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Alessandrini, l’OM à mourir

Par Kévin Charnay et Théo Denmat
8 minutes
Alessandrini, l’OM à mourir

Ce samedi soir, l’Olympique de Marseille joue très gros. En particulier Romain Alessandrini, pointé du doigt par pas mal de supporters depuis deux saisons. L’histoire d’un mec qui « donnerait » tout à Marseille, quitte à ne rien recevoir en retour.

C’est l’histoire d’un maillot serré jusqu’en haut du col. L’affaire de deux boutons attachés, quoi qu’il arrive, et d’un tissu qui remonte jusqu’au cou. Ils ne le font pas tous : Alaixys Romao, Rolando ou même Barrada, tous sont plus détendus sur l’attache. Mais pour Romain Alessandrini, c’est presque inconscient, comme une question de fierté. Faire corps avec le maillot de l’OM, comme si le bonhomme avait peur de perdre la tunique après avoir bataillé neuf ans pour la porter à nouveau. « Rien que d’entendre parler de Marseille, il chante » , disent certains. L’un ne va pas sans l’autre. « C’était son rêve de pouvoir rejouer là-bas, enchaîne un autre coéquipier à Clermont. Il a toujours gardé ça dans un coin de sa tête, mais il n’osait pas en parler. » Parce qu’avant de revenir à la maison il y a deux ans, sous Marcelo Bielsa, l’oiseau était déjà passé par le centre de formation olympien, de 1999 à 2005. Son entraîneur de l’époque avait voulu le replacer arrière gauche, mais Alessandrini rêvait d’attaque et avait décidé d’arrêter le football. Partir en Bourgogne pour mieux renaître, et revenir. Problème : aujourd’hui encore, Marseille a du mal à aimer l’un de ses derniers enfants.

L’arrière gauche qui pleurait

Romain Alessandrini est tombé dans la marmite marseillaise quand il était petit. Né dans le quartier des Chartreux à Marseille, il tape ses premières balles à l’âge de sept ans dans le petit club de Plan-de-Cuques, quatorze kilomètres plus au nord. « Il venait d’une bonne famille, assez discrète, et forcément fan de l’OM » , raconte Hervé Boyreau, actuel président du club et directeur sportif à l’époque. Paradoxalement, même si son pied gauche fait déjà des étincelles, Romain Alessandrini n’est pas le plus fort des gamins plan-de-cuquois. Il se distingue par autre chose que son talent brut : une abnégation rare pour un enfant si jeune. « Il avait déjà un sacré caractère. Il était plus petit que les autres, mais ça ne l’a jamais tracassé ou complexé » , abonde Boyreau. À sa dizaine, il sort du lot. Lors d’un banal tournoi de poussins, des agents et des recruteurs rodent autour des terrains et proposent aux parents de Romain de lui faire passer des tests à l’Olympique de Marseille. « Il avait des étoiles dans les yeux, la question ne se posait même pas, pour lui, pour nous ou pour ses parents. Il les a rejoints tout de suite » , explique Hervé Boyreau.

Les premières années chez les jeunes de l’OM sont une réussite. En benjamins et en minimes, il fait partie des meilleurs gamins des Bouches-du-Rhône avec Yohan Mollo et Djamel Bakar. Mais à quinze ans, son avenir s’assombrit. Pour la première fois depuis sa toute jeune carrière, sa petite taille devient un problème. Romain n’a pas terminé sa croissance, et son entraîneur ne le trouve pas assez affûté physiquement pour jouer en attaque. Il est replacé au poste de latéral gauche, un rôle qu’il déteste et qui ne lui correspond pas. À l’été 2005, dégoûté, il part en vacances en Corse, et ne reviendra jamais à l’OM, encouragé par son père qui n’en peut plus de le voir pleurer. Mais Jean-Louis Alessandrini ne peut se résoudre à gâcher le talent de son fils, et se met en tête de lui trouver un nouveau club. Ce sera finalement Gueugnon, grâce à l’une de ses connaissances. Pour la première fois, Romain quitte la Provence, Marseille, et le cocon familial.

Et Vairelles fit sa loi

« À l’époque, le monde pro, la Ligue, c’était très loin pour lui. Même si c’était un très bon joueur de National, peut-être le meilleur. » Pour cet ancien coéquipier de Gueugnon aujourd’hui en Ligue 1, une chose est certaine, le Marseillais avait du mal à couper les ponts avec le Vieux-Port : « Il ne parlait pas vraiment du club en lui-même, mais de la ville, beaucoup. Moi, je suis plutôt supporter de Paris, alors on se vannait, on se chambrait. Puis dès le premier match de championnat (de la saison 2009-2010, ndlr), il se fait les croisés contre le Paris FC. Il n’est revenu qu’à la fin de l’année, mais dès qu’il est revenu, il a marqué un triplé en réserve. Et en National, il a vite retrouvé ses sensations. » Perturbé par un environnement difficile où la famille Vairelles fait la loi, le voilà sur le banc derrière le petit frère du Gitan qui porte à l’époque la triple casquette : joueur, entraîneur et actionnaire majoritaire. Et si les salaires sont encore payés à échéance régulière, « il y avait clairement deux clans : le clan Vairelles et les autres, détaille son ancien coéquipier. C’était une guerre froide, rien de bien méchant. C’est l’année d’après que c’est parti en couilles, il y a eu des bagarres, des joueurs pas payés… Heureusement, on a senti que ça puait, et quasiment tout le monde s’est barré avant, dont Romain et moi. »

Direction Clermont donc, en 2010, un peu plus au sud, où le bonhomme explose en deux saisons. Car quand le pied d’Alessandrini va mal, la tête finit toujours par prendre le dessus. La première année ? Sept passes décisives, toutes pour Sloan Privat qui le complète parfaitement. Jacques Salze, défenseur du club et unique survivant de l’époque, se souvient du duo : « Mentalement, ça marchait aussi bien entre les deux. Romain, il va tout le temps au bout des actions, c’est à l’image de son caractère. Quand il entreprend quelque chose, il va jusqu’au bout, il ne se pose pas de question. Il va insister, insister, insister… » Un homme repère alors le chevelu et sa patte gauche depuis sa côte bretonne : Frédéric Antonetti. « Je l’avais appelé pour lui expliquer ce que j’attendais de lui. Je veux toujours cinq joueurs pour trois postes devant, il a fait sa place, car Kembo est parti au dernier moment. On lui a expliqué les exigences de la Ligue 1, il a très vite enregistré, il faisait de super entraînements. Il est rapidement devenu décisif et a atteint le top de son niveau jusqu’à atteindre le groupe France. » Puis un soir de février 2013, seul dans la nuit lilloise, crac.

Le renard à neuf queues

C’est le coup dur. Romain Alessandrini se refait les croisés. Alors qu’il est au sommet de son art, alors qu’il enchaîne les buts exceptionnels depuis des mois. Comme ce pion planté au PSG qu’il célèbre en formant le sigle OM avec ses doigts. Car Romain n’oublie pas d’où il vient. D’ailleurs, pour se soigner, il y retourne, d’où il vient, et effectue ses longs mois de rééducation à Aix-en-Provence, à côté de chez ses parents. Le temps passé chez les siens lui donne l’envie de revenir à Marseille. Surtout que l’OM lui fait les yeux doux. Le joueur crie à qui veut l’entendre qu’il aimerait les rejoindre de suite, et entame un bras de fer, quitte à se mettre à dos une partie de l’opinion publique. « Je peux vous dire qu’il a les pieds sur terre, recadre Jacques Salze. Il a connu des coups durs. Il est très travailleur, faut pas l’oublier ça. Il est blindé dans sa tête. » Finalement, Alessandrini devra attendre un an de plus avant de rejoindre l’élu de son cœur. Une saison honnête mais banale à six buts et cinq passes décisives plus tard, le voilà de retour à Marseille, neuf ans après.

Sauf qu’entre-temps, Marcelo Bielsa a débarqué sur la Canebière et ne compte pas vraiment sur le Plan-de-Cuquois, lui préférant le plus souvent Florian Thauvin. Avec le départ de l’Argentin couplé à une bonne préparation, le voilà qui commence à repointer le bout de sa truffe : « Les premiers mois je l’ai vu faire de bonnes choses. Il n’était pas loin de retrouver son meilleur niveau. Mais il a été contrarié par les blessures » , estime son ancien coach à Rennes. La figure du mouton noir, insidieusement pointée du doigt au rythme de la lente noyade olympienne. Ses cheveux blonds, ses mauvaises prestations, ses cartons, rien ne va. « Romain, on a toujours parlé sur lui. Bizarrement, il a l’image d’un mec arrogant, alors que c’est tout le contraire de ça. C’est un fou amoureux de l’OM, il donnerait tout pour le club » , tranche un de ses amis. Tout, et peut-être trop. « La surmotivation est parfois négative, théorise Antonetti. C’est quelqu’un d’émotif. Il adore tellement l’OM qu’il se bloque parfois. Il veut trop bien faire. Mais c’est un gros travailleur, s’il arrive à « oublier » qu’il joue pour son club de cœur, à se détendre, et passer ce cap, il peut tout casser la saison prochaine. Il peut faire une André-Pierre Gignac… » Et comme pour APG, la rédemption passera peut-être par une démonstration ce soir contre le PSG. Qui sait ? En cas de victoire, le gamin du « treize » osera peut-être déchirer son maillot pour la première fois… De bonheur, évidemment.

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