne voudraient pas que Fener soit champion, d’après les mots du richissime dirigeant. « Ils pensent qu’il y a une conspiration, que la fédération est dirigée par Galatasaray », poursuit le journaliste.

La théorie du complot

L’expulsion sévère d’Alexander Djiku à la 21e minute, dimanche soir, alimente la thèse. « Ils nous ont volé toute la saison », se plaint Omer à la mi-temps de l’âpre derby. Difficile de savoir quand est né ce sentiment d’injustice. Une chose est sûre, Ali Koç n’a fait que le renforcer, pour détourner le regard de ses erreurs selon certains observateurs. La famille Koç est kémaliste, un courant politique laïc créé par Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la Turquie et du CHP, le principal parti d’opposition à Erdoğan. « Difficile de dire quel est son parti, mais tout le monde sait qu’Ali Koç a des difficultés avec le gouvernement », relève Bağış Erten. « Je ne suis plus un supporter de Fenerbahçe », a déclaré Recep Tayyip Erdoğan le 20 avril dernier, pourtant membre du club pendant 25 ans. Le président de la ligue, lui, est identifié proche du pouvoir.

Il nous faut maintenant un président avec un caractère de vainqueur, plutôt qu’avec de l’argent.

Alparslan

Fin mai, les 46 410 membres du club situé à Kadıköy, sur la rive asiatique d’Istanbul, vont devoir choisir leur président. Ali Koç briguera un nouveau mandat face à l’expérimenté Aziz Yildirim, à la tête du club pendant 20 ans. « C’est mon père ! C’est notre père à tous ! », s’exclame Yusuf après le derby, occupé à chanter des insultes contre Galatasaray et à la gloire de son club, avec des centaines d’autres supporters. Aziz Yildirim s’avance en favori, fort de son bilan de six championnats, et ce malgré quelques remous et une affaire de matchs truqués en 2011. Cet ancien ingénieur a propulsé José Mourinho au cœur de sa campagne, assurant avoir son accord pour entraîner s’il est élu. Le nom du Portugais, également annoncé à Beşiktaş, pourrait peser, mais Ali Koç pourrait conserver son siège. Sadettin Saran, autre président potentiel, a retiré sa candidature à son profit. En marquant contre Galatasaray, Çağlar Söyüncü a fait souffler un vent de joie et de fumigènes du côté de Kadıköy, et a fait rajeunir Alparslan, le temps d’un instant. « Il nous faut maintenant un président avec un caractère de vainqueur, plutôt qu’avec de l’argent », tranche le fan de Fener. Lors des célébrations après le derby, tous gardaient en tête les échecs de leur président, devant le stade, où, une semaine plus tôt contre Kayserispor, ils ont vu le titre s’éloigner et ont scandé à l’unisson « Ali Koç démission ».

Dans cet article :
Galatasaray glace Fenerbahçe et José Mourinho
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Par Victor Fièvre, à Istanbul

Tous propos recueillis par VF, sauf mentions.

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