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Albert Stubbins, l’épaule droite de Marlene Dietrich

Par Régis Delanoë
6 minutes
Albert Stubbins, l’épaule droite de Marlene Dietrich

Quintessence du génie des Beatles en studio, climax de la pop sixties et pionnier du rock progressif, l’album Sgt Peppers’ Lonely Hearts Club Band a fêté son demi-siècle il y a quelques semaines. Un LP devenu mythique dès sa sortie, autant pour sa qualité musicale que pour la flamboyance de sa pochette, représentant un patchwork de personnalités hétéroclites entourant le quatuor, parmi lesquelles figure un footballeur : le méconnu Albert Stubbins.

Le 1er juin 1967 est une date importante dans l’histoire de la musique contemporaine. Ce jour-là sortait dans les bacs ce qui deviendra presque immédiatement un album vénéré et reconnaissable entre tous, le drôlement dénommé Sgt Peppers’ Lonely Hearts Club Band. Un huitième effort collectif pour les Beatles, le dernier véritablement car les suivants – si brillants soient-ils – ne seront plus jamais l’œuvre d’un groupe en tant que tel. Il est le fruit d’un travail de studio inouï réalisé pendant plus de quatre mois à Abbey Road entre fin 1966 et début 1967, alors qu’on avait laissé le quatuor en burn-out d’une interminable tournée de concerts surréalistes, avec fans surexcités et installations médiocres ne donnant que trop peu de relief au talent musical des Anglais. Le live, c’est fini pour eux. Ils vivent mal l’ultra célébrité et préfèrent se dissimuler sous ce drôle de nom – Sgt Peppers’ Lonely Hearts Club Band – en s’accoutrant en prime de précieux déguisements sur la pochette, comme s’ils n’étaient déjà plus vraiment les Beatles.

La pochette, parlons-en d’ailleurs : une pièce d’art, reconnaissable entre toutes, au même titre que la banane du Velvet ou la soupe Campbell’s d’Andy Warhol. Des marqueurs graphiques d’une décennie et pour l’occasion une œuvre réalisée par les artistes Jann Haworth et Peter Blake, sur demande du groupe et de leur manager Brian Epstein. L’idée : que la bande soit entourée d’une mosaïque de personnalités censées le mieux les représenter. Un patchwork « signature » où chacun aura son mot à dire, y compris d’ailleurs le label EMI qui refusera notamment que soit représenté Gandhi pour ne pas fâcher les autorités indiennes au risque de se priver d’un marché considérable. Au total, soixante-dix célébrités plus ou moins reconnaissables et connues du grand public passeront la sélection finale et auront l’honneur de figurer autour de John Lennon, de Ringo Star, de Paul McCartney et de George Harrison, de gauche à droite. Avec, à proximité de ce dernier, le seul footballeur de la liste : un certain Albert Stubbins.

Préféré à Dixie Dean le sniper d’Everton

Ce n’est pourtant pas Harrison qui aurait décidé de retenir ce nom, le choix revenant finalement à John Lennon. Sans que ce ne soit complètement avéré ni vérifiable, l’histoire veut qu’il avait été décidé qu’un joueur de foot soit présent sur la pochette. Albert Stubbins, le poulain de Lennon, aurait été préféré à Dixie Dean, celui de McCartney. Le premier a fait l’essentiel de sa carrière pour Liverpool et le second est un héros de l’entre-deux-guerres de l’autre club de la ville dont sont originaires les Beatles, Everton (avec un record porté à 60 buts en championnat pour la seule saison 1927-1928 !). Alors Lennon, fan de Liverpool ? Pas forcément, en fait la légende veut qu’il ait voulu placer Stubbins sur la pochette de Sgt Pepper’s car son nom sonnait bien…

Une explication là encore pas vraiment vérifiable, mais qui a au moins le mérite de montrer combien les quatre Anglais dans le vent n’ont qu’un rapport très distant avec le sport roi. Des quatre, ce serait McCartney le plus fondu de football, avec une préférence pour Everton – d’où Dixie Dean –, mais il n’a jamais été un habitué de Goodison Park, pas plus que d’Anfield d’ailleurs. Pour justifier cette distance des Beatles vis-à-vis du sport-religion, on raconte également que c’est Brian Epstein, leur manager-gourou, qui les aurait sommés de ne jamais se prononcer en faveur d’un club ou d’un autre pour ménager les susceptibilités des deux camps. Il serait dommage de vexer les fans des Reds ou des Toffees… Mais alors, que fait exactement Albert Stubbins là, et qui était-il exactement ?

Seul sportif avec Sonny Liston

Ce qu’il y fait reste une énigme, aucun des Beatles ne justifiant jamais ce choix des personnalités retenues pour figurer sur la pochette. On peut rester sur l’hypothèse de l’argumentaire du mystique Lennon qui aimait ce nom et sa prononciation : Albert Stubbins. Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’il est avec Sonny Liston l’un des deux seuls sportifs parmi les soixante-dix trognes. Et que parmi son entourage immédiat figurent Alexander Graham Bell, le gourou indien Sri Lahiri Mahasaya, Lewis Carrol et les acteurs Bobby Breen et Marlene Dietrich. Il est l’épaule droite de Dietrich, pour être exact. Mais avant cette postérité, il fut bien un joueur de football, et un sacré d’ailleurs. Il aurait même pu peut-être figurer au rang de star, si cette foutue Seconde Guerre mondiale ne l’avait privé d’une bonne partie de ses meilleures années physiques. Juste avant le conflit, le jeune homme, né en 1919, fait des débuts prometteurs avec Newcastle United, ville dont il est originaire. Pendant la guerre, l’avant-centre parfait son talent offensif et enquille les buts pour rien, dans des matchs sans enjeu, pour passer le temps. Lorsque l’armistice est signée, il a déjà 26 ans. Stubbins dispute alors son seul match avec la sélection anglaise, non homologué qui plus est, face au voisin gallois. Puis il est rapidement transféré à Liverpool, pour une somme record à l’époque, où il explose.

Le télégramme de McCartney

Pour sa première saison en 1946-1947, il marque 24 fois et contribue grandement à la conquête d’un premier titre pour les Reds depuis 24 ans. Stubbins est au sommet, mais si ses stats personnelles restent ensuite très bonnes, l’équipe, elle, régresse vite et s’enfonce dans la médiocrité. Son palmarès s’arrête là, malgré six saisons de fidélité à Liverpool et un temps de jeu en baisse progressive les derniers temps, la faute aux problèmes physiques de ceux qui dépassent allègrement la trentaine. En 1954, après une ultime tentative de rebond, Albert Stubbins le rouquin massif – 1,80 m pour près de 85 kg de poids de forme – range crampons et liquette pour embrasser une carrière de journaliste sportif. Mort en 2002, il avait reçu par courrier, au moment de sa sortie dans les bacs, un exemplaire signé de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, apprenant seulement ainsi qu’il figurait sur cette mythique pochette. Un télégramme l’accompagnait, écrit de la main de McCartney, sur lequel était inscrit ceci : « Well done, Albert, for all those glorious years of football. Long may you bob and weave » , qu’on pourrait traduire par un « Bravo Albert pour toutes ces glorieuses années de footballeur, que tu puisses longtemps esquiver et frapper » .

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