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Alfonso Pérez : « C’est une chance d’avoir connu le Real et le Barça »
Entre les deux équipes du Real Madrid et du FC Barcelone, peu de footballeurs se sont aventurés à porter les deux tuniques dans une même carrière. Parmi cette poignée de joueurs, Alfonso Pérez en fait partie. Interview d’un Madrilène passé par le Barça en cours de chemin.
Tu as commencé à grandir en tant que joueur au sein de la Fabrica du Real. Quels souvenirs gardes-tu de cette école ? Quand tu viens de la banlieue de Madrid (Getafe, ndlr), intégrer la Fabrica est un rêve. Quand je suis arrivé dans ce club, même chez les jeunes, c’était déjà un immense honneur. J’ai beaucoup appris au cours de cette étape, même si apprendre dans la meilleure école du monde est parfois difficile en tant qu’adolescent, l’exigence est forte. Mais finalement, j’ai pu passer par la Castilla et avoir la chance d’intégrer l’équipe première. Jouer au Real et pouvoir s’entraîner avec tes idoles que tu voyais avant à la télé, en photos, c’est indescriptible.
Ton intégration dans le groupe professionnel arrive au moment de la fin de la Quinta del Buitre. Comment as-tu vécu cette période à Madrid ? Les joueurs étaient très familiers avec moi. Ils savaient que je venais du centre de formation, j’étais un bizut. Mais mon statut de nouveau ne se faisait pas ressentir. J’ai tout de suite été bien intégré, et cela me rendait encore plus heureux de faire partie du vestiaire. Après, j’étais aussi respectueux vis-à-vis de mes aînés. Michel, Butragueño, Sanchis, Hugo Sánchez… L’objectif, c’était de me faire une place.
Il devait y avoir beaucoup de pression après cette période de succès, surtout qu’en face, c’est la Dream Team de Johan Cruyff… On se souvient notamment du pétage de plomb de Stoichkov sur l’arbitre, ton premier Clásico. Comment étaient vos face-à-face contre le Barça à cette époque ? C’était une équipe en plein essor. Mais tu sais, ces Clásicos sont toujours les mêmes. Beaucoup de pression, beaucoup d’attente… Et puis le jour du match arrive et là, c’est la réalité du terrain qui parle, avec de l’émotion et beaucoup de rivalité. C’était difficile, parce que le Barça arrivait toujours à nous passer devant en championnat. Deux années de suite, nous perdons le titre de Liga à la dernière journée… Après ce sont des successions de dynamiques, de périodes fastes ou de périodes plus compliquées. Le Real et le Barça seront toujours liés.
Marquer dans un Clásico, cela procure une sensation différente que de marquer dans un autre match de foot ? Oui, clairement. Un but dans un match, cela reste toujours un plaisir. Mais quand tu marques contre le Barça, tu sens que c’est important. C’est un match qui compte double en fait, parce que si ton équipe gagne, ton adversaire va perdre. C’est un match à six points, et cela peut clairement influer sur le déroulement du championnat.
Quel est ton meilleur souvenir dans un Clásico ? Je me souviens d’un match en Supercoupe d’Espagne, où j’avais marqué un doublé au Santiago-Bernabéu. C’était une victoire 3-1, l’ambiance est très forte et j’en garde un vrai souvenir. Je ne me souviens pas de tous mes buts, mais ces deux-là, je les ai en mémoire !
Le Real se remet à gagner le championnat à ta dernière saison, quand Raúl intègre l’effectif. Comment était-il présenté à la presse ?C’était simple. Il était vu comme un joueur en devenir, sans être une grande star. Quand un joueur intègre le club par la Castilla, le club ne communique pas autant que lorsqu’il s’agit d’un joueur transféré. Raúl est arrivé un peu comme je l’ai fait, de manière très calme. À l’époque, le Real Madrid ne recrutait pas autant que maintenant, car le club était encore limité à trois joueurs étrangers par effectif. C’était plus facile pour nous, les Espagnols, de jouer au Real Madrid. Aujourd’hui, l’exigence est très, très élevée pour être dans l’équipe première, car la concurrence est passée de nationale à internationale. Après, il faut reconnaître que Raúl à l’époque était déjà influent dans les matchs : il jouait, marquait, faisait gagner l’équipe.
Ton expérience au Barça arrive en 2000… Pile après l’Euro où tu marques ce but dingue contre la Yougoslavie dans les arrêts de jeu. Tu avais signé avant ou après le tournoi ? Hmm… Là, je ne saurais pas te dire.
Tu avais déjà des touches, non ? C’était mon entraîneur de l’époque au Betis, Lorenzo Serra Ferrer, qui avait repris l’équipe en main. Quand il s’est fait nommer entraîneur du Barça, il a pensé à moi pour renforcer l’effectif. C’était plus une opportunité à saisir sur le moment.
Tu arrives dans un Barça en reconstruction, avec le nouveau président Gaspart. Et tu arrives dans l’effectif au moment où Luís Figo est transféré au Real Madrid… Est-ce tu penses que cette trahison a perturbé le Barça ? C’était complètement anormal. Le transfert de Figo, c’était une des promesses de Florentino Pérez pour arriver à la présidence du Real Madrid. Ensuite, cela s’est réalisé et ce transfert a connu un impact énorme au Barça… Quand ton meilleur joueur signe dans le club ennemi, cela joue forcément dans la tête. Imagine Messi signer aujourd’hui au Real Madrid, ce serait impensable ! En 2000-2001, beaucoup de joueurs sont arrivés au Barça, il fallait retrouver une stabilité. Je n’ai pas eu la chance de gagner de titre avec le club. Au bout d’un an et demi, j’étais déjà sur le départ…
Le premier Clásico de Figo au Nou Camp avec le maillot du Real Madrid, vous gagnez le match 2-0. Quels sont tes souvenirs de l’ambiance ? C’était plus tendu que d’habitude, les gens cherchaient à ce que Figo ne se sente plus chez lui au Nou Camp… Mais surtout, les socios souhaitaient voir le Barça gagner, pour prouver à Figo que son départ n’affectait pas l’équipe. Nous avons remporté ce match, c’était le principal.
Si tu devais choisir, tu préférerais revivre ta période au Real ou celle au Barça ? Je choisis ma période au Real. C’est là où j’ai grandi, où j’ai beaucoup appris du football… C’est aussi une période plus longue, donc forcément, j’ai plus profité. Au Barça, j’ai connu de grands joueurs, un grand club… C’était aussi intéressant. En fait, c’est une chance d’avoir connu le Real et le Barça.
C’est quoi ton pronostic pour ce Real-Barça ? Ça va être ouvert, parce que les deux équipes vont chercher à gagner le match. Dans un Clásico, tu ne joues pas le match nul. Le Barça doit tout miser sur ce match maintenant, car la Liga redevient son objectif principal. Le Real possède l’avantage de recevoir, et il vaut mieux se retrouver dans la position du chassé que du chasseur. Si le Real gagne, il prend six points d’avance et tout est terminé. Je vois bien le Real l’emporter, même si pour le Barça, ce serait quelque chose de terrible.
Est-ce que la passation de pouvoir entre les deux clubs ne serait pas en train de se produire en Espagne ? Le Barça possède d’excellents joueurs, il ne faut pas l’oublier. Mais ce qui fait la grande différence, c’est le banc du Real. Il est de bien meilleure qualité que celui du Barça, et quand tu démarres un championnat avec trente-huit journées, que tu rajoutes les matchs de Coupe du Roi, de Ligue des champions, cela se ressent au bout d’un moment. Au Barça, si tu enlèves deux ou trois joueurs clefs, l’équipe ne répondrait plus de la même façon sur le terrain. Au Real, c’est différent.
Si le Real gagne, tu penses que le Barça peut entrer dans une énorme crise ? Pour le moment, la seule chose dont on est sûr, c’est que Luis Enrique va s’en aller. Après, j’imagine que le club va recruter plus que d’habitude pour se renforcer. Quand un club traverse une période compliquée, il passe régulièrement par un recrutement massif.
Pour bien acheter, il faut aussi penser à dégraisser, non ? André Gomes, c’est décevant… Je le vois comme un bon joueur. C’est simplement que parfois, certains nécessitent un temps plus long pour se faire au jeu du Barça, qui est loin d’être simple à intégrer quand tu viens d’un autre club. C’est vrai que quand on le voit sur le terrain, on le sent en difficulté. Mais je crois qu’il faut lui laisser du temps, prendre son mal en patience. L’an prochain, André Gomes pourrait exploser. Mais dans le foot actuel, il faut que cela marche vite. Peut-être même qu’il est déjà parti…
Propos recueillis par Antoine Donnarieix