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Alfredo Morelos, le Buffalo brille

Par Quentin Ballue et Tom Binet
Alfredo Morelos, le Buffalo brille

Déjà assurés du titre national, les Rangers ont rendez-vous avec le Celtic ce dimanche en huitièmes de finale de la Coupe. Sur la route conduisant au doublé, les Gers seront menés par Alfredo Morelos. Dans l’ombre de ses compatriotes Radamel Falcao, Duván Zapata et Luis Muriel, l’attaquant de 24 ans fait peu à peu son trou en Europe, malgré ses problèmes de discipline. Que de chemin parcouru depuis l'époque où il capturait des iguanes dans la jungle.

« J’ai soutenu Alfredo plus que de raison et je ne peux plus le faire. Il sera puni en interne pour cela. Je vais recommander au conseil d’administration qu’il soit sanctionné d’une semaine de salaire et que l’argent aille aux supporters qui ont accompagné l’équipe, puisque ce sont eux, comme ses coéquipiers, qui sont pénalisés. » Nous sommes en mars 2019, et Steven Gerrard en a gros sur la patate. Ses Rangers viennent de perdre le Old Firm face au Celtic après avoir vu Alfredo Morelos récolter un énième carton rouge pour un coup de coude volontaire, précipitant la chute des siens. Le buteur en série colombien marche pourtant sur l’eau, lui qui terminera cette saison-là meilleur réalisateur d’Écosse avec dix-huit pions malgré ses nombreuses suspensions. Car c’est bien là que le bât blesse. Depuis son arrivée dans le nord du Royaume-Uni, Morelos collectionne autant les buts que les cartons : 48 jaunes et 7 rouges au total pour le natif de Cereté, dans la jungle colombienne. Un garçon pourtant décrit partout où il est passé comme gentil, attentionné, et toujours très proche de sa région natale.

La tête dans les iguanes

Retour en 2012. Le petit Alfredo a 16 ans quand il quitte le nord-ouest de la Colombie, pour rejoindre l’un des principaux clubs du pays : l’Independiente Medellín. C’est là que ce garçon issu d’une famille modeste fera ses premiers pas dans le monde professionnel, lui qui dès l’âge de 8 ans partait escalader les arbres dans la jungle en chasse d’iguanes femelles prêtes à pondre avant d’observer sa mère préparer une soupe à partir des œufs. Le moyen pour le seul fils de la famille d’aider son père, vendeur de fruits ambulant, à subvenir aux besoins du foyer. Des origines qui font la force de Morelos, qui continue de rentrer au bercail à la moindre occasion. Surtout quand la vie le confronte à une première épreuve des plus douloureuses. Alors que l’adolescent vient de rejoindre la deuxième ville de Colombie, à plus de 400 kilomètres de chez lui, l’une de ses jeunes sœurs décède tragiquement.

Il est fier de sa région, des gens. C’est un homme qui a un très grand sentiment social.

« Cela a été un moment très délicat. Un coup dur. Je crois que cela démontre sa capacité de résilience, rejoue aujourd’hui Mateo Restrepo, responsable du centre de formation et homme à tout faire d’El Poderoso de la Montaña, le surnom du club. Désormais, il dédie tous ses buts à sa sœur. Il a eu un accompagnement, il a dû parler avec des spécialistes qui l’ont beaucoup aidé. Cela a aussi démontré tout ce qu’est Alfredo. Il a pris le bon de cet événement pour pouvoir avancer. » Proche des siens, l’international colombien l’a toujours été à chaque étape de sa carrière. « Il est fier de sa région, des gens. C’est un homme qui a un très grand sentiment social, poursuit Restrepo. Il a vécu pendant plusieurs années dans la« Casa club », l’académie du club où vivaient les jeunes. Et il en est aujourd’hui l’un des référents : il y a une fresque représentant des joueurs du club qui ont fait une carrière importante. Et là, il y a Alfredo Morelos. » Lors de son départ en 2016 pour le HJK en Finlande, il utilisera ses premiers bonus pour acheter une maison à sa famille et créer sa fondation, qui vient en aide aux enfants de Cereté. Plus tard, alors que c’est désormais la tunique des Rangers qu’il revêt chaque week-end, le bonhomme organise des matchs de charité lors desquels les jeunes portent des équipements du club écossais. Le prix d’entrée pour assister à ce spectacle ? Faire un don de nourriture à la fondation. Dernière illustration de son attachement à sa région : l’an dernier, en plein confinement, Morelos rentre chez lui pour y distribuer plus de 500 colis alimentaires. « Le fait de venir d’une province de Colombie, ça l’a aussi motivé à être celui qu’il est aujourd’hui », assure de son côté Jhonny Mena, lui aussi passé par le moule de l’Independiente avant de rallier le Pérou en quête d’une carrière dorée.

« C’est un animal »

Côté pile, Alfredo Morelos est un buteur-né, révélé très jeune. « C’était un joueur très fort et surtout très explosif, décrit Mena. Quand nous sommes montés avec l’équipe professionnelle, il était celui qui se mettait toujours en évidence malgré son jeune âge. Il a beaucoup été appelé avec les sélections de jeunes de la Colombie. À partir des U15, il était pleinement intégré. C’est un animal. » Mateo Restrepo se souvient bien lui aussi des débuts d’El Bufalo dans son club de toujours : « Il a démarré avec les pros à 18-19 ans et a très vite commencé à marquer, surtout en coupe. Il avait notamment inscrit un doublé contre Fortaleza lors de notre parcours jusqu’en finale. » La machine est lancée. Et celui qui l’a vu grandir de conclure : « Aujourd’hui, les promesses de cette époque sont devenues réalité. » Côté face en revanche, le buteur fait preuve dès ses débuts d’un très fort caractère, qui lui jouera plusieurs fois des tours. « Le caractère de Morelos est son talon d’Achille, lance Jorge Hernán Peláez, journaliste à La República et aux premières loges pour l’éclosion du phénomène. Déjà en Colombie, on voyait qu’il aurait des problèmes avec les cartons à force de trop discuter avec les arbitres et les adversaires. Il n’accepte pas non plus facilement l’autorité, il est entêté. Cela l’a amené à avoir de sérieux différends avec plusieurs entraîneurs, mais ils finissent toujours par le faire jouer parce qu’ils ont besoin de ses buts. » Des qualités qui lui vaudront un aller simple pour l’Europe, à peine deux ans après ses débuts en pro.

Helsinki, comment c’est loin

Le saut dans l’inconnu intervient en février 2016 : cap sur le Grand nord, où il atterrit à Helsinki, à quelque 10 000 kilomètres de Medellín. Dépaysement total pour un garçon de 19 ans qui n’avait jusqu’alors jamais quitté sa Colombie natale. « C’était la première fois qu’il était dans un climat en dessous de 15°C, resitue Mika Lehkosuo, son entraîneur au HJK. Il est arrivé en février, il faisait -5°C, -10°C, avec pas mal de neige. Vous pouvez imaginer la différence.(Rires.)C’était un peu compliqué pour lui, mais il ne l’a pas tellement montré, il était là à chaque entraînement. » Morelos doit en outre composer avec la barrière de la langue, dans un vestiaire où l’espagnol n’est pas vraiment en vogue. Le défenseur brésilien Rafinha et l’adjoint du coach José Ribeiro se chargent donc des traductions. Sur le terrain en revanche, l’attaquant s’exprime très rapidement.

Alfredo n’était peut-être pas très professionnel dans tous les aspects de sa vie. Lors de sa première année, il avait des lacunes au niveau de sa coopération avec les autres joueurs et de sa concentration dans toutes les phases du jeu.

Il débloque son compteur dès sa première apparition, en égalisant dans le derby contre le HIFK (3-3). Deuxième meilleur buteur du championnat, il achève sa première saison en Finlande avec 30 buts en 43 matchs toutes compétitions confondues. « Quand nous l’avons fait venir, c’était d’abord pour un essai de trois mois. S’il n’avait pas été assez bon, il serait reparti, assure Lehkosuo. On a vu que c’était un attaquant vraiment puissant, très costaud au niveau des jambes et du bassin. Il peut garder le ballon, se retourner, défier son adversaire… Je comprends qu’on le surnomme « le buffle » ! Même s’il n’était pas complet, il montrait des qualités fantastiques en tant qu’attaquant. » Belle bête, mais encore perfectible. « Alfredo était assez jeune, il n’était peut-être pas très professionnel dans tous les aspects de sa vie. Lors de sa première année, il avait des lacunes au niveau de sa coopération avec les autres joueurs et de sa concentration dans toutes les phases du jeu. Il avait une approche plus individuelle que collective. Mais durant sa deuxième saison, il a été fantastique, peut-être le meilleur joueur que j’ai jamais vu en Finlande. Il était tellement au-dessus des autres à ce moment, c’était clair qu’il devait jouer ailleurs. » L’entreprise de démolition des défenses scandinaves du Buffalo a en effet pris un autre tournant en 2017, le Colombien renversant littéralement tout sur son passage avec une moyenne d’un but toutes les 82 minutes entre fin janvier et début juin (16 réalisations). Helsinki est lancé vers le doublé coupe-championnat, et Morelos vers l’étape supérieur.

« Vous savez qu’avec Alfredo, les buts ne tarderont pas à arriver »

L’avant-centre débarque à Glasgow, les Rangers déboursant dans l’opération un peu plus d’un million d’euros. Le fameux « Scottish flair » . Après une saison de chauffe, il se transforme en une inarrêtable machine à planter : 59 buts entre juillet 2018 et février 2020. Une réussite insolente qui lui ouvre les portes de la sélection en septembre 2018. Un an plus tard, il offrira la victoire aux Cafeteros contre le Pérou. « C’est un garçon qui aime marquer. Il joue pour apporter de la joie aux fans, il a une énergie et une envie énormes, insiste Michael Beale, membre du staff de Steven Gerrard. Il n’a que 24 ans, il joue pour un grand club, il vit son rêve ! Il est extrêmement important, la meilleure version d’Alfredo donne à toute l’équipe un autre niveau de performance. Avec Alfredo, vous ne perdez jamais l’effort ou la capacité de créer des buts pour ses coéquipiers. Peu importe qui marque….. mais vous savez qu’avec Alfredo, les buts ne tarderont pas à arriver, car il se procure toujours des occasions et se trouve toujours au bon endroit. »

Il est extrêmement important, la meilleure version d’Alfredo donne à toute l’équipe un autre niveau de performance. Avec Alfredo, vous ne perdez jamais l’effort ou la capacité de créer des buts pour ses coéquipiers.

Kilmarnock en a fait l’amère découverte en encaissant un triplé en 2018, puis un quadruplé en 2019. Porto, Feyenoord, les Young Boys ou encore Benfica figurent également au tableau de chasse du Buffle qui, le mois dernier, y a ajouté une victime de choix : le Celtic, enfin, à l’occasion de son quinzième Old Firm. Ses performances ont attiré l’attention. De clubs prestigieux comme l’AC Milan, mais aussi d’un curieux détective privé, retrouvé en train de placer un tracker sous sa Lamborghini (à la demande de la femme du joueur selon le suspect, ce que l’intéressée a démenti). Suspectant une tentative de sabotage du véhicule, Morelos lui avait alors couru après. Il faut dire que l’attaquant est habitué à voir rouge. « Il a les qualités techniques, tactiques et physiques qu’il faut pour être un très bon attaquant, mais la clé, c’est peut-être sa mentalité, esquisse Lehkosuo. Le professionnalisme, la concentration et le sang-froid sont des éléments essentiels pour qu’il puisse jouer dans de plus grands clubs et de plus grands championnats. »

Steven Gerrard ne disait pas autre chose en août dernier, alors qu’il venait d’écarter son attaquant du groupe pour un match de championnat : « Je ne veux que des joueurs qui ont faim pour le maillot. Si je vois des gens qui ne sont pas concentrés ou qui n’ont pas vraiment envie d’obtenir des résultats pour ce club, je dois prendre des décisions faciles. Alfredo m’a facilité la tâche cette semaine. Nous avons besoin de joueurs qui travaillent dur chaque jour et qui sont prêts et concentrés pour les défis à venir. » De l’eau a coulé sous les ponts, et la bête semble s’être (un peu) calmée : aucune expulsion sur ses cinquante dernières rencontres. Mais s’il échappe un peu plus aux cartons, on ne peut pas en dire autant des suspensions : deux matchs pour un coup de coude sur Mark Connolly en décembre, trois autres pour avoir marché sur Ryan Porteous en janvier. Alfredo à sang-froid, Morelos à sang chaud.

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Des Bleus aux gardes à trous
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Par Quentin Ballue et Tom Binet

Tous propos recueillis par QB et TB, sauf ceux de Steven Gerrard.

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