- Ligue 1
- J3
Alerte cartons rouges sur la Ligue 1
En plus d'une ribambelle de buts, la Ligue 1 a eu le droit à une pluie de cartons rouges lors de la troisième journée disputée ce week-end avec onze expulsions, soit un record depuis 30 ans. Une sévérité plutôt habituelle en début de saison en raison des consignes données durant l'été, mais qui a le mérite de remettre sur la table les solutions pour faire grandir l'arbitrage français, dont la communication n'est pas le point fort.
Depuis un peu plus d’un an, les mauvaises langues ne peuvent plus dire qu’il ne se passe rien en Ligue 1. Ce week-end a encore une fois accouché de rencontres spectaculaires et riches en buts (38, soit le deuxième total le plus élevé au XXIe siècle derrière les 43 réalisations de la 38e journée de la cuvée 2007-2008), à l’image du début de saison le plus prolifique depuis 45 ans, avec la barre des 100 réalisations atteinte après trois journées seulement. Autre record, moins réjouissant celui-là, les onze cartons rouges distribués, dont quatre par le novice Mathieu Vernice lors de Montpellier-Auxerre, soit du jamais-vu depuis trois décennies. Les coupables s’appellent Vanderson (Monaco), Samuel Gigot (Marseille), Halid Šabanović (Angers), Mario Lemina et Jean-Clair Todibo (Nice), Khalil Fayad et Téji Savanier (Montpellier), M’Baye Niang et Nuno Da Costa (Auxerre), Romain Salin et Lesley Ugochukwu (Rennes). Certains n’ont pas eu à broncher, d’autres ont été surpris par des hommes en jaune décidés à ne rien laisser passer. L’addition a également été salée à l’échelon inférieur, où ils sont huit joueurs à avoir vu rouge, dont trois lors du match lunaire entre Saint-Étienne et Le Havre. Les conséquences d’une nouvelle ligne, plus ferme, imposée par la Direction technique de l’arbitrage (DTA), ou une simple sévérité éphémère ? C’est toute la question.
Donner le ton
Puisque l’on dit qu’un bon arbitre ne doit pas faire parler de lui, il n’est pas certain que cette journée rythmée par les biscottes rouges et les mini-polémiques soit présentée en exemple lors de futures réunions. Si des joueurs ont parfois montré trop d’agressivité, les garants des règles du jeu ont aussi multiplié les coups de sifflet et mis de côté la psychologie. « On devrait jouer au volley ou au hand », a soufflé Jean-Marc Furlan après la drôle de partie remportée par son AJA à Montpellier. Son homologue héraultais, Olivier Dall’Oglio, a lui fait un constat en conférence de presse : « C’est toujours la même histoire. Ce sont à chaque fois de nouvelles consignes, soi-disant avec un peu plus de rigueur. On sait très bien que cela va vite s’estomper et rentrer dans l’ordre. » Une impression partagée par Olivier Pantaloni quelques heures plus tard au Roazhon Park, le technicien corse envisageant que les arbitres avaient reçu « des consignes plus strictes cette semaine. J’en avais parlé à mes joueurs avant le match (à Rennes) après avoir vu ceux de 15 heures. »
Une théorie qui n’est pas un fantasme, selon l’expérience de Bruno Derrien, ancien arbitre français à la retraite ayant suivi l’agitation du week-end depuis son lieu de vacances. « Comme les joueurs, les arbitres sortent de stage, ils étaient en préparation. Et ils ont dû être sensibilisés sur la protection des joueurs et peut-être qu’on leur a demandé de réprimer plus sévèrement les gestes dangereux, explique-t-il. Cela me fait penser à Marc Batta qui avait beaucoup insisté sur les tirages de maillot dans la surface il y a douze ans. Il fallait assainir les surfaces et montrer à l’Europe qu’on n’hésitait pas à sanctionner en France. Ça avait duré deux ou trois journées, puis cela s’était calmé face au tollé. Là, ça va être la même chose, ça va redescendre. » Niang, Šabanović ou encore Salin, qui a écopé de deux avertissements pour contestation en étant sur le banc, ont-ils été victimes de cette volonté d’asseoir très rapidement leur autorité et de calmer les ardeurs des acteurs ? « Les premières journées, il faut donner le ton de la saison, enchaîne Bruno Derrien. C’est la même chose lors des compétitions internationales : souvenez-vous en 1990, la FIFA a durci le ton pour que les tacles méchants soient plus sévèrement punis. Michel Vautrot arbitrait le match d’ouverture entre l’Argentine et le Cameroun et il a expulsé deux joueurs camerounais. Il a été le premier à donner le ton. C’est la même mission pour les arbitres lors des premières journées. »
Communiquer pour mieux cohabiter
En attendant de savoir si le prochain épisode de cette saison 2022-2023 confirmera cette potentielle sévérité (16 expulsions contre 9 l’exercice passé au même stade ; mais quasiment le même nombre d’avertissements avec un total de 119 contre 118), il y a ce besoin perpétuel de s’interroger sur les solutions possibles pour faire évoluer l’arbitrage français. La VAR est une chose, la communication en est une autre, et cela pourrait même être la clé d’un apaisement et le pilier d’une révolution humaine, bien plus essentielle que celle technologique. « Il y a eu une initiative très intéressante du syndicat des coachs et de la DTNA pour avoir un débat entre entraîneurs et arbitres, la réunion a été annulée, faute de participants, révélait Bruno Genesio ce dimanche. Je trouve ça dommage de ne pas avoir vu plus de coachs accepter, car c’est comme ça selon moi que l’on réglera tous ces petits problèmes. » Si le Stade rennais avait en effet demandé à être présent, d’autres clubs ont estimé que ce n’était pas une priorité.
Le chantier est colossal, mais certains précédents pourraient inspirer les acteurs du moment. « Gérard Bourgoin avait instauré une rencontre entre les capitaines, les coachs et les arbitres avant chaque match. Je sais aussi que lorsque Gérard Houllier était DTN, il organisait des réunions entre les entraîneurs et les arbitres en début de saison, se souvient Bruno Derrien. C’est bien quand on échange, on se comprend mieux. L’incompréhension vient souvent d’un manque d’informations. » Un grand flou, des règles changeantes et des points de vue différents qui mériteraient d’être exposés dans le calme d’une salle climatisée plutôt que dans le feu de l’action sur les terrains et dans la chaleur d’un couloir conduisant aux vestiaires. « Ce serait une bonne chose qu’un représentant de la DTA fasse le tour des rédactions pour expliquer les règles, leur vision des choses et les priorités fixées aux arbitres, conclut l’ancien sifflet français. Ce serait également bien qu’il y ait une prise de parole en ce début de semaine pour le grand public, ça aurait même dû être fait avant le début du championnat. » Si le silence est d’or, il peut paradoxalement être trop bruyant. Ce lundi, la FFF nous a indiqué que la DTA était « l’objet de très nombreuses sollicitations, et ne peut répondre à toutes. Par ailleurs, elle a pour principe de ne jamais commenter les faits de jeu ou les matchs. » L’erreur est humaine, mais le monde de l’arbitrage (et du foot en général) peine encore à l’accepter.
Par Clément Gavard
Propos de Bruno Derrien, Bruno Genesio et Olivier Pantaloni recueillis par CG