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Alcácer à rien
Paco Alcácer était le symbole de la formation valencienne, le capitaine, le modèle. En l’espace de quelques jours, ce qui n’était qu’une rumeur farfelue est devenue le transfert star de la fin de mercato en Liga. L’enfant du pays a préféré quitter le Valencia CF pour devenir remplaçant au Barça. Le choix d’une vie.
« Mieux vaut régner en Enfer que servir au Paradis » , a écrit John Milton dans son poème Le Paradis perdu traduit en français par Chateaubriand. Le 30 août dernier, en guise de cadeau pour son 23e anniversaire, Paco Alcácer a signé un contrat de cinq ans avec le FC Barcelone. Les lumières du Camp Nou l’ont ébloui et il a abjuré sa foi valencianiste pour se vêtir d’azulgrana. Formé à la cantera du Valencia CF depuis ses huit ans, l’attaquant a franchi toutes les étapes, en club comme en sélections inférieures, pour devenir le titulaire chez les Blanquinegros. Mais outre le terrain, l’histoire personnelle d’Alcácer est intimement liée à Mestalla. En 2011, lors du Trofeo Naranja qui inaugure la saison, il inscrit son tout premier but avec l’équipe première. Une joie immense qui restera également sa plus grande peine. Alors qu’il prend sa douche, il est averti de la terrible nouvelle : submergé par l’émotion, son père, présent dans les tribunes, a fait une attaque cardiaque. Il a été secouru, mais n’a pu être sauvé. Depuis, Alcácer était le fils préféré, celui que l’on ne critiquait jamais, qui était toujours applaudi et encouragé. Cinq ans plus tard, alors que la rumeur d’un départ venait tout juste de sortir, Mestalla lui a de nouveau réservé le meilleur des accueils lors de la présentation de l’effectif. Alcácer au Barça ? Inconcevable !
Quatrième choix du quatrième choix
Au départ, les dirigeants che ont refusé de lâcher le joueur, craignant l’ire de supporters. Un temps, on a pensé que c’était un coup de pression de la part de Toldra, son représentant mais aussi celui de José Gayà, autre canterano qui tarde à prolonger. Mais en réalité, c’est bien Alcácer qui a demandé à partir. Il l’a avoué sitôt son contrat signé. Des paroles sans guère d’émotion. Un départ indigne, résumé par Kike Mateu, tertuliano pro-Valencia de l’émission El Chiringuito, l’équivalent espagnol de l’After : « Il parle comme cela à des supporters qui l’adorent et qui l’ont toujours soutenu et protégé. On ne note aucun sentimentvalencianiste, alors qu’il l’est, c’est une évidence. Il part sans expliquer son choix, la tête basse, sans donner une conférence de presse, sans jamais dire clairement qu’il voulait partir. Ce n’est pas un comportement de capitaine. » Un transfert qui, selon lui, a une portée symbolique bien plus importante que le choix de renforcer un rival. « Ce n’est pas une question de club. David Villa, Jordi Alba et Jérémy Mathieu sont allés au Barça. La question, c’est : « Comment part le joueur et que représente-t-il ? » Imaginons que Xavi Hernández ait signé au Real Madrid et qu’il parte de la même manière. Tout le monde dirait : « Eh ! Mais c’est ça le capitaine du Barça ? » » La nouvelle est d’autant plus amère à encaisser pour l’aficion que le buteur était la figure de proue de la campagne d’abonnement intitulée : « Que tes rêves deviennent plus grands que tes peurs. » Une trahison dans les grandes largeurs. Le pire, c’est qu’Alcácer n’est en réalité que le quatrième choix du quatrième choix puisqu’avant sa signature, le FCB a essuyé les refus de Kevin Gameiro, Hatem Ben Arfa et Luciano Vietto. D’ailleurs, les supporters n’ont pas manqué de se moquer du choix du fils prodigue via le hashtag #PipesPaAlcácer (des graines de tournesol pour Alcácer en valencien, rien à voir avec des rapports buccaux).
Son absence à l’Euro, l’élément déclencheur ?
Le début de la réflexion de Paco Alcácer a peut-être débuté le jour de la liste pour l’Euro de Vicente del Bosque. Sur le plan comptable, le xic (le gamin) a sorti sa meilleure saison avec 13 buts en Liga. Le problème, c’est qu’il a Álvaro Negredo dans les pattes depuis un an et demi et qu’aucun technicien, de Nuno Espirito Santo à Pako Ayestarán en passant par Gary Neville, n’a réussi à trancher. Il faut dire que Negredo, c’est un transfert de 30 barres et un salaire de 6,5 millions d’euros par an. Peu importe qu’il ne mette pas un nougat devant l’autre, il doit jouer, ne serait-ce que dans l’espoir de le refourguer au mercato. Les deux internationaux se partagent la pointe, évoluent parfois tous les deux, sans convaincre. La saison canon d’Aduriz, la hype Morata : Alcácer a beau être le meilleur buteur des éliminatoires, celui qui compensait les errances de l’erreur de casting Diego Costa, c’est lui le sacrifié. Pour revenir en sélection, devenir le titulaire, mieux vaut-il être au Barça, quoique remplaçant ? Peut-être bien au final.
« Alcácer est mentalement prêt à être remplaçant »
Tout le monde n’a pas le même sens de la fidélité que Francesco Totti et Alcácer a peut-être tout simplement senti qu’il était l’heure de grandir. Quitte à le faire les fesses posées sur un banc. Pour Robert Fernandez, le directeur sportif du Barça, « Alcácer est mentalement préparé à être remplaçant. Il apportera des choses, mais il doit en apprendre d’autres. Il aura le temps de le faire. » Même dans la peau du back up de Luis Suárez, il a évidemment plus de chance de garnir son armoire à trophées qu’en restant à Valencia, certes ambitieux depuis l’arrivée de Peter Lim, mais qui navigue à vue depuis deux ans. Le départ d’Alcácer n’est clairement pas un bon signe pour les Murciélagos. L’image renvoyée est trouble. Si le symbole du club préfère partir faire le second couteau, que feront les autres ? Valencia semble être un club de transit, notamment pour les joueurs estampillés Jorge Mendes. Malgré tout, le tableau n’est pas noir à 100%. Les accointances de Lim avec le boss de la Gestifute peuvent sortir de sacrées épines du pied, en attestent les arrivés d’Ezequiel Garay et Eliaquim Mangala le 31 août. Mais si ce départ est douloureux, il doit aussi servir de signal d’alarme pour le club, sur ses aspirations et sur le chemin qu’il veut emprunter dans les années à venir.
Cirage de pompes
Dans le même temps, Munir El Haddadi (vingt et un ans) a réalisé le chemin inverse. Le départ d’Alcácer étant conditionné à l’arrivée d’un remplaçant, le Barça a fait d’une pierre deux coups avec ce prêt d’une saison avec option d’achat fixée à 12 millions d’euros, assorti d’une clause de rachat prioritaire de 16 ou d’un pourcentage à la revente si ladite clause n’est pas activée. Une chose est certaine, Munir bénéficiera de l’appui de la grada qui meurt d’envie de le voir meilleur que celui qui a trahi. Dans un sondage réalisé par SuperDeporte, 89% des internautes pensent que Munir marquera plus de buts que « Paquito » . L’ironie du sort serait que Munir revienne en sélection, lui qui avait été appelé illico presto par Del Bosque en 2014, alors que le Maroc lorgnait de près sur la pépite de La Masia. Avec les U21, il côtoie notamment Santi Mina, et leur entente au sein de la Rojita augure du meilleur avec le VCF. L’avenir dira si les Blanquinegros ont réalisé une affaire.
En attendant, à Valence, on refuse de donner de la raison à ce transfert. Le journaliste pro-Culé Quim Domenech a par exemple déclaré samedi soir dans El Chiringuito qu’ « être remplaçant au Barça et cirer les chaussures de Messi, Suárez et Neymar valait plus que marquer 50 buts avec Valencia » . Voilà comment on dit je t’aime en catalan.
Par FM Boudet