Depuis 2011, tu évolues au Ludogorets Razgrad, club avec lequel tu viens de remporter ton quatrième titre de champion d’affilée. On imagine forcément que tu es un footballeur épanoui…
Ça, c’est sûr (rires). C’est ma septième saison en Bulgarie. J’ai remporté six fois consécutivement le championnat, trois coupes et trois Supercoupes. Ça fait douze titres en sept ans… Il n’y a que la première année où je suis arrivé que je n’ai rien gagné. Donc en ce qui concerne le palmarès, il n’y a aucun souci.
Comment juges-tu l’exercice 2014/2015 à titre personnel ?
À titre personnel, je ne suis satisfait que de ma deuxième partie de saison. Lors de la première partie, j’ai eu une blessure deux jours avant le match de Ligue des champions contre Liverpool qui m’a empêché de jouer. J’ai mis du temps avant d’être rétabli. J’ai voulu me remettre vite, mais je me suis blessé de nouveau derrière… Ça a donc traîné un peu. Depuis janvier et mon retour de vacances, j’ai retrouvé ma place et fait de bons matchs jusqu’à présent. Je suis surtout content d’être revenu à mon meilleur niveau et de finir en beauté par ce titre de champion.
Quel genre de club est Ludogorets ? On sait notamment que le propriétaire est l’homme d’affaires Kiril Domuschiev, qui a pris le contrôle en 2010 et a investi massivement dans le club depuis…
C’est un club assez familial. Que ce soit dans le staff, le personnel qui travaille ou les joueurs, on sent une ambiance vraiment familiale. Les résultats aident aussi à ce qu’il y ait une atmosphère détendue. Depuis quatre années que je suis ici, on a été champion chaque saison. C’est vrai que ça facilite toujours les choses quand les résultats sont au rendez-vous. Le président a récupéré ce club alors qu’il était en seconde division. Il a investi pas mal d’argent lors de la première année pour faire remonter le club à l’étage supérieur et a su recruter les joueurs qu’il fallait. Dès le premier match, tout a très bien fonctionné et on s’est tous bien entendu. C’est là qu’on a pris conscience qu’on pouvait faire tous ensemble de belles choses. Les résultats ont ensuite prouvé cela.
Ça ne te gêne pas de jouer dans une équipe dont le nom signifie les fous ( « ludo » ) de la forêt ( « gorets » ) ?
C’est vrai que c’est assez surprenant, mais bon… (rires). Quand on le traduit, ça surprend. C’est comme ça, je n’ai pas choisi le nom, hein. On s’y fait vite. J’ai appris rapidement le bulgare. Dès la première année, je savais parler avec les gens normalement. Je me suis vite adapté, d’autant que ma femme est bulgare et que j’ai eu une fille avec elle il y a onze mois. Avec ma femme, j’ai eu cette chance de pouvoir me perfectionner au quotidien.
Avant Ludogorets, tu avais fait le choix de partir en Bulgarie, à seulement 22 ans, pour le Litex Lovetch en 2008…
J’étais réticent, très réticent même à l’idée de venir en Bulgarie. C’est simple, j’étais à peine venu que j’étais déjà reparti (rires). J’ai dit à mon agent de l’époque que je n’avais pas envie de rester. J’ai donc repris l’avion pour faire demi-tour et rentrer dans ma famille. Au bout de trois années avec Litex, j’aurais d’ailleurs pu signer pour Boulogne. J’étais parti sur place pour discuter des conditions et là-bas, le président de Ludogorets m’a appelé. Il m’a dit de prendre un avion et de venir chez lui le lendemain pour parler. Du coup, j’ai repris l’avion pour aller en Bulgarie et on s’est entendu de suite avec le président. C’est comme ça qu’a débuté l’aventure avec les « fous de la forêt » … (rires)
La barrière de la langue n’a pas été rédhibitoire, puisque j’ai appris rapidement le bulgare.
Comment s’est déroulée ton adaptation lors de ton arrivée ?
J’ai un tempérament qui fait que j’aime aller vers les autres et découvrir de nouvelles choses. Je n’aime pas rester enfermé et j’ai cette envie d’aller connaître une culture différente de la mienne. À mon arrivée à Litex Lovetch, l’adaptation a été d’autant plus facile qu’on était cinq Français dans l’effectif. La barrière de la langue n’a pas été rédhibitoire, puisque j’ai appris rapidement le bulgare.
Ton intégration s’est donc tellement bien passée que tu as fait il y a quelques mois une demande de passeport bulgare…
J’ai fait la demande cette année. Mais pour tout vous dire, je ne sais pas du tout ce que je vais faire la saison prochaine. Donc la double nationalité n’est pas du tout une priorité pour le moment. Je vais voir ce que je souhaite faire la saison prochaine et, suivant cela, j’aviserai. Si je change de pays, je garderai seulement mon passeport français. Pendant un temps, je songeais à évoluer avec l’équipe nationale de Bulgarie. Mais j’ai eu pas mal de problèmes avec les papiers. Il fallait que je les envoie, puis les renvoyer de nouveau, etc. Il y avait de la paperasse et c’était un peu compliqué.
On a beaucoup parlé de Ludogorets cette saison en raison de votre parcours en phase de groupes de Ligue des champions avec cette victoire contre Bâle (1-0, 22 octobre 2014) et le nul obtenu face à Liverpool (2-2, 26 novembre 2014). Ça doit représenter une immense fierté pour votre club, non ?
C’est une fierté pour le club, c’est certain. Mais, de mon côté, j’étais pas mal frustré, car j’étais blessé à ce moment-là. Quand on est footballeur, on attend juste des matchs comme ça. Et deux jours avant la rencontre contre Liverpool, je me blesse… Ça a été dur de devoir céder ma place. Lorsque j’ai récupéré ma place, la Champions League était terminée.
Cela a permis d’offrir une belle vitrine au football bulgare, après la belle épopée européenne en Ligue Europa lors de la saison 2013/2014…
C’était une belle aventure. Je me souviens qu’on avait éliminé la Lazio en 16es de finale. Ce parcours a mis en évidence les ambitions du président. Chaque année, le président veut que l’équipe aille plus haut. Il a fait refaire le stade, a développé une vraie structure pour le centre de formation du club. Il a de grands projets et ça nous pousse à donner le meilleur de nous-mêmes afin de répondre à ses attentes. Lors de ma deuxième année ici, on a été éliminés de peu par le Dynamo Kiev. Le minimum attendu pour la saison prochaine, c’est de figurer en Ligue des champions. On m’appelle souvent pour me demander quel est niveau du championnat bulgare par rapport à la Ligue 1. Les premières années, je ne pouvais pas trop répondre, car on était en phase de développement. Mais, désormais, je peux dire que notre équipe a largement le niveau pour jouer en L1. Notre parcours sur la scène européenne le prouve d’ailleurs. C’est une belle vitrine pour le football bulgare, bien que ce ne soit pas un championnat médiatisé en France.
Tu habites à Razgrad, petite ville de 35 000 habitants connue pour sa mosquée Ibrahim Pacha. Est-ce une ville où il fait bon vivre ?
Je ne suis pas entré à l’intérieur de la mosquée, mais elle est vraiment très belle de l’extérieur. Razgrad n’est pas une grande ville, mais il fait bon y vivre. Certes, le climat n’est pas tendre en décembre car il fait très froid, mais l’été il fait très chaud. C’est une ville où il n’y a pas de problème. Tout le monde vit pour Ludogorets maintenant. Toute la ville est à fond derrière nous. La vie n’est pas chère en plus. Avant de déménager, j’avais une maison de 180 m2 avec un jardin et un terrain de foot que je payais seulement 300 euros par mois. C’est vraiment beaucoup moins cher qu’en France… Et ça m’a permis de voyager dans le pays et de découvrir de nouveaux endroits. Comme on est à 140 kilomètres de Bucarest, on a pu aller en Roumanie. On a passé trois jours là-bas avec ma femme et mon fils.
En ce qui concerne l’ambiance, l’atmosphère dans les stades, qu’est-ce que ça donne ?
Ça dépend. Quand on joue des clubs de Sofia (CSKA Sofia, Lokomotiv Sofia et Slavia Sofia, ndlr), c’est très passionné. C’est très chaud à chaque fois, surtout que nous sommes désormais l’équipe à battre en Bulgarie. Tout le monde nous attend au tournant. L’ambiance est donc multipliée par dix maintenant dans les stades, notamment contres les formations qui disputent le titre. On sent un gros décalage en termes d’atmosphère, d’infrastructures et de public entre les équipes de haut et de bas de tableau. C’est d’ailleurs pour cela qu’à la mi-saison, on fait un deuxième championnat. Ce sont des play-offs où s’affrontent les six meilleures équipes.
La Bulgarie, c’est aussi Stoitchkov et Berbatov. Ce sont des noms que tu entends souvent là-bas ?
Ah oui, ce sont des noms que j’entends très souvent ! Ce sont des joueurs qui sont considérés comme des légendes vivantes au pays. Quand il y a de grandes affiches, on peut en croiser certains dans les stades d’ailleurs.
Et avec la fameuse débâcle des Bleus contre la Bulgarie en 1993 (1-2), on se doute qu’en tant que Français, tu as dû essuyer quelques vannes…
Oh la la, je crois que je le connais par cœur ce match désormais (rires) ! Dès le premier jour où je suis arrivé en Bulgarie, on n’a pas arrêté de me parler de ce match. On se chambre pas mal et j’ai du répondant quand on me lance des vannes là-dessus. Vu qu’ils ne me parlent que de ce match dans leur histoire, ça ne me gêne pas trop. Puis ils savent qu’on a été champions du monde et d’Europe… Il faut défendre notre patrie, hein ! (rires)
Après Saint-Étienne, je suis retourné au niveau amateur, à Rodez. Ça m’a permis de retrouver le goût du football, chose que j’avais peut-être perdue lors de mes six derniers mois chez les Verts.
Plus jeune, tu es passé par le centre de formation de Saint-Étienne. Est-ce un échec personnel de ne pas avoir réussi à signer pro chez les Verts ?
C’est un échec, mais entre guillemets pour moi. Si je n’étais pas là où je suis aujourd’hui, oui, ça aurait été un échec. Mais je me sens heureux et épanoui dans ma vie professionnelle et personnelle. Je ne le prends pas pour un échec, mais plutôt comme une épreuve, car c’est ce qui m’a construit et permis de grandir par la suite aussi. Après Saint-Étienne, je suis retourné au niveau amateur, à Rodez. Là-bas, il y avait un esprit très famille. C’était vraiment deux très belles années. Ça m’a permis de retrouver le goût du football, chose que j’avais peut-être perdue lors de mes six derniers mois chez les Verts. On m’avait fait croire que j’allais signer pro et au dernier moment non… J’étais franchement dégoûté.
À cette époque, tu étais capitaine de l’équipe de France U16 et U17 où tu côtoyais alors Kaboul, Gourcuff ou encore Lloris. N’éprouves-tu pas de la frustration au regard des carrières de chacun ?
Je n’ai pas ce tempérament et ne ressens vraiment aucune frustration. J’ai connu beaucoup de très bons joueurs, qui étaient sans doute encore meilleurs qu’eux, et qui ne sont pas footballeurs aujourd’hui. Quand on est jeune en centre de formation, il faut franchir les paliers et il y a une part de chance qui entre en compte. L’entourage est important et des agents, parfois malintentionnés, peuvent ne pas donner de bons conseils. Ça peut se jouer à peu de choses… Mais je n’ai aucune frustration. Je suis content pour eux qu’ils aient atteint ce niveau-là. Jusqu’ici, je vis de ma passion et c’est une chance que tout le monde ne connaît pas.
À vingt-neuf ans et après sept années passées en Bulgarie, comment envisages-tu ton avenir ?
J’ai déjà quelques offres de clubs à l’étranger, en fait. On va dire que je suis dans l’attente… Je suis en fin de contrat et ça fait sept saisons que je suis en Bulgarie. Ça s’est très bien passé pour le moment. Ma priorité est de trouver un club où je pourrai encore progresser et passer une nouvelle étape. Tout en continuant d’être aussi heureux et épanoui dans ma vie personnelle. Ce n’est pas un problème pour ma femme que je quitte la Bulgarie. Si je suis amené à partir, elle viendra avec moi.
L'homme qui répare les maillots cassés