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Ali Daei, confessions persanes
Récemment viré de son poste d'entraîneur du Saipa FC, la légende du football iranien Ali Daei a révélé que Mostafa Modaber, un des dirigeants de cette équipe de Téhéran, serait un ex-terroriste au service du régime des mollahs, qui se serait reconverti dans le football. De quoi donner le coup d'envoi d'un feuilleton footballistique et politique, qui n'a pas fini de passionner la rue iranienne.
Quand cet homme-là parle, l’Iran écoute. En territoire perse, Ali Daei, meilleur buteur de l’histoire de la sélection, est un ancien joueur dont l’influence ne se cantonne pas qu’au football. Alors, quand l’ex-buteur de la Tim Melli, tout juste licencié de son poste d’entraîneur par son club, le Saipa FC, décide de dévoiler qu’un des dirigeants de cette équipe de Téhéran est un ancien terroriste, la nouvelle fait forcément l’effet d’une petite bombe.
No Pasdaran
Un scandale que l’homme aux 109 buts en 143 sélections a déballé publiquement, comme une petite vengeance, alors qu’il s’était vu début mai démis de ses fonctions d’entraîneur du Saipa F.C, l’un des clubs majeurs de Téhéran, qu’il entraînait depuis 2017. Selon Daei, Mostafa Modaber, l’actuel directeur du Saipa, serait en réalité Ghafour Derjezi, un ancien membre des Gardiens de la révolution (plus communément appelés Pasdarans). Cette organisation paramilitaire, placée sous la houlette de l’ayatollah Khamenei, est notamment chargée de donner la chasse aux opposants de la république islamique. « Ce monsieur Derjezi a porté plusieurs noms, explique le réalisateur iranien Jamshid Golmakani, qui a réalisé le documentaire Iran, le foot, un enjeu pour tous, qui suit le parcours de la Tim Melli lors du mondial 1998. Comme membre des Gardiens de la révolution, il avait intégré le groupe dévoué aux opérations extérieures, qui s’appelle les Al-Qods, qui mène des actions militaires à l’étranger. »
Derjezi, qui serait également connu sous le nom d’Amir Mansour Bozorgian, aurait notamment joué un rôle clé dans l’assassinat à Rome en 1994 de Mohammad Hossein Naghdi, un représentant du Conseil national de la résistance iranienne, un groupe qui fédère une bonne partie de l’opposition à l’étranger contre la République islamique d’Iran. Son nom, sous la forme de divers alias, serait également mêlé à l’attentat du restaurant Mykonos à Berlin en 1992, où avaient péri quatre opposants kurdes au régime iranien. « Mais la première fois qu’on a entendu parler de ce personnage, c’est à l’occasion de l’assassinat du leader du parti démocratique du Kurdistan d’Iran à Vienne en 1989, Abdel Rahman Ghassemlou, auquel Derjezi aurait pris part » , précise Golmakani.
Retour au pays
Le parcours est sulfureux, mais le régime se décide finalement à ramener définitivement Derjezi au bercail. Ce dernier serait alors retourné en Iran, où il aurait occupé divers postes au secrétariat du Conseil suprême de sécurité nationale, puis comme chef du service de sécurité de l’Organisation de la radio et de la télévision d’État, et enfin comme directeur général des questions de sécurité qui supervise le Majlis (le Parlement du régime). « C’est la procédure, analyse Christian Bromberger, l’ancien directeur de l’Institut français de recherche en Iran. Le régime recycle des anciens Pasdarans en les plaçant dans des entreprises publiques, en récompense de leurs services rendus à l’État. » « Oui, bien sûr, cette réintégration des Pasdarans dans la société iranienne sous un faux nom est un phénomène connu » , confirme Golmakani.
Et voilà, à en croire Ali Daei, comment Derjezi, qui aurait depuis adopté l’alias de Mostafa Modaber, se serait retrouvé à un poste de dirigeant du Saipa FC. Un club possédé par le constructeur automobile iranien du même nom, une entreprise appartenant évidemment à l’État. Une potentielle révélation qui fait beaucoup jacter en Iran, mais qui a laissé le régime de marbre : « Le pouvoir iranien est resté silencieux sur cette question et n’a pas réagi, reprend Golmakani.Ce régime a pu se défendre des assassinats politiques qui lui ont été reprochés par le passé, mais maintenant, il y a comme une évolution du discours public, où certains ne s’embarrassent même plus à nier ces atrocités qui ont été soi-disant faites au nom de la révolution. »
Mainmise économique
Difficile, dès lors, de savoir sur quoi tout ce tintouin médiatico-politique va précisément déboucher. En admettant que ce que dit Daei est exact, la reconversion de Derjezi comme exécutif d’un club de football est néanmoins révélateur de la mainmise des Pasdarans sur des pans stratégiques ou symboliquement forts de la société et de l’économie iranienne. « Une bonne partie de l’économie en Iran est dans les mains des Pasdarans, déroule Golmakani. Ils tiennent leurs propres ports, où ils peuvent faire payer la TVA qu’ils veulent, leurs propres industries automobiles, électroniques, services de transport, etc. » Pas forcément étonnant, dès lors, de voir un ancien Gardien de la révolution prendre sous une présumée fausse identité un poste de dirigeant du Saipa, un des clubs les plus populaires de Téhéran. Même si, après la sortie d’Ali Daei, Mostafa Modaber, aka Ghafour Derjezi, aka Amir Mansour Bozorgian va sûrement bientôt finir par être à court d’alias.
Par Adrien Candau
Propos de Jamshid Golmakani et Christian Bromberger recueillis par AC