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Alex Surprenant : « J’aurais pu me retrouver à la rue »
Alex Surprenant, 27 ans, a déjà brûlé plusieurs vies. Celle de footballeur prometteur dans les antichambres de la MLS, sous les couleurs de l’Impact Montréal puis du FC Edmonton. Puis il y a eu les blessures, l’alcool et la drogue. Depuis presque un an, le natif de Saint-Alexandre (Québec, Canada) a trouvé un nouveau prétexte pour sourire et exprimer sa créativité : fabriquer des chapeaux.
Tout le monde ne te connaît pas forcément. Tu peux nous résumer ton parcours ? J’ai d’abord évolué avec la réserve de l’Impact de Montréal, en 2007, mais je m’entraînais déjà avec les pros, j’ai joué deux saisons avec eux en 2008 et 2009. En 2010, j’ai été blessé toute l’année, puis je suis allé à Edmonton l’année suivante. En fait, ma carrière professionnelle a duré trois ans, deux saisons en USL avec l’Impact, et une en NASL à Edmonton. (L’United Soccer League est le deuxième échelon du football nord-américain de 2005 à 2010, elle est remplacée depuis 2011 par la North American Soccer League, ndlr.)
Pourquoi tu t’es dirigé vers le foot dans un pays où d’autres sports sont bien plus populaires ? J’ai toujours voulu faire autrement, ne pas me fondre dans la masse, mais essayer d’être différent. Déjà, jouer au foot à l’époque, c’était pratiquer un sport différent, ce n’était pas marginal, mais c’était moins populaire que le hockey sur glace par exemple. Essayer des trucs nouveaux, c’est un peu ce que j’ai fait toute ma vie.
En tant que défenseur, quels étaient les joueurs que tu regardais avec le plus d’attention ?Moi, j’ai souvent regardé Ashley Cole, il était left back, j’étais latéral gauche, j’adorais le voir jouer lorsqu’il était à Arsenal, j’essayais d’apprendre de lui, j’aimais son style son audace. Je m’en inspirais. J’étais un latéral offensif, je tirais les coups francs dans toutes mes équipes. Je crois que cette audace à continuer à me servir au-delà des terrains de foot.
Mais malheureusement, ce rêve de carrière pro va lentement mais sûrement se transformer en cauchemar, avec les blessures qui se succèdent…Après l’Impact, lors d’un essai avec Toronto, je me blesse aux ischios alors que j’étais disposé à signer avec Toronto. Cette blessure a duré pratiquement huit mois. L’année suivante, je signe à Edmonton, tout se passe bien, je suis titulaire à quasiment tous les matchs, et à la fin de cette année-là, je me blesse gravement à une cheville, et c’était fini, j’étais out pendant plus de deux ans.
C’est cette deuxième blessure qui met fin à ta carrière…Ça n’a jamais guéri, je n’ai plus cette douleur, mais si je jouais chaque jour, je pense qu’elle reviendrait.
Et tu joues toujours au foot ?Je ne joue même plus pour le plaisir, je dirais que j’ai moins d’intérêt pour ce sport maintenant.
Quand est-ce que tu te dis « Stop ! J’arrête le foot » ? Ça a été un très long processus. Je n’ai jamais fait le deuil de ne plus jouer au foot, et ça m’a emmené dans une espèce de bas-fond assez intense là (silence). Je me suis cherché. En fait, j’ai arrêté de jouer fin 2011, puis de 2012 à 2016, je me cherchais et je compensais dans l’alcool, les fêtes… Rien que l’année dernière, je trouve un nouveau job dans la construction, et je me souviens que j’étais incapable d’y aller plus de deux journées d’affilée. Je n’avais plus de sous, tout partait dans les fêtes, la drogue et l’alcool. Je me suis regardé dans la glace et je me suis dit que comme ça je n’arriverais à rien, je n’étais pas si loin de… (il s’arrête). Si je n’avais pas eu mes amis et ma famille pour m’aider, j’aurais pu me retrouver à la rue.
Et c’était comment ce deuil ? Tu fumais pour t’apaiser ?Je n’ai jamais fumé de ma vie, ce n’était pas ma drogue de prédilection. Moi, je n’ai jamais aimé les trucs qui me ralentissaient…
C’était quoi ta drogue ?
Moi, c’était la cocaïne. En tant qu’ancien sportif, il me fallait quelque chose pour continuer à me booster, je pense. Quand tu joues au foot tous les jours comme c’était mon cas, ton cerveau sécrète des endorphines, de la dopamine, et tu es souvent dans une espèce d’euphorie. Quand on t’enlève tout ça, forcément, ça crée un manque. Moi, ça m’a mené vers la cocaïne.
C’est également l’année dernière que tu as décidé d’apprendre à faire des chapeaux. Comment tu as atterri là-dedans ? J’ai toujours porté des chapeaux, et je trouvais qu’à Montréal, les chapeaux étaient trop moches, surtout pour les hommes. Je trouvais qu’il n’y avait pas assez de couleurs. Moi, je voulais balancer mes couleurs et le déclic s’est fait quand je suis tombé sur les vidéos de Nick Fouquet, un chapelier français qui habite aux États-Unis. En septembre dernier, j’ai suivi le cours d’introduction à la chapellerie avec Mme Lucie Grégoire, une des dernières personnes à enseigner cet art au Québec. Je revenais souvent la voir, tout le temps, lui demander des conseils, et une fois, elle m’a juste demandé si ça me tentait d’avoir une place dans l’atelier. C’est ça comme que tout a commencé.
Dans ce que tu fais aujourd’hui, qu’est-ce qui te rappelle ton ancienne vie de footballeur ?Le foot est un sport très créatif. Quand tu es sur le terrain, il y a tellement de possibilités, tu t’amuses avec le ballon, tu penses toujours à un mouvement nouveau à faire, tu es constamment en train de penser ou d’anticiper un mouvement. C’est drôle, mais je reproduis ça avec les chapeaux, toujours en train de penser à innover. Je ne fais pas de dessin avant de faire un chapeau, mes idées viennent au fur et à mesure que j’avance, comme quand j’étais sur le terrain. Et puis ce n’est pas facile de vivre de son métier quand on décide de vendre des chapeaux. Ça va être énormément de travail, mais j’ai grandi en travaillant comme un fou pour devenir joueur de foot.
Propos recueillis par Romuald Gadegbeku, à Montréal