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Alexander Blessin, le nouvel héros du Genoa
Arrivé mi-janvier sur le banc d'un Genoa en galère, Alexander Blessin a stoppé l'hémorragie et a vu vendredi ses nouveaux hommes remporter leur première victoire en Serie A depuis septembre. L'impossible sauvetage du club dans l'élite semble de plus en plus possible, et cette période vient surtout récompenser les méthodes du technicien allemand, qui ne cesse de transformer tout ce qu'il touche en réussite. Voilà pourquoi.
Au fond, pourquoi entraîner ? Quel est l’objectif intime de ces types qui se dressent chaque week-end dans les zones techniques du monde entier ? Et quelle est exactement leur influence sur le destin d’un groupe de joueurs toujours plus fournis et toujours plus exposés aux lumières médiatiques ? Au début des années 2010, assis dans l’un de ses bureaux de Palerme, Maurizio Zamparini, décédé début février après avoir brûlé plus d’une cinquantaine d’entraîneurs au cours d’une vie de président de club de foot longue de 32 ans, tranchait : « Dans les grands clubs, l’entraîneur s’occupe seulement de la gestion de vestiaire, comme un motivateur. Il n’y a pas besoin d’apprendre à jouer au foot à des champions. L’entraîneur compte pour 10% et les joueurs pour 90%. » Collectionneur de bagues NBA et d’un paquet d’autres records, Phil Jackson, lui, écrivait en 2013 que la quête d’un coach doit avant tout être de réussir à créer une équipe de joueurs « désintéressés » par leur gloriole personnelle, d’individus « unis », portés par « un pouvoir de réflexion collective » et sublimés par « une approche altruiste du jeu ». Invité à évoquer ses désirs pour sa première saison sur le banc d’Ostende lors de l’été 2020, Alexander Blessin, biberonné au coaching par la maison RedBull, avait, de son côté, lancé en l’air deux souhaits : voir son équipe sauver sa peau (le fond) et la voir proposer un football rapidement identifiable par l’ensemble des observateurs (la forme).
Première conséquence : après avoir longtemps eu les play-offs 1 dans le viseur, Ostende s’est fait une place dans le top 8 de la Jupiler Pro League 2020-2021 – cinquième de la phase régulière – et ce avec le pressing le plus étouffant de Belgique, mais aussi l’un des taux de possession moyen les plus bas (47,7%). Lancé en août 2020 au sujet de l’approche de Blessin, Vincent Kompany avait souligné la « chouette philosophie » de son confrère et le « spectacle » positif amené par des Ostendais déployés en 3-5-2 et roulant sans jamais lever le pied. Deuxième conséquence : après cette première expérience fructueuse, on s’attendait à voir Alexander Blessin, élu entraîneur de l’année, faire ses valises, mais il aura finalement fallu attendre un incendie pour que l’Allemand de 48 ans, un temps annoncé à Sheffield United, trouve une deuxième pompe à son pied. Pisté en octobre par le Standard, Blessin avait pourtant dans un premier temps rejeté l’idée de se lancer dans un projet en cours de saison – « J’ai besoin de la préparation pour façonner mon équipe, je ne suis pas un pompier » -, mais la présence au Genoa de Johannes Spors, un ancien de Leipzig, au poste de directeur général l’a poussé à aller au feu et quitter Ostende. Le feu ? Oui, rien de moins, car lorsque Blessin est arrivé à Gênes à la mi-janvier, le bilan du Genoa, où Shevchenko a été éjecté après 69 petits jours en poste, était simple : les Rossoblù étaient 19es de Serie A, n’avaient remporté qu’une seule victoire en 22 rencontres (à Cagliari, début septembre) et restaient sur un 6-0 terrible face à la Fiorentina. Plus vieux bijou d’Italie, racheté en septembre dernier par un fonds d’investissement basé à Miami (777 Partners) après 18 ans de folie sous les ordres d’Enrico Preziosi, le Genoa était ainsi au bord de basculer.
Les loups, le stress et l’avenir
C’est ainsi qu’a débuté la mission impossible de Blessin, qui, bien élevé par Ralf Rangnick à Leipzig, souhaite voir ses garçons récupérer le ballon le plus vite possible et être très créatifs via des transitions offensives supersoniques (lors de la première partie de la rencontre) ou via des phases de possession un peu plus lentes (lors de la deuxième partie, où la fatigue est plus présente et où les joueurs ont donc besoin d’engendrer davantage d’énergie avant de cogner), et que la Serie A a vu naître un drôle de phénomène. Soit une équipe, repensée en janvier autour de plusieurs jeunes pousses (Kelvin Yeboah, Morten Frendrup, Nadiem Amiri, Leo Östigard, Johan Vásquez), qui presse de façon intense et dévore chaque ballon. Depuis l’arrivée d’Alexander Blessin, aucune équipe n’intercepte plus de ballons par match et ne harcèle autant ses cibles (son Genoa affiche un PPDA* – passes allowed per defensive action – de 7,32 – 2e taux de pressing le plus intense sur la période pour un club de Serie A – là où son Ostende était à 8,91 en 2020-2021 – personne ne faisant plus vorace en Belgique). Si le Genoa ne donne pas encore un vertige total, son néo-guide a au moins le mérite d’avoir installé en vitesse une structure cohérente (un 4-4-2 compact, à la niçoise, qui quadrille l’adversaire en densifiant en zone autour du ballon plus qu’en chassant en un contre un façon Atalanta de Gasperini) qui permet de défendre en avançant et de laisser les éléments offensifs faire parler leur force créative. Dans un entretien donné à SportFoot Magazine en mars 2021, Blessin justifiait : « Quand on joue contre le ballon, on est en chasse, comme des animaux. C’est toujours bien d’avoir en tête ces images, de se rappeler comment ça fonctionne dans le monde animal. Les loups, les lionnes… S’ils chassent seuls, ils meurent. Avoir ça à l’esprit, ou les milliers d’oiseaux qui volent ensemble quand ils migrent vers l’Afrique, c’est un bon point de comparaison pour la structure qu’on veut avoir sur le terrain. »
?? Dirige l’orchestra… mister Blessin! ??? pic.twitter.com/TqFysYhUFZ
— Genoa CFC (@GenoaCFC) March 19, 2022
Pour que ses joueurs intègrent le message, Alexander Blessin, qui rêve d’installer dans ses clubs le vieux compte à rebours de Rangnick pour dresser psychologiquement ses joueurs à un pressing rapide, n’hésite pas à leur diffuser parfois un documentaire animalier ou à leur proposer des séances… sans aucune frappe au but, mais avec toujours des exercices « stressants » pour les nerfs. C’est avant tout un esprit que l’Allemand veut dessiner, et son Genoa y répond pour le moment avec aucune défaite en huit rencontres – sept nuls, dont cinq 0-0 pour débuter – et un premier succès ce week-end face au Torino (1-0), arraché à dix contre onze à partir de la 24e minute de jeu et l’explusion d’Östigard. Quelque chose se passe à Gênes, les Rossoblù, qui ont notamment sorti un match assez fantastique sur la pelouse de l’Atalanta (0-0) début mars, prennent moins de coups et commencent à faire peur à leurs adversaires. Vendredi soir, on a même vu Blessin recevoir une ovation de la foule présente au Luigi-Ferraris et jouer avec le public. Personne ne sait encore où cette mission va s’achever, mais ce Genoa mérite le coup d’œil, pour le jeu et les hommes, et pourrait, en cas de sauvetage héroïque, être l’une des équipes à suivre du prochain exercice (lorsqu’il ne se fait pas expulser, Östigard, prêté par Brighton, est notamment un joueur intéressant, tout comme Morten Frendrup, milieu axial arrivé de Brøndby en janvier que Blessin a déjà transformé en latéral droit). La bataille ne fait que commencer.
Par Maxime Brigand
*PPDA : indice qui mesure le nombre de passes que l’adversaire est autorisé à faire dans son camp. Plus cet indice est bas, plus le pressing est jugé intense.