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- 8e de finale
- Allemagne/Algérie
Algérie : dépasser les mythes de 1982 !
Envisager cet Algérie-Allemagne de ce soir comme le match de la revanche, 32 ans après le Mundial espagnol de 1982 serait une erreur. Dépasser par un jeu ambitieux cette fixation obsessionnelle d'un passé un peu trop fantasmé, le voilà le seul véritable challenge de la bande à Bougherra.
Une défaite face à l’Autriche occultée
« On venait de battre l’Allemagne (2-1). Vous vous rendez compte de ce que ça représentait pour nous ? Nous avions également battu le Chili (3-2). Tout s’annonçait bien. Contre le Chili, on menait 3-0 et si le score était resté le même à la fin du temps réglementaire, nous aurions été qualifiés. Mais nous avons commis deux erreurs défensives, ce qui a permis aux Chiliens d’inscrire deux buts. Sur le coup, nous ne nous sommes pas rendu compte que cela pourrait nous coûter très cher. Cela pouvait donner l’occasion à l’Allemagne et à l’Autriche de combiner. Je me souviens que ça nous avait effleuré l’esprit. Mais, bon… C’était juste une mauvaise pensée. Quand même, il ne pouvait pas y avoir d’arrangement lors d’un match de Coupe du monde ! » Dans son entretien accordé à L’Équipe du 17 juin dernier, l’immense Rabah Madjer avait soulevé les deux aspects cruciaux de l’élimination légendaire de son Algérie 82. D’abord le fameux « arrangement » entre les jumelles germaniques : le 1-0 pour la RFA était juste suffisant pour qu’avec l’Autriche, elles puissent accéder au second tour au détriment de l’Algérie. Et ensuite cette victoire étriquée contre le Chili (3-2) qui atteste que c’est cette imprudence qui a plombé la différence de buts des Algériens. Pour rappel, la RFA, l’Autriche et l’Algérie, avaient fini premières ex æquo du groupe 2 avec 4 points chacune (victoire à 2 points à l’époque) mais avec respectivement +3 et + 2 pour les « Germaniques » mais seulement 0 pour les Maghrébins… Il est bon que Rabah Madjer soit revenu sur cet Algérie-Chili qui a vu son équipe mener 3-0 au bout de 35 minutes de jeu. À 3-0 en effet, la RFA aurait dû corser l’addition, faisant passer l’Autriche à la trappe. À moins que l’Autriche n’eut bien tenu et du coup, c’est la bande à Breitner qui aurait quitté ce Mundial espagnol… Pour rappel également, cette victoire de l’Algérie face au Chili par la plus petite des marges a été acquise le 24 juin. Or Allemagne et Autriche se sont retrouvées à jouer le lendemain, 25 juin, sachant parfaitement quel score idéal les qualifierait toutes deux : 1-0 pour la RFA !
Magouille ? Arrangement honteux ? Oui, mais… Outre le 3-2 trop étriqué face aux Chiliens, on omet (on occulte, plutôt !) trop souvent de parler de l’autre match de l’Algérie, le deuxième qui a suivi sa victoire stupéfiante sur la Mannschaft (2-1)… C’était le 21 juin, à Oviedo. Ce jour-là, l’Autriche avait nettement battu la bande à Madjer (2-0). Or, c’est aussi là que s’est jouée la qualification manquée de l’Algérie. Depuis 1982, c’est comme si ce match n’avait jamais existé ! D’ailleurs, lors du long entretien pour L’Équipe, ni Madjer, ni le journaliste intervieweur ne mentionnent cette défaite pourtant constitutive de l’élimination finale du deuxième représentant de l’Afrique (avec le Cameroun). En psychanalyse, on dit que certains souvenirs forts font littéralement « écran » à d’autres souvenirs forts qu’on préfère refouler… La victoire face à la grande RFA éclipsée par le match de la honte, c’est la version définitive que s’est forgée le foot algérien jusqu’à aujourd’hui. Le peuple algérien, légitime dans son indignation, a toutefois constamment vécu dans le déni d’une insuffisance purement sportive qui fut aussi tout aussi importante que l’entente austro-allemande. Depuis 1982, le foot algérien se délecte des mea culpa régulièrement professés par les anciens joueurs de la RFA (on n’entend jamais les Autrichiens, au fait !) qui le conforte éternellement dans sa situation victimaire. Mais il oublie un peu trop souvent de souligner ces deux matchs mal négociés contre l’Autriche puis contre le Chili…
Immoral mais pas illégal
Mais allons plus loin… À partir du moment où le règlement était tel que qu’Allemands et Autrichiens jouaient le lendemain du math Algérie-Chili en sachant exactement quoi faire pour se qualifier, ils avaient le droit d’agir comme ils l’ont fait. Ici, on parle de « Droit » et non pas de morale sportive. Oui, l’éthique sportive a été honteusement bafouée. Mais pas le droit : aujourd’hui comme en 1982, aucun règlement n’oblige deux équipes qualifiées (ou en voie de l’être) à se livrer à fond et de marquer des buts. Tout au plus la Fifa a très opportunément corrigé l’anomalie des matchs décalés d’autrefois en faisant jouer juste après ce Mundial 82 les derniers matchs de poule à la même heure. Idem pour l’UEFA, qui impose en Ligue des champions un horaire unique à 20h45 pour tout le monde (Russie exceptée, 17h30). Ceci dit, avec les moyens de communication modernes, sachant en continu les résultats des concurrents, toutes les équipes dosent leurs efforts en fonction les soirs de matchs cruciaux. Une équipe se sachant éliminée peut lâcher le match quand une autre équipe avertie d’un score favorable sur un autre terrain va redoubler d’efforts. Et là non plus, ni la Fifa et ni l’UEFA n’ont les moyens de sévir. Alors, oui, pour qui a vu en direct le spectacle ahurissant des 22 Austro-Allemands jouant à la passe à dix pendant 80 minutes (but du 1-0 par Hrubesch à la 10e), il était proprement ulcérant d’assister à la qualification scandaleuse de deux équipes refusant de jouer. Mais leur conduite honteuse n’était pas « illégale » . Et puis comment prouver que l’Autriche a volontairement laissé l’Allemagne marquer juste le but qui arrangeait tout le monde ?
La moralité de cette histoire tient en l’un des fondamentaux des compétitions et du jeu : il faut toujours savoir rester maître de sa destinée et ne pas dépendre du bon, ou plutôt du mauvais, vouloir d’autrui. L’OM pourra accuser jusqu’à la nuit des temps le PSG d’avoir laissé filer le final du championnat de France 1999 en « laissant gagner » Bordeaux » (3-2). Mais un mois plus tôt, les Phocéens, imprudents, avaient eux aussi perdu au Parc (1-2) alors qu’ils avaient mené 1-0… Un nul entre l’Autriche et l’Algérie aurait qualifié cette dernière, point barre. Comme un fait exprès, on a bien vu lors de ce Mondial 2014 l’Allemagne et les USA quasi qualifiés se battre pour finir premier de ce Groupe G où Portugal et Ghana avaient encore leurs chances de finir second. Idem dans le groupe B où Chiliens et Néerlandais déjà qualifiés, eux, ont mis un point d’honneur à lutter pour la première place afin d’éviter le Brésil en 8e. En Ligue des champions, les grands clubs ont fini par comprendre l’importance de finir premier de leur groupe pour affronter un deuxième en 8e. Le souvenir plus victimaire que vecteur de remise en cause de ce « Match de la honte » de 1982 fut, entre autres explications, une des causes du lent déclin progressif du football algérien sur le plan international. Hormis une victoire à la CAN 1990, la participation au Mundial mexicain 1986 fut un désastre (dernier de la poule, avec deux défaites et un nul) et il fallut attendre 2010 pour revoir ce cher foot algérien en Coupe du monde (dernier de la poule, avec deux défaites et un nul). Ce soir, l’Algérie va retrouver l’Allemagne. Une Mannschaft qui elle aussi a subi des coups du sort : non invitée au Mondial 1950 pour cause de Seconde Guerre mondiale, battue en finale en 1966 sur un « but fantôme » , battue à la fatigue en finale en 1982 (avion annulé tard dans la nuit après le France-RFA, soit un jour de récup en moins par rapport à l’Italie)… Mais à la différence de l’Algérie, l’Allemagne s’est servie de ces revers de fortune pour se remettre en cause et se tourner vers l’avenir, pour mieux gagner ensuite. Le foot algérien sait ce qui lui reste à faire. Et ça commence ce soir…
Chérif Ghemmour