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Alexandre Oukidja : « Je sais faire mon autocritique »

Propos recueillis par Mathieu Rollinger, à Metz // Photos : Renaud Bouchez pour So Foot
11 minutes

Certains l'aiment chaud. D'autres lui reprochent son manque de sang-froid. Quoi qu'il en soit, Alexandre Oukidja est un des gardiens les plus attachants de Ligue 1. Alors qu'il suit la CAN des Fennecs depuis son canapé, l'ex-international algérien du FC Metz préfère se présenter à 35 ans comme une version assagie de lui-même. Et ça lui va comme un gant.

Alexandre Oukidja : « Je sais faire mon autocritique »

Contre Toulouse, tu as disputé ton 100e match de Ligue 1 avec le FC Metz. En quoi le gardien que tu es aujourd’hui est différent de celui que tu étais au début de cette série ?

Ça peut paraître banal, mais j’ai mûri. Quand je suis arrivé ici, en 2018 et en Ligue 2, j’étais un gardien plein de folie. L’année suivante, on monte en Ligue 1. Même si j’y avais goûté avec Strasbourg (17 matchs), je découvrais un peu ce monde. J’ai grandi avec le FC Metz dans cette compétition et j’ai appris beaucoup de choses dans les hauts et dans les bas. Aujourd’hui, je me canalise un peu plus dans les moments chauds. Lors d’un match comme celui contre Toulouse (0-1), j’aurais pu prendre un rouge à tout moment du match, mais j’ai gardé mon sang-froid. À l’époque, avec les frustrations dues aux décisions de l’arbitre et celle de ne pas réussir à remporter ce match, j’aurais pu craquer.

J’ai compris que je pénalisais plus mon équipe en faisant des conneries qu’en restant concentré.

Alexandre Oukidja

Comment as-tu réglé cet aspect ?

Ni yoga, ni psychologue, ni sophrologie, rien. Il y a eu des phrases de coachs qui m’ont fait réfléchir, mais comme je sais faire mon autocritique, j’ai réussi à en prendre conscience tout seul. Je donnais une mauvaise image de moi-même et une mauvaise image du club. Pour les gens, je n’étais pas une assurance tous risques. J’apparaissais comme un gardien assez nerveux, qui pouvait péter un plomb à tout moment, alors que dans la vie, je suis quelqu’un de jovial, qui aime autant déconner que travailler. Je ne me reconnaissais pas. Mes proches ne me reconnaissaient pas. Il y a eu une année noire, celle de la descente en Ligue 2 (2021-2022), où j’ai joué six mois avant de perdre ma place. J’ai pris du recul, j’ai essayé d’analyser cette saison… Depuis l’an dernier en Ligue 2 et surtout cette année, je montre un peu plus de sérénité et de calme. Les décisions de l’arbitre, ça fait partie du jeu. J’ai compris que je pénalisais plus mon équipe en faisant des conneries qu’en restant concentré. C’est aussi le fait d’avoir maintenant deux enfants. Ça donne des responsabilités. Mes enfants ou ceux des autres, ils nous observent, ils regardent comment on réagit, et il faut montrer le bon exemple.

Le pic de cette nervosité, c’était un match contre Angers…

Je pète un plomb parce qu’on perd 1-0, qu’on a besoin de jouer vite, et le joueur adverse dégage le ballon au lieu de nous le rendre. C’est un truc que tout le monde pourrait faire quand il veut gagner du temps, mais ça m’a fait dégoupiller. Ce genre de gestes ne sont pas à faire sur un terrain, je le sais. Il y a aussi le match de Brest où on est également menés, il y a une échauffourée, et je balaye un joueur brestois. Je prends un rouge par M. Batta, le même arbitre contre Toulouse. Le match de Guingamp, on le perd 6-3, et si je prends un rouge (pour une sortie jugée dangereuse, NDLR), c’est parce que je paye aussi l’image que j’ai donnée auparavant. À ce moment-là, les arbitres sont très attentifs à mes gestes et mon comportement. Aujourd’hui, ça va un petit peu mieux parce que je leur montre de la sympathie. Que ce soit l’adversaire, l’arbitre ou moi, on reste tous des hommes. À la fin du match, on est les mêmes : on va voir nos familles, on a nos vies. Donc j’essaye de jouer au football, c’est tout.

Mieux gérer tes émotions, ça t’a rendu meilleur comme gardien ?

Oui. Quand tu es gardien de but, tu as un rôle qui nécessite que tu montres aux autres que tu as confiance en toi. Si tes coéquipiers sont sceptiques, ça te fragilise. Si tes adversaires voient une faiblesse, ils vont en profiter. Il faut montrer du caractère, certes, mais il faut surtout tenir la baraque et aller de l’avant.

Avec mes cousins, je m’amusais à voler les poules du voisin parce que j’estimais que des animaux, ça devait vivre en liberté.

Alexandre Oukidja

Quand tu étais petit, tu étais impulsif ?

J’étais un garçon hyperactif qui ne tenait pas en place. Sur le terrain, j’étais un gardien foufou qui sautait sur tous les ballons. S’il fallait sortir la tête en premier, je le faisais. Donc oui, j’ai cet état d’esprit depuis toujours. Dans la vie de tous les jours, à la maison ou à l’école, j’étais un casse-cou, le gamin qui aimait faire rire ses camarades, dès qu’il y avait une connerie à faire, je la faisais. Par exemple, avec mes cousins, je m’amusais à voler les poules du voisin parce que j’estimais que des animaux, ça devait vivre en liberté. Comme je rendais folle ma mère parce qu’elle travaillait dans la cantine de mon école, et elle entendait tout le temps « Alexandre, arrête de faire ci », « Alexandre, arrête de jouer avec les cuillères », « Alexandre, arrête de jeter la nourriture ». Je lui faisais péter les plombs aussi.

Cette nouvelle sagesse dont tu nous parles et dont tu as parlé dans le podcast La Voix des gardiens, ça se traduit comment dans le vestiaire ? Tu as un nouveau rôle depuis ?

Dans le vestiaire, j’ai deux visages. Celui de bosseur et de gardien qui a gagné en sérénité. Et celui qui continue à faire des petites bêtises pour amuser la galerie, parce qu’il faut quand même un petit peu de folie dans le foot pour que quelque chose se passe dans une équipe.

Cette question de l’image, elle a l’air très présente chez toi. Ça te préoccupe ?

Bien sûr. Quand je suis arrivé à Strasbourg, le club était en National. Puis on a gravi les échelons, Ligue 2, Ligue 1. Pourtant, j’avais l’impression, une fois là-haut, que Strasbourg me considérait encore comme un gardien de National. Le FC Metz m’a tendu la main et m’a montré qu’il avait confiance en moi, que ce soit en Ligue 2 ou en Ligue 1. C’était valorisant pour moi parce que pendant toute ma carrière, on m’a dit : « Tu aurais mérité une plus grande carrière si tu avais été un peu moins impulsif. » Je ne remets pas en question ma carrière, parce que j’aurais très bien pu rester dans le monde amateur, si je n’avais pas saisi les bonnes opportunités. J’ai ma personnalité, parfois il y a des coups de sang, parfois ça se passe très bien, il faut me prendre comme je suis.

Tu ne pensais pas avoir l’occasion de vivre cette carrière, quand tu étais troisième gardien du LOSC ?

Si, parce que j’ai été formé pour être un jour gardien numéro 1 au LOSC. Ça ne s’est pas fait sûrement à cause de mon comportement ou de l’image que je pouvais renvoyer. Peut-être que je n’étais pas un gardien assez fiable quand j’étais plus jeune. Mais cet échec à Lille, ça m’a permis de mûrir et de prendre en expérience. Quand on te promet quelque chose et que tu ne l’as pas, il faut être fort mentalement pour rebondir et aller chercher par soi-même cet objectif. J’ai été prêté (à Bayonne puis à Mouscron), j’ai dû aller en National, j’ai dû gagner ma place en Ligue 2… J’ai mangé mon pain noir, mais ma carrière s’est faite comme ça. Rien n’était acquis.

On ne peut plus être aussi fantasque que les gardiens des années 1990.

Alexandre Oukidja

Avec 67 arrêts, tu es dans le top 5 des gardiens de Ligue 1. Mi-septembre, tu étais le premier des 5 grands championnats à enchaîner 10 parades dans un seul match (Lens). À Monaco, tu as fait grimper ce chiffre à 11. Qu’est-ce que ces stats racontent de toi ?

Ça fait toujours plaisir, parce que ça veut dire que l’équipe peut compter sur toi, mais les chiffres en eux-mêmes sont anecdotiques. On ne mesure pas la qualité d’un gardien à son nombre d’arrêts. Sur six frappes, tu peux en avoir six dans les bras. Il ne faut pas trop se concentrer sur les stats parce qu’elles peuvent aussi te griser. Je ne suis pas du genre à prendre la grosse tête et à me la raconter après un bon match. Ce n’est pas parce que tu fais dix arrêts le week-end qu’il faut moins s’entraîner dans la semaine, parce que la semaine suivante, tu peux aussi faire un match de merde.

Penses-tu faire le même métier que Gianluigi Donnarumma ou Manuel Neuer, pour ne citer que des gardiens qui gardent les cages d’équipes ultradominantes ?

On fait le même métier, mais différemment. Ils sont moins sollicités que moi, il y a moins de frustration à gérer à Paris qu’à Clermont, Metz ou Toulouse, mais ça ne veut pas dire que c’est plus facile. Dans ma carrière, j’ai eu la chance de jouer des montées, donc dans des équipes qui pouvaient dominer. Ce n’était pas pareil que de jouer le maintien en Ligue 1, mais dans tous les cas, il faut rester concentré pendant 90 minutes parce qu’un match n’est jamais écrit à l’avance.

Fort sur ta ligne, capable de sortir en dribbles à la Olmeta, pas forcément adepte des relances courtes… Est-ce qu’on peut dire que tu es un des derniers gardiens de Ligue 1 « à l’ancienne » ?

Olmeta ou même Higuita, j’adorais. Comme eux, j’estime que je suis un gardien qui prend beaucoup de risques dans ses sorties, aériennes ou hors de sa surface. J’ai toujours joué très haut. Quand il y avait une balle dans la profondeur, je suis là pour faire le tacle. Bon, à 35 ans, je suis moins réactif et moins rapide qu’avant, mais le football a évolué aussi en 20 ans. Dans ces situations, il faut être plus réfléchi. On ne peut plus être aussi fantasque que les gardiens des années 1990. Aujourd’hui avec la vidéo, les adversaires nous connaissent par cœur, ils voient nos matchs. Donc ils savent que j’aime jouer haut et ils peuvent te lober à tout moment… Ça m’est arrivé contre Saint-Étienne, avec une frappe des 60 mètres (de Wahbi Khazri). Forcément, ça fait réfléchir, ce genre de but.

Tu as pris ta retraite internationale cet été. Pourtant, vu ton état de forme, tu aurais eu ta place dans le groupe de l’Algérie pour la CAN, non ?

Sans cette décision, je pense que j’aurais été en Côte d’Ivoire à l’instant où on se parle, mais enchaîner club et sélection, c’est compliqué. Jouer un match de Ligue 1, partir le lendemain en Algérie, basculer sur un autre contexte, s’entraîner, voyager en Afrique, etc., c’est exigeant. J’aurais pu le faire à 25 ou 30 ans, mais à 35 ans, il faut savoir se poser. Faire cette CAN, ça aurait pu entacher mes performances avec le FC Metz cette saison. Quand j’ai annoncé ma retraite cet été, on venait de gagner notre match contre Bastia, et je savais qu’on montait en Ligue 1. Continuer avec l’Algérie, ça aurait été égoïste de ma part, et surtout, je ne voulais pas revivre la même saison qu’en 2021-2022, où j’ai perdu ma place en revenant de la CAN. Plutôt que faire deux choses mal, parfois mieux vaut faire une chose bien.

Ce sprint, il est instinctif. J’avais l’impression d’avoir des jambes de 20 ans, et même s’il fallait que je me fasse un claquage pour ramener le maillot, je devais le faire.

Alexandre Oukidja

Pourtant, en Algérie, ils sont convaincus que c’est grâce à toi que vous remportez la CAN en 2019, grâce à ton sprint incroyable pour aller chercher au vestiaire une tenue propre pour Djamel Benlamri, sorti en sang. Peux-tu nous raconter cet épisode ?

Déjà, on avait un groupe exceptionnel. On est partis pendant deux mois et demi pour préparer cette CAN et il y avait une super entente entre les titulaires et les remplaçants. Tout le monde était prêt à jouer et surtout à tout donner pour l’équipe. Pendant cette finale contre le Sénégal (lors de laquelle il est remplaçant, NDLR), on mène 1-0. Il reste dix minutes à jouer, mais, avec cette blessure de Djamel, on est momentanément à dix contre onze. Si on se prend un but, on peut tous pleurer. Je vois que ça panique un peu sur le banc. Dans ma tête, ça n’a fait qu’un tour. Ce sprint, il est instinctif. J’avais l’impression d’avoir des jambes de 20 ans et même s’il fallait que je me fasse un claquage pour ramener le maillot, je devais le faire. Sans arrière-pensées ni pour faire le buzz. Djamel Belmadi l’a dit en interview : j’ai fait ce sprint pour l’équipe.

Plutôt que celle du gardien qui se prend des rouges, c’est cette image de mec dévoué que tu aimerais que les gens gardent de toi ?

Exactement. Dans un groupe, que je sois titulaire ou remplaçant, je suis quelqu’un d’exemplaire. Je ne suis pas individualiste. Je n’ai que six capes avec l’Algérie, ce n’est en aucun cas une déception. C’est quelque chose qu’il faut vivre au moins une fois dans sa vie. C’est aussi pour ça que le coach me prenait en sélection : il connaissait ma mentalité et il pouvait compter sur moi. L’autre Alexandre, celui qui prend des rouges, ce n’est pas moi.

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Propos recueillis par Mathieu Rollinger, à Metz // Photos : Renaud Bouchez pour So Foot

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