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Alderweireld, l’axe de cœur
Comme ses aînés, il a commencé du côté d'Anvers avant d'être élevé à la sauce Ajax. Progressivement, entre une nuit espagnole ratée et un Erasmus anglais réussi, Toby Alderweireld est devenu un boulon central du système Pochettino à Tottenham. La tête relevée.
Ce sont des images qui défilent. Florentino Pérez qui s’agite comme un Playmobil sur son siège, Carlo Ancelotti qui avale une pastille après un but, Gareth Bale qui fait un long calin à Di María, Xabi Alonso à deux doigts de craquer son costume. Des souvenirs d’une gifle prise lors d’une nuit lisboète. Un moment daté, le 24 mai 2014, à l’Estádio da Luz. C’est une finale de Ligue des champions, un bout d’histoire européenne où le Real soulève sa Décima. Du côté de Madrid, on fait la fête, en blanc. Le bleu, blanc, rouge de l’Atlético, lui, s’est fait déchirer au bout du scénario et de trente minutes de prolongation (1-4). Les hommes de Diego Simeone tenaient pourtant leur match. Ils le gagnaient même, jusqu’à la dernière seconde, et eux aussi se sont vus sur le podium des héros. Mais, finalement, on se souviendra d’eux dans les larmes de Cristian Rodríguez sur le banc, dans ces instants où Thibaut Courtois était immobile, sonné par la dramaturgie. Ce soir-là, un homme, mèche plaquée, était entré à la quatre-vingt-troisième minute. Pour tenir le 1-0, rien de plus. Trop de pression. Au point de lâcher son marquage sur un corner et de tomber à la renverse devant Bale vingt minutes plus tard. La gueule au sol. Cet homme : Toby Alderweireld.
Le pendant de Vertonghen
Un gamin d’Anvers, l’une des communes les plus peuplées de Belgique perfusée au commerce de diamants. Son port et sa proximité géographique avec les Pays-Bas. Jusqu’à il y a encore quelques années, la ville était également animée par les sorties du Germinal Beerschot, aujourd’hui disparu après de nombreux problèmes financiers. Un club de foot qui a changé trois fois de nom, joué régulièrement l’Europe dans les années 90, mais qui est surtout reconnu pour ses noms. Il suffit de regarder un peu : Jan Vertonghen, Thomas Vermaelen, Moussa Dembélé et, donc, Toby Alderweireld. Des mecs aux parcours communs qui se sont envolés rapidement pour grandir footballistiquement. Direction les Pays-Bas, son championnat et ses académies, et l’Ajax avec lequel le Germinal possédait un solide partenariat. « Ils n’ont jamais joué en équipe première dans le championnat de Belgique. Que ce soit pour Vertonghen, Vermaelen ou Alderweireld, partir à l’Ajax était l’occasion de franchir un nouveau palier. Le foot hollandais était fait pour eux et l’Ajax, c’est avant tout une école d’exception » , résume Ariël Jacobs, ancien entraîneur des espoirs belges et d’Anderlecht notamment. Quand il file pour Amsterdam, Alderweireld n’a alors que quinze ans. Il y retrouve son ami d’enfance, Jan Vertonghen, de deux ans son aîné.
« L’Ajax m’a appris à devenir un homme avant de devenir un joueur. C’est le système : grandir dans la tête pour être ensuite un bon footballeur. C’est comme ça que j’ai pu développer toutes mes qualités, compléter mon jeu, améliorer ma technique et atteindre le niveau où je suis arrivé aujourd’hui » , expliquait il y a quelques mois Toby Alderweireld dans les colonnes du Daily Mirror. L’éducation est stricte, le football un mode de vie dans un club qui a taillé sa réputation par la formation. L’enseignement est assuré par les anciens de la maison, comme Frank de Boer qui prendra en charge la formation de l’Ajax à partir de 2007. Sous la direction de l’ancien champion d’Europe 95, Alderweireld va exploser, prendre une dimension physique et développer une qualité de « longue passe à la Ronald Koeman » . La charnière de l’équipe première est alors assurée par la paire Vertonghen-Vermaelen, les grands frères, à qui Marco van Basten fait confiance tout en intégrant progressivement le jeune Alderweireld dans le groupe pro à partir de l’été 2008. Pour ne plus en sortir et s’y installer doucement. Car l’été suivant, Vermaelen signe à Arsenal. L’héritage est naturel, Toby et Jan sont réunis : « On se connaît et on parle longtemps avant les matchs ensemble sur comment défendre et comment le faire. Notre complicité est devenue naturelle avec le temps. »
De cette rencontre se dégage avant tout une énorme solidité. D’autant plus avec la prise en main de l’équipe première par De Boer en 2010. Un homme qui base son jeu sur la rigueur défensive et qui fait des deux Belges un roc compact de la conquête des titres de 2011 et 2012, les premiers depuis 2004. En moyenne, l’Ajax n’encaisse qu’une trentaine de buts par saison. « Vertonghen était vraiment l’héritier de Vermaelen dans le style, alors que Toby Alderweireld était davantage impliqué dans la construction du jeu, se rappelle l’ancien attaquant du FC Utrecht, Édouard Duplan, aujourd’hui à l’ADO Den Haag. On avait l’impression de voir deux jumeaux qui avaient parfaitement compris la défense à la hollandaise. » Car au-delà de tenir la baraque, Alderweireld, comme Vertonghen, savent marquer des buts avec une frappe lointaine reconnue et une énorme présence aérienne. Jusqu’à une suite logique, un départ à Tottenham pour l’un, à Madrid pour le plus jeune l’été suivant. Une plongée au cœur d’un Atlético qui deviendra dès la première saison du défenseur belge champion d’Espagne. Vu du banc, principalement.
Le banc de Madrid, la plage de Southampton
Car à Madrid, Toby Alderweireld va goûter à la concurrence d’un duo d’intouchables. Le Belge ne bouffera que des miettes, sur le côté droit avec celui qu’il considère comme « l’un des meilleurs entraîneurs du monde » . On parle du Simeone rageur, celui qui transcende ses hommes. Il y aura donc un titre et une finale européenne perdue, mais l’envie de jouer, plutôt que de ramasser « un salaire confortable en regardant les matchs tranquillement sur un beau siège » . Ce sera donc l’Angleterre, Southampton et Koeman, surtout. « Jouer en Premier League était une évidence pour lui, note l’ancien sélectionneur belge Georges Leekens. Il est comme Kompany et les autres, il avance avec la volonté de bien jouer au foot en tant que défenseur. Il sait d’où il vient et a progressé dans l’impact et le réalisme. Il peut aller très loin maintenant qu’il est lancé. » Un Leekens qui avait donné sa chance au gamin d’Anvers en sélection nationale au point de lui creuser progressivement une place sur l’aile droite. C’étaient les débuts, avant qu’Alderweireld ne retrouve son axe de cœur.
Sa saison dans le Hampshire sera une révélation. Southampton joue au foot, tourne à 2000 à l’heure et tape souvent les gros. L’histoire ne durera qu’un an, avant que Tottenham fasse le forcing pour l’arracher à l’Atlético l’été dernier. Contre une quinzaine de millions d’euros et l’assurance de retrouver l’ami Vertonghen dans l’axe. Voilà d’où est reparti Tottenham, de derrière. Pour afficher aujourd’hui la meilleure défense d’Angleterre quelques mois après avoir présenté la pire du top 13. C’est là où les Spurs ont basculé cette saison pour atteindre le podium devant Arsenal et MU. Grâce à l’intelligence de Pochettino et à ses hommes de base qui permettent aujourd’hui à White Hart Lane de rêver un peu. Alderweireld y est pour beaucoup, jouant tous les matchs depuis le début de saison, loin du banc, près du podium. Les larmes séchées et les bras écartés.
Par Maxime Brigand