- Coupe du monde des clubs – Demi-finale – Al-Ahly/Corinthians
Al-Ahly, l’insubmersible
En jetant un œil au rétro de son année 2012, la participation du club d’Al Ahly à cette demi-finale de Coupe du monde des clubs relève du vrai miracle. Révolution, tragédie, annulation du championnat, changement d’entraîneur, tensions diverses… Les Égyptiens composent avec une foule de problèmes, envers et contre tout.
En cas de qualification pour la finale de la Coupe du monde des clubs aujourd’hui, l’année 2012 se terminerait comme elle avait débuté pour Al-Ahly : au top. Avec, entre les deux, le chaos ou presque. Mais revenons 11 mois en arrière, dans l’Égypte de l’après-Moubarak et de l’avant-Morsi. Le club le plus titré du pays enchaînait alors les victoires et revenait à hauteur du surprenant leader de la Premier League locale, Harras El Hodoud. À mi-saison, son ascension vers les sommets du championnat semblait irrésistible et sa quête d’un 37e titre national inéluctable. Tout allait à merveille, jusqu’à ce que tout bascule dans l’horreur. 1er février, Port-Saïd : le match entre les locaux d’Al Masri et Al Ahly à peine terminé sur une victoire des premiers, une horde de supporters locaux déboule armés sur la pelouse, obligeant les joueurs à se réfugier dans les vestiaires. Pour les fans qui avaient fait le déplacement en revanche, pas d’échappatoire. L’affrontement vire au bain de sang, avec un bilan final de 79 morts, dont de véritables exécutions. Les forces de sécurité n’auraient rien fait pour empêcher le massacre, bien au contraire, laissant les grilles fermées.
Climat de guerre civile
Car cette tragédie va bien au-delà du football, bien au-delà d’un simple conflit entre rivaux. Les supporters d’Al Ahly auraient payé leur engagement dans la révolution égyptienne, débutée un an auparavant. Les membres des Ultras Ahlawy étaient particulièrement visés, eux qui revendiquent une Égypte plus moderne, avec plus de libertés et moins d’oppression policière et politique. La chute de Moubarak est en effet loin d’avoir tout réglé. Le pays se déchire, principalement entre les nostalgiques du président déchu, les partisans des Frères Musulmans de Mohamed Morsi et une partie de la jeunesse, majoritairement citadine, qui sent sa révolution et les désirs d’émancipation qui devaient en découler s’échapper. Dans ce climat de guerre civile que connait l’Égypte de 2012, le football, sport national pourtant si important et fédérateur – autour de la sélection nationale du moins – le reste du temps, ne représente plus grand-chose. À la suite des événements de Port-Saïd, le championnat a d’ailleurs été d’ailleurs interrompu, de même que toutes compétitions officielles.
Brisé dans son élan et meurtri dans sa chair, Al-Ahly va pourtant survivre, en se réfugiant dans la seule compétition qui lui reste : la Ligue des champions de la CAF, C1 africaine. La compétition est un moyen de montrer que le football égyptien, quoique sérieusement touché par ce qui se passe au pays, n’est pas mort. Malgré un évident problème de rythme, les tours s’enchaînent les uns après les autres pour le club porte-étendard du pays. Sans être flamboyants, les Red Devils se hissent jusqu’en finale, face au prestigieux Espérance de Tunis. Le mois dernier, Al Ahly sort vainqueur de sa double confrontation avec les Tunisiens et conquiert son septième trophée continental, un record. C’est cet exploit qui lui a permis de se retrouver à représenter l’Afrique dans cette Coupe du monde des clubs. Et à bien y regarder, le club égyptien est un véritable miraculé. Du fait de la suspension toujours en cours du championnat national, certains de ses joueurs non internationaux n’ont pas disputé plus d’une dizaine de matchs officiels dans l’année civile. À ce manque de compétition s’ajoutent des problèmes financiers et un changement d’entraîneur, le mythique Manuel José, qui a glané les 6 derniers titres nationaux et les quatre derniers continentaux du club, ayant fini par en avoir marre de tout ce marasme.
« Nous sommes l’Égypte »
Le technicien portugais a été remplacé par Hossam El-Badry, moins expérimenté et qui doit composer avec un effectif évidemment bouleversé par tous les événements extra-sportifs qui secouent toujours aujourd’hui le pays. En septembre dernier, un des vétérans du vestiaire, Mohamed Aboutrika, s’est ainsi attiré les foudres d’une partie de ses coéquipiers pour avoir boycotté le seul match officiel qui s’est tenu en Égypte depuis le drame de Port-Saïd : la Supercoupe (2-1 face à ENPPI). Par ce geste, le joueur voulait montrer son soutien avec les supporters du club, qui refusent toute reprise des compétitions nationales de football tant que les nombreuses zones d’ombre entourant l’après-match de Port-Saïd ne sont pas mises à jour. Aboutrika a été sanctionné de deux mois de suspension par ses dirigeants pour ce refus de jouer, une peine finalement réduite pour le laisser participer à la finale de la Ligue des champions.
Aboutrika s’était déjà signalé en février en annonçant la fin de sa carrière. Ses partenaires de club Emad Moteab et Mohamed Barakat avaient fait de même, traumatisés d’avoir vu des supporters mourir sous leurs yeux à Port-Saïd. Peu de temps après, les trois hommes étaient revenus sur leur décision. Terriblement chamboulé par ces dissensions, le vestiaire cairote parvient pourtant à se transcender une fois sur un terrain de football. Si l’effectif peut connaître, comme toute l’Égypte actuelle, des divisions sur les questions politiques et sociétales, il sait s’unir crampons aux pieds. Alors que les Ultras Ahlawy sont aujourd’hui encore omniprésents place Tahrir pour tenter de sauver la révolution et combattre la répression policière, au Japon leurs favoris vont tenter de se hisser en finale, ce qui serait un exploit pas banal. Les paroles récentes du capitaine Hossam Ghaly en conférence de presse – « J’espère que nous pourrons rendre l’Afrique et l’Égypte fiers » – sonnent en écho avec le chant orgueilleux des supporters des Red Devils : « Nous sommes l’Égypte. »
Par Régis Delanoë