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Algérie: les pétroclubs sont-ils un puit de problèmes?

Par Adrien Candau
Algérie: les pétroclubs sont-ils un puit de problèmes?

Souvent décrite comme « un état dans l'état », la Sonatrach, l'entreprise pétrolière et gazière algérienne, est sans conteste le moteur de l'économie du pays. A un tel point qu'elle a étendu son influence tentaculaire au football, en se positionnant comme actionnaire majoritaire de plusieurs clubs de première division, directement ou via certaines de ses filiales. Une mainmise qui fait débat en Algérie, où le sponsoring des entreprises d'état - qui ne profite qu'à certaines formations - pose des problèmes d'équité, de transparence et d'inégalité sportive.

Si l’Algérie n’a rien d’une dystopie cyberpunk, elle en emprunte au moins une caractéristique majeure. Aucune voiture volante, humains augmentés ou robots sophistiqués n’ont encore été repérés dans les rues d’Alger, mais, comme dans Robocop, Final Fantasy VII ou Blade Runner, une méga-corporation tire les ficelles d’une économie nationale qui n’aura jamais su se dépêtrer de son influence. Cette superstructure pèse 40.000 employés (sans compter ceux de ses filiales), contribue à au moins 30% du PNB algérien et enregistre plus de 30 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Son nom ? Sonatrach. Son business ? L’or noir et le gaz, que l’entreprise publique raffine et vend, pour alimenter en fonds un pays dont 96% des exportations et 60% des recettes budgétaires étatiques sont issues du commerce pétro-gazier. Monumental, comme l’influence de la Sonatrach en Algérie, qui transpire un peu partout. Y compris dans le football, ce qui n’est pas sans générer son lot d’inquiétudes légitimes.

Pétro-football

Lors de la dernière décennie, le géant gazo-pétrolier est devenu le distributeur de billets d’un football algérien qui manque de liquidités comme de vision stratégique, pour pérenniser son développement. La plus puissante entreprise du pays est propriétaire depuis décembre 2012 du Mouloudia Club d’Alger (MC Alger), un mastodonte du foot national, qui pèse sept titres de champion et une Ligue des champions africaine. Comme le démontrait fort justement Jeune Afrique fin octobre dernier, elle est aussi, via certaines de ses filiales, un actionnaire majeur d’autres formations. Parmi elles, on peut citer le Club sportif constantinois, détenu par l’Entreprise nationale des travaux aux puits (ENTP). Ou encore, la Jeunesse sportive Saoura, propriété de l’Entreprise nationale de forage (Enafor) depuis 2013. Il faut aussi citer le Mouloudia Club oranais, sponsorisé par la compagnie Hyproc Shipping, une firme de transport maritime des hydrocarbures. Le Mouloudia Olympique Béjaïa est, lui, soutenu par la Société de transport des hydrocarbures (STH). Là encore, que des filiales de la Sonatrach.

Voilà qui fait beaucoup, surtout que la firme, qui reste une entreprise d’état, avantage ouvertement certains clubs au détriment d’autres, qui ne bénéficient pas de son mécénat. Interrogé par Jeune Afrique, Yazid Ouahib, chef du service des sports du quotidien El Watan, résumait en ces termes l’incongruité de la situation: « Ce qui pose problème, c’est la façon dont la Sonatrach participe au football algérien. Il s’agit d’une société publique, on parle donc de l’argent de tous les Algériens. Pourquoi la Sonatrach et ses filiales dirigent tels clubs, dont elles épongent les dettes, et pas d’autres ? Les supporters des clubs qui ne sont pas gérés par ces entreprises se posent légitimement la question. »

L’échec du professionnalisme

Alors que la Covid-19 a d’autant plus affaibli le championnat local, structurellement fragile sur le plan financier, Azzedine Bennacer, le président du NC Magra (actuel 6e du championnat) s’insurgeait mi-mai de cette inégalité majeure : « Il y a quatre ou cinq formations qui ont des sociétés nationales derrière elles. Leurs joueurs sont payés et ils se préparent déjà pour la saison prochaine, en recrutant de nouveaux joueurs. Les autres sont toutes en grande difficulté financière. » La Sonatrach n’est néanmoins pas la seule entreprise publique à soutenir une formation de l’élite. « Evidemment, l’argent de la Sonatrach crée des déséquilibres mais il y a d’autres firmes d’état qui sont derrière des clubs détaille l’ancien international et sélectionneur algérien Al Fergani. Je pense par exemple au CR Beloujizad, qui est sponsorisé par Madar (une holding publique aux activités industrielles diversifiées, NDLR) depuis 2018. Ou à l’USM Alger, qui est détenue depuis février 2020 par SERPORT, un groupe public algérien de services portuaires. »

Reste que c’est bien l’argent de de la Sonatrach qui irrigue les comptes d’un nombre record de clubs au pays. Une spécificité qui illustre aussi l’échec du développement économique du championnat algérien, officiellement professionnel depuis 2010. Une date à partir de laquelle les clubs étaient censés muter en sociétés par actions, pour attirer des capitaux privés. Sans succès manifeste : ces dernières années, les prises de participations majoritaires de la Sonatrach et d’autres firmes publiques dans plusieurs écuries du championnat illustrent l’échec de l’initiative. « Le professionnalisme, c’était un mensonge appuie Fergani. La quasi intégralité des clubs n’ont toujours pas de centre de formation, ni de sponsorings privés importants. On n’a pas du tout avancé, au contraire, on a rétrogradé ces dix dernières années… Surtout si on compare avec nos voisins marocains et tunisiens, dont les structures sont beaucoup plus développées. »

Un état dans l’état

Dans un tel contexte, la Sonatrach est autant le bienfaiteur du championnat algérien que le symbole de son immobilisme, alors que l’élite du football national reste largement dépendante des grandes entreprises publiques du pays. Une situation qui fait plus globalement écho au tissu économique algérien dans son ensemble, dont la société pétro-gazière constitue la clé de voute incontestée. « La Sonatrach, c’est un peu comme Saudi Aramco en Arabie Saoudite : c’est une firme qui innerve quantité de secteurs de l’économie nationale explique Benjamin Augé, chercheur associé aux programmes Afrique et énergie de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Sonatrach dispose d’une société d’aviation, une autre de construction, ils s’occupent de l’aménagement du territoire dans les zones où il y a des découvertes pétrolières… C’est un état dans l’état, où 53.000 personnes travaillaient en 2019. On parle de la plus grosse entreprise africaine, tous secteurs confondus. Le patron de la Sonatrach est nommé par le président et est peut être plus influent que le ministre de l’énergie lui même. Parfois, il s’agit d’ailleurs de la même personne. Nous sommes au delà d’une société de pétrole et de gaz classique »

Si le football algérien n’a pas réussi à attirer de capitaux privés, il en est de même pour le secteur des hydrocarbures, qui irrigue certains de ses clubs en liquidités. Quasi omnipotente dans la branche pétro gazière, la Sonatrach, firme emblématique d’une Algérie qui a su prendre son destin en main suite à son indépendance, n’a quasiment jamais laissé investir sur son terrain des entreprises étrangères privées. « Il faut bien comprendre que la Sonatrach contrôle la quasi totalité de sa production pétrolière et gazière reprend Benjamin Augé.L’exploitation, le transport, le raffinage, l’exportation… La part des sociétés privées dans la production totale est très faible. C’est extrêmement rare car dans de nombreux pays producteurs, les sociétés nationales qui gèrent le pétrole ne sont que des sortes de fonds d’investissements qui récupèrent les fonds tel un « partenaire dormant ». Elles délèguent la production à des entreprises privées, qui leur reversent une part de leurs revenus. En Algérie, légalement, la Sonatrach est tenue de contrôler 51% des parts de chaque projet pétrolier et gazier. Et, dans la plupart des cas, elle en détient 100%. »

Les pieds dans le goudron

Un choix stratégique, qui garantit à l’Algérie son indépendance énergétique, mais contraint la Sonatrach à jouer sur tous les tableaux, investir dans tous les projets, alors même que le secteur pétro-gazier semble promis à un avenir compliqué. « On observe deux choses poursuit Augé. Une baisse tendancielle de la production pétrolière et une stagnation de la production gazière. Pour vous donner une idée, la Sonatrach produisait 1.5 million de barils y a dix ans, pour même pas 1 million aujourd’hui. De plus, la consommation locale, qui est très subventionnée et sur laquelle la Sonatrach ne fait bien évidemment aucune marge, a explosé. Actuellement, la moitié de la production pétrolière et gazière de la Sonatrach est consommée en interne. La part des exportations a significativement diminué, et, avec elle, les revenus de l’entreprise. »

La firme n’a dès lors plus les ressources pour assurer ses lendemains. A vouloir tout gérer, elle n’a notamment pas les outils pour exploiter massivement le gaz et le pétrole de schiste, dont l’Algérie détient des réserves parmi les plus importantes d’Afrique. « La Sonatrach n’a plus les moyens de ses ambitions résume Augé. Elle s’épuise financièrement en gérant la quasi-totalité du secteur seule, et l’Etat lui retire une grande partie de ses moyens, pour tenter de maintenir son niveau de production. » Si une nouvelle loi censée libéraliser le marché des hydrocarbures a été votée en 2019, il faudra des années à d’éventuelles entreprises privées pour effectivement mettre sur pied une affaire qui tourne en Algérie. Si bien que certains se demandent si la Sonatrach ne pourrait pas réduire ses dépenses annexes, et notamment sa contribution au budget de certains clubs de football du pays. Difficile de savoir ce que prévoit le géant pétro-gazier, même s’il est certain que, dans le football comme ailleurs, il a créé des dépendances dont l’Algérie aura sûrement du mal à s’émanciper.

Dans cet article :
Rachid Mekhloufi... pour les jeunes
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Par Adrien Candau

Propos de Ali Fergani et Benjamin Augé recueillis par AC

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